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vendredi 16 octobre 2015

La marche verte: Instrument d’annexion territoriale



Le roi Hassan avec des officiers de l'armée marocaine. Photo: D.R.
Par: Dr. Keltoum IRBAH
Enseignante sociologie/Responsable académique, Career workshop
Geneva Business School, Suisse

En août 1974, le gouvernement espagnol abandonna son projet initial d’octroi de l’autonomie interne au Sahara Occidental et informa les Nations Unies de son intention d’organiser un référendum d’autodétermination au cours du premier semestre 1975. La CIJ de La Haye se pencha sur le statut juridique de ce territoire avant sa colonisation par l’Espagne en 1884. Cet arbitrage avait été sollicité par l’Assemblée Générale des Nations Unies suite à une résolution adoptée le 13.12.74. Le 16 octobre 1975, la Cour rendit son avis consultatif et se prononça en faveur de l’autodétermination du peuple sahraoui.
De manière à contrecarrer cette décision, le 16 octobre 1975, le roi Hassan II annonça le départ d’une marche de 350’000 personnes au Sahara Occidental avec pour finalité d’annexer ce territoire considéré comme une province marocaine.  L’essence de ce projet se voulait l’expression d’une nation à travers un instrument de persuasion et de pression. Afin d’appréhender les fondements de la Marche verte, il convient de situer cet événement dans une perspective historique et de mettre en exergue l’élément religieux invoqué dans le discours politique de la monarchie marocaine pour justifier l’annexion du Sahara Occidental. Si nous nous penchons sur les fonctions manifestes et latentes de sa conception, l’union nationale réalisée autour de la marocanité du Sahara Occidental permettait au roi Hassan II de consolider son pouvoir, raffermir la cohésion de l’opinion publique marocaine autour de la monarchie, d’atténuer les manifestations engendrées par la paupérisation de la société marocaine ; et détourner ainsi les critiques de l’opposition. L’objectif manifeste pour le Maroc était le transfert des pouvoirs avec la puissance administrante espagnole ; pour atteindre un tel dessein, l’armée marocaine fit preuve d’une grande capacité d’organisation.
Pour asseoir le projet de la marche verte sur la scène diplomatique, le roi Hassan II s’appliqua à orchestrer une grande campagne d’information en direction de l’étranger à laquelle il associa des personnalités gouvernementales mais aussi des chefs de l’opposition. Le 2 novembre 1975, durant l’agonie du Général Franco, Juan Carlos, nouveau chef d’État par intérim, se rendit au Sahara Occidental, à El Ayoun, accompagné du ministre de l’armée et du chef d’état-major interarmes pour préparer les officiers espagnols en place à l’idée de repli.
En ce qui concerne l’organisation de la Marche, des bureaux furent ouverts dans différentes provinces marocaines pour accueillir l’inscription des volontaires. Force est de relever l’impact retentissant qu’eut cette initiative sur le peuple marocain, l’étude de Weiner mentionne que plus de 500’000 Marocains décidèrent de participer à cette manifestation : à travers le pays, des centaines de milliers de personnes quittèrent leur travail, leur village, leurs familles pour se porter volontaires. Dès lors, les autorités politiques de Rabat décidèrent de tirer au sort les marcheurs.  La grande majorité des marcheurs appartenaient aux classes sociales défavorisées ; ils étaient pour la plupart des ouvriers agricoles saisonniers venus de la campagne ou de jeunes chômeurs des milieux urbains. Les marcheurs avaient été recrutés selon des quotas fixés pour chaque province, déterminés par des critères à la fois politiques et logistiques. Ainsi, les villes dans lesquelles le roi était moins populaire étaient systématiquement sous-représentées. La majorité des étudiants étaient exclus, les partis d’opposition qui avaient apporté leur soutien à la marche furent tenus à l’écart. Il faut par ailleurs noter que 43’500 participants, soit 12,5% du nombre total étaient des personnages officiels.
