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mardi 13 octobre 2015

"L'appel à la responsabilité humaine"... autour du livre de Marie-Jo Fressard et l'affaire Ali Aarrass

mardi 13 octobre 2015



"L'appel à la responsabilité humaine", Intervention lors de la rencontre autour du livre de Marie-Jo Fressard et l'affaire Ali Aarrass Rabat, 8 octobre 2015


Par Luk Vervaet

Je tiens à remercier l'Association marocaine des droits humains (AMDH) pour l'organisation de cette rencontre. Une rencontre, comme tout le monde ici le sait, qui se fait dans des conditions de plus en plus difficiles pour la liberté d'expression et d'organisation au Maroc. Un grand merci aussi à Amnesty international pour sa participation et pour sa campagne pour Ali Aarrass.

Le livre « Marraine des deux plus anciens prisonniers marocains» nous fait connaître Marie-Jo Fressard, française, institutrice pensionnée, passionnée de randonnées. Elle a été la marraine de deux prisonniers politiques marocains pendant les cinq dernières années de leur détention. Condamnés à mort en 1983 pour « atteinte aux intérêts suprêmes de l'État marocain », Ahmed Chahib et Ahmed Chahid ont été libérés en 2008, après un quart de siècle de détention.



Par son livre, Marie-Jo Fressard sort de l'anonymat. Son livre met en valeur une ténacité exemplaire dans sa lutte pour la libération de ces deux prisonniers. Dans une société où tout doit arriver tout de suite, où on veut avoir un résultat immédiat, elle nous apprend l'importance d'un travail assidu et sans relâche. Nous sommes tous interpellés et formatés par la mise à l'avant-plan par les médias d'un scandale ou d'un drame quelconque. Des médias qui créent un intérêt passager, superficiel, émotionnel, qui disparaît aussitôt, cédant la place à un autre scandale et un autre drame. Marie-Jo nous apprend l'importance de mener un combat à long terme avec un objectif précis.



Dans un monde où l'indifférence et le désintérêt sont poussés à leur comble, où l'égoïsme et l'individualisme sont propagés comme les valeurs des temps modernes, guidés par l'argent et le profit, elle nous propose une conception de la vie comme engagement pour l'autre et pour un monde juste.



Aussi a-t-elle pris le risque de s'engager. Membre d'Attac, du Mouvement de la paix, de France Palestine Solidarité, et de Solidarité Maroc, elle décide de se mobiliser sans connaître les deux détenus en question, sans avoir vécu dans ce pays, sans se poser des questions sur leur appartenance ou affiliation politique, sans calculer son intérêt, comme on en a l'habitude aujourd'hui. Il lui a suffi de ressentir l'injustice du système en place pour se lancer contre les murs de prison qui l'enfermaient. Si la lecture du livre de Gilles Perrault lui a ouvert les yeux sur le Maroc, c'est surtout dans la pratique et dans l'action, en allant sur le terrain, qu'elle s'est fait une image politique et sociale du Maroc.



Est-ce que ça vaut la peine de s'engager pour un ou deux détenus dans le tsunami de misère et d'injustice qui inonde notre monde ? La réponse de Marie-Jo est affirmative. Oui, nous dit-elle, notre action pour un seul homme peut faire la différence. Ne pourrions-nous pas laisser régler les injustices par nos États qui ont signé maintes conventions pour les droits de l'homme et contre la torture depuis la fin de la deuxième guerre mondiale ? Ne pourrions-nous pas laisser le travail pour la défense des droits de l'homme aux ONG qui se sont créées pour faire ce travail de manière professionnelle ? En réponse à ces questions, Marie-Jo Fressard nous tend un miroir. Elle nous appelle à revenir à cette idée originale de notre existence humaine, exprimée dans cette phrase de Zygmunt Bauman : « Dès qu'il y a l'autre, on est confronté à la responsabilité, au choix moral entre le bien et le mal. » A chacun de nous d'assumer cette responsabilité. 




Le livre de Marie-Jo Fressard nous permet de rencontrer et d'entendre ce soir le témoignage d'Ahmed Chahid. Ahmed, qui a passé 25 ans de sa vie derrière les barreaux, est un de ces témoins privilégiés des années de plomb. C'est Ahmed, avec ses codétenus, avec leurs familles, femmes et enfants, qui, par leurs luttes et leur souffrances, ont défié l'ordre des tortionnaires et qui ont su soulever des vagues de solidarité et de résistance. Ce sont eux qui sont à la base de volonté de changement qu'on a pu observer depuis la fin du règne de Hassan II. Ainsi, le livre de Marie-Jo est un livre contre l'oubli : il nous apprend que ce sont les luttes et les sacrifices de ces détenus, qui portent nos combats du présent.



On croyait que les années de plomb qu'ont vécues Ahmed et les milliers d'autres militants, étaient définitivement derrière nous. Que la page était tournée pour toujours.

Or, l'année 2008, l'année de libération des deux Ahmed, a été l'année de l'arrestation de
Ali Aarrass ainsi que des dizaines d'autres. Mêmes accusations, mêmes traitements, devant passer par les mêmes interrogations, les mêmes procès iniques, les mêmes tortures, les mêmes grève de la faim. Oui, des années de plomb on est entré dans les années du déni. Avant on frappait et on torturait et on ne s'en cachait pas. Aujourd'hui derrière une façade démocratique à l'occidentale, les autorités nient les mêmes pratiques. Et pourtant, c'est indéniable, « Les récits d'hier et d'aujourd'hui se ressemblent », résume Khadija Ryadi dans sa magnifique postface qui clôture le livre.


Dans notre campagne pour la libération d'Ali Aarrass et de tous les détenus politiques on a souvent dû entendre de la part des autorités et de la presse marocaine : « Occupez-vous de vos propres affaires. Le Maroc est un état de droit qui n'a pas de leçons à recevoir. Vous n'êtes que des donneurs de leçons d'un Occident qui se croit supérieur ».



Il est assez invraisemblable d'entendre ce genre de propos de la part des gens qui n'ont aucune difficulté à vendre leur pays aux multinationales ou à construire des prisons sécrètes à la demande de la CIA. 

Non, nous ne sommes pas des émissaires de vos amis Sarkozy ou Hollande, ou de Michel ou de Di Rupo, qui eux sont des vrais donneurs de leçons. Non, nous ne sommes pas des représentants de la forteresse Europe.

Nous sommes tout le contraire. Nous combattons la même politique en France, en Belgique, ou au Maroc, qui se cache derrière des façades différentes. Que vous le vouliez ou non, l'affaire d'Ali Aarrass EST une affaire internationale. Dans cette affaire, aussi bien vous, que l'Espagne et la Belgique avez été condamnés par les instances onusiennes et par la justice.



Notre combat est international. C'est le message du livre de Marie-Jo Fressard. C'est le message qu'on envoie de cette conférence de la part de tous les militants ici présents, autour de cette table. Dans ce monde globalisé, nous ne faisons plus partie d'une ethnie, d'une race, d'une nation. Nous faisons partie de la même famille humaine, du même peuple militant en lutte pour la paix et la justice. 

(Pour commander le livre voir www.antidote.be) 


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