- Par : Ayla Mrabet, Telquel, 13/1/2013
(Crédit photo : Alaoui My Abdallah)
La circulaire
émise par le ministre de la Justice Mustafa Ramid rend quasi impossible
l’attribution d’une Kafala aux musulmans, convertis ou de naissance,
résidant en dehors du Maroc. Zoom sur la consternation des candidats à
l’adoption.
“Lorsque
j’ai appris le refus en appel de notre dossier, j’étais à l’orphelinat,
Souhail dans mes bras. J’ai fondu en larmes. Après neuf mois d’enquête
en France et huit mois à venir régulièrement à l’orphelinat, à
s’attacher, à goûter le bonheur d’être parents et de rêver d’une vie
décente et aimante pour un tout-petit, le juge a rendu sa réponse, en
deux secondes. C’était non”. La voix de Meriem tremble, de colère,
d’épuisement, de tristesse. “Je n’ai jamais pu avoir d’enfants, et cela a
longtemps été une blessure pour moi. Lorsque je suis arrivée dans cet
orphelinat casablancais et que j’ai vu Souhail pour la première fois, je
me suis dit que la vie était bien faite, finalement”. Sauf qu’à 35 ans,
cette Marocaine de France est victime, avec son mari, de la partialité
de la circulaire Ramid. Publiée le 19 septembre dernier, elle appelle
les procureurs généraux près des cours d’appel et procureurs de
tribunaux de première instance à n’accorder la Kafala “qu’aux demandeurs
qui résident d’une manière habituelle sur le territoire national”,
négligeant, dans la foulée, les dossiers déposés avant la mise en place
de cette circulaire et les vies suspendues aux formalités
administratives.
Au nom de l’islam
Parmi
les arguments avancés par le ministre de la Justice et des Libertés :
“Protéger l’intérêt supérieur de l’enfant marocain”, “la possibilité de
s’assurer plus facilement et d’une manière efficace de l’existence des
conditions requises se rapportant aux demandeurs de la Kafala”, ainsi
que “l’aptitude du demandeur de la Kafala à élever l’enfant abandonné
selon les préceptes de l’islam”. En d’autres termes, les parents
adoptifs en devenir résidant hors du royaume pâtissent de l’incapacité
de l’Etat marocain à instituer un mode de suivi pour les enfants pris en
charge à l’étranger, héritant du statut d’hypothétiques évangélisateurs
pour les orphelins recueillis. “Mon mari s’est converti à l’islam bien
avant que je ne le rencontre. Après avoir été rejeté par sa famille pour
le choix de sa religion, voilà qu’au Maroc, où l’islam est religion
d’Etat, on doute de lui à cause de son prénom et de la couleur de sa
peau”, s’offusque Meriem. “Notre but n’est pas de transformer Souhail en
Raymond et de l’emmener à l’église ! Je suis prête à m’engager à amener
mon enfant devant le juge au Maroc, une fois par an, pendant les 17
prochaines années s’il le faut. Si les gens du consulat de France au
Maroc veulent venir une fois par mois, notre porte leur est ouverte. Le
roi, Amir Al Mouminine, ne m’a-t-il pas donné les mêmes droits que les
Marocains du royaume, en tant que MRE ?”, poursuit-elle. Dans son
désarroi, Meriem se sent obligée de prouver sa foi et celle de son
époux, de faire valoir la fraternité prônée par l’islam, d’expliquer que
la maîtrise parfaite de l’arabe – qui lui fait défaut et qu’on lui a
reprochée au tribunal – ne fait ni le bon croyant ni le bon parent.
“Moi, plus je m’intéresse à la Kafala, moins j’en ai envie”, assène
Soundouss. Cette journaliste casablancaise, potentielle candidate à la
Kafala, ressent cette circulaire comme une agression. “Avec des textes
du genre, qui me dit que d’autres ne s’ajouteront pas afin d’évaluer si
mon enfant connaît toutes ses sourates par cœur, ou si je devrais passer
un test jugeant de mon attachement à l’islam ?” Elle renchérit : “Il y a
des milliers d’enfants abandonnés dans des conditions horribles, les
orphelinats débordent... Les gens qui ont approuvé cette circulaire
sont-ils au fait de la situation des orphelins ? Ont-ils des enfants ?
S’inquiètent-ils pour eux ? Comment peuvent-ils, du jour au lendemain,
les priver de parents auxquels ils se sont attachés ? Au nom de quel
islam ?”.
Appel au bon sens
François
et Chantal sont suisses musulmans. Au lieu d’opter pour une adoption
plénière, interdite en islam, le couple de cinquantenaires a fait le
choix de la Kafala. Les huit derniers mois de leurs vies ont été rythmés
par leurs visites à l’orphelinat casablancais Lalla Hasna, duquel ils
espéraient repartir, avec un petit Youssef entre les bras. “Il a été
recueilli dans la rue, une nuit d’hiver, par la police”, raconte le papa
en stand-by. “On ne veut pas l’abandonner une deuxième fois”. S’ils
sont presque sûrs que leur requête sera refusée, ils pensent tout de
même à passer devant la commission et envisagent déjà l’appel, dans
l’espoir qu’un juge puisse avoir le bon sens de passer outre la
circulaire. “Si c’est l’unique solution, nous viendrons nous installer
au Maroc. Ce ne sera pas facile de quitter notre famille et notre
travail, mais on ne s’imagine plus vivre sans Youssef”. Son épouse
renchérit : “Il existe une convention internationale datant de 1996 et
ratifiée par le Maroc, qui pourrait satisfaire les autorités du royaume.
Elle stipule qu’elles peuvent à tout moment demander aux autorités
concernées —La Suisse et la France, entre autres, en sont signataires—
un rapport sur l’état de l’enfant. Je ne sais pas si cette convention a
été oubliée, mais elle permet de faire un vrai suivi, et interdit de
convertir ou d’ôter sa nationalité à l’enfant adopté”. En attendant, ils
gardent l’infime espoir que la circulaire marocaine puisse être
retirée, ou qu’une autre vienne préciser que les cas en cours peuvent
aller jusqu’à leur terme. “Cette circulaire est une impasse qui plonge
énormément de gens dans la souffrance. Je ne doute pas de l’envie de
Mustafa Ramid de protéger les enfants, mais je crois qu’il a raté son
objectif en mettant dans le même sac des trafiquants d’enfants, des
évangélistes et des personnes sincères, qui ne veulent qu’accueillir un
orphelin et l’élever”, conclut François. À bon entendeur…
Statistiques. Les chiffres de la honte
Afin
de réagir au texte du ministère de la Justice et des Libertés, le
collectif Kafala, composé de six structures (SOS Villages d’Enfants,
l’association Bébés du Maroc, la Fondation Rita Zniber, l’association
Dar Atfal Al Wafae, l’association Osraty et l’association Amis des
Enfants) a lancé une pétition appelant au retrait de la circulaire du 19
septembre. Il est rappelé que 24 enfants par jour sont abandonnés au
Maroc, soit 6000 enfants tous les ans. Le collectif souligne aussi que
“les demandes de Kafala formulées par les familles marocaines sont trop
peu nombreuses et que les enfants qui restent dans les orphelinats
deviennent à 80% des délinquants, se suicident dans 10% des cas et ne
sont socialement insérés qu’à raison de 10%”. À ce jour, cette pétition
n’a récolté que 1480 signatures.
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