Des trains, puis des camions à partir de Marrakech permettaient d’acheminer les marcheurs, les vivres et l’eau jusqu’à la région de Tarfaya. Beaucoup de non-marcheurs, d’employés d’associations et de corporations apportèrent un soutien matériel en fournissant de la nourriture ou en récoltant des fonds spéciaux pour aider la marche.
Pour mieux saisir la représentation et l’impact de la marche verte au sein de la société civile marocaine, il convient également d’établir une corrélation entre les facteurs religieux et politique. En effet, les éléments religieux et politiques y sont fortement imbriqués, la monarchie marocaine s’affirme comme un pouvoir de droit divin. Cet événement comportait donc une connotation religieuse : la libération du Sahara Occidental, terre musulmane, est envisagée comme un objectif sacré. La Marche verte était perçue comme un acte de foi ; le roi évoqua sur un même plan le sentiment patriotique et religieux de la population marocaine, la couleur verte se référant à la couleur sacrée de l’Islam. Le roi Hassan II fit une analogie entre la marche verte et le retour du prophète Mahomet à la Mecque après son exil à Médine. Ainsi, il présenta la Marche comme une croisade religieuse conduite par lui-même en tant qu’Amir-Al muminin (commandeur des croyants); selon l’article 19 de la Constitution marocaine de 1972, le roi est Amir El Mouminin et représentant suprême de la nation. Le gouvernement marocain s’appliquait à renforcer son autorité de monarchie de droit divin. Aussi les marcheurs furent-ils encouragés à se considérer comme des moudjahidin, des combattants de Dieu, entreprenant une croisade à la fois sacrée et nationale pour chasser les infidèles. La marche verte se caractérise par une  dimension religieuse utilisée et instrumentalisée pour légitimer les convoitises de la monarchie alaouite. Le roi Hassan II s’adressa le 23 octobre à la population sahraouie en tant que commandeur des croyants et fit une analogie entre la Marche verte et l’enseignement du Coran en se basant sur la sourate el Fath (la victoire) : le Coran fut présenté comme une source d’inspiration. La référence au facteur religieux apparaît donc une composante déterminante du discours politique pour légitimer la Marche verte.
Sur le plan international, le 24 octobre 1975, le ministre marocain des Affaires étrangères, Ahmed Laraki, entama des pourparlers à Madrid. Le ministre espagnol de l’Information, Léon Merrera, fit savoir qu’un projet de loi serait soumis aux Cortès autorisant le gouvernement à prendre toute initiative jugée nécessaire pour mettre fin à l’administration espagnole du Sahara Occidental.  Le 8 novembre, le ministre espagnol chargé du Sahara, Antonio Carro Martinez, se rendit à Agadir où il rencontra Hassan II ainsi que le premier ministre et le ministre des Affaires étrangères.  Le même jour, Carro Martinez s’entretint avec le roi à Agadir, ce dernier ordonnant aux marcheurs de revenir au Maroc, à condition que toutes les dispositions soient immédiatement négociées à Madrid pour la cession du Sahara Occidental et le 9 novembre 1975 marqua l’annonce officielle de l’arrêt de la Marche, des négociations devaient en effet commencer avec l’Espagne. Le 11 novembre, une délégation marocaine se rendit à Madrid pour reprendre les négociations.  Le 12 novembre 1975, des pourparlers débutèrent à Madrid et aboutirent à l’accord du 14 novembre 1975 signé par l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie. Cet accord consacrait la revendication des droits « légitimes » que clamait le Maroc sur le Sahara Occidental. La signature des accords tripartites de Madrid revêt dès lors une importance prépondérante car ils vont officialiser l’annexion de facto du Sahara Occidental par le Maroc et la Mauritanie en 1975. Il convient de souligner l’appui explicite des États Unis à la monarchie marocaine, dans la mesure où ils se prononcèrent en faveur de l’accord de Madrid. Ainsi, ils s’abstinrent à l’Assemblée générale des Nations Unies, sur la résolution (3 458 A) qui prônait la tenue d’un référendum et votèrent pour la résolution (3 458 B) soutenue par le Maroc.  En effet, le 10 décembre 1975, l’ONU adopta la résolution 3 458 A (XXX) qui ne prenait pas en compte l’accord de Madrid mais demandait à la Puissance administrante l’organisation d’un référendum sous la supervision des Nations Unies et la mise en œuvre de tous les moyens nécessaires, de manière à ce que « tous les Sahraouis originaires du territoire exercent pleinement et librement, sous la supervision de l’ONU, leur droit inaliénable à l’autodétermination. » Le caractère illicite, nul et non avenu de l’accord tripartite est incontestable dans la mesure où l’AG de l’ONU n’a pas entériné l’accord mais a insisté sur le besoin d’exercice du droit d’autodétermination par le peuple sahraoui.
Le 27 février 1976, au lendemain du retrait de l’Espagne du Sahara Occidental, le Front Polisario proclama la naissance de la République arabe sahraouie démocratique. En avril 1976, le Maroc et la Mauritanie se partagèrent officiellement le territoire ; s’ensuivit d’âpres années de combats entre les parties belligérantes. Afin de mettre fin aux hostilités, le Conseil de sécurité des Nations Unies, par la résolution 690, envisagea en avril 1990 d’organiser un référendum ; cette proposition fut acceptée par les parties concernées, un cessez-le-feu est intervenu le 6 septembre 1991. Enjeu capital pour les parties concernées, l’objet du référendum est de permettre à la population du Sahara Occidental de choisir librement entre l’indépendance ou l’intégration au Maroc.
En dépit de l’existence d’un plan de paix onusien, le conflit s’enlise dans un statu quo qui accentue les souffrances du peuple sahraoui séparé dans les zones non autonomes confronté à l’arbitraire de la force occupante et les campements de réfugiés où l’urgence humanitaire est de plus en plus acérée. Le référendum, après moult reports n’a toujours pas eu lieu, ce qui met en exergue l’incapacité des Nations Unies à faire valoir les résolutions votées depuis le début de ce conflit et met à mal l’espérance d’un peuple las d’une communauté internationale qui fait fi de ses souffrances.
K.I.
1 La CIJ conclut que « les éléments et renseignements portés à sa connaissance n’établissent l’existence d’aucun lien de souveraineté territoriale entre le territoire du Sahara occidental d’une part, le royaume du Maroc ou l’ensemble mauritanien d’autre part. La Cour n’a donc pas constaté l’existence de liens juridiques de nature à modifier l’application de la résolution 1514 (XV) quant à la décolonisation du Sahara occidental et en particulier l’application du principe d’autodétermination grâce à l’expression libre et authentique de la volonté des populations du territoire.» § 162 de l’avis consultatif de la CIJ.
2 La Marche verte se déroula du 5 au 10 novembre 1975, il était demandé aux marcheurs de se munir d’un Coran et d’un drapeau national.
3 Quotidien français Libération, 3 novembre 1975, p. 7.
4 WEINER, J., « The Green March in Historical Perspective », in The Middle East Journal, vol. 33, n°1, hiver 1979, p. 31.
5 Le Monde, 26-27 octobre 1975, p. 4.
6 Le 25 octobre 1975, Le ministre Laraki conclut un arrangement avec Carro Martinez au sujet de la Marche verte. L’ambassadeur d’Espagne Adolfo Martin Gamero commenta les faits de la façon suivante : « Ils parvinrent à un accord tacite en vertu duquel les forces armées espagnoles devaient dé militariser dix kilomètres du Nord du Sahara, de sorte que la Marche verte puisse pénétrer sur le territoire pour vingt-quatre heures et repartir ensuite. » Témoignage aux Cortès, devant la Comisión de Asuntos Exteriores del Congreso, 14 mars 1978, El Pais, 15 mars 1978.
7 Cette délégation était composée du Premier ministre Ahmed Osman, du ministre des Affaires étrangères, Ahmed Laraki ainsi que du directeur de l’Office chérifien des phosphates.
8 Entre novembre 1975 et janvier 1976, les troupes ainsi que les fonctionnaires espagnols abandonnèrent l’ex-colonie.
9  Initialement prévu pour janvier 1992, le référendum a été par la suite ajourné.

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