Par Zineb El Rhazoui, 20/1/2011
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Au royaume chérifien, il règne un calme précaire depuis le 14 janvier. Dans la soirée de ce vendredi, de nombreux marocains ont fêté la chute du despote de Carthage dans les bars de Casablanca ou Rabat, mais les démonstrations de joie, pourtant sincères, s’arrêtent là. C’est que le makhzen guette. La veille, des dizaines d’activistes avaient organisé un sit-in de solidarité populaire devant l’ambassade de Tunisie, ils ont été chassés à coups de matraques par la police de Mohammed VI. Dès l’annonce de la fuite de Ben Ali, ces mêmes irréductibles sont revenus, victorieux, devant l’ambassade, reçus cette fois-ci par des policiers d’apparence affable. Manifestement, la révolution tunisienne dérange au Maroc.
Aucune déclaration officielle du gouvernement, aucun parti politique n’a osé se prononcer, et à de rares exceptions près, ce qui reste encore de la presse marocaine a préféré regarder ailleurs. Les trois chaînes nationales, quant à elles, ont imperturbablement ouvert leurs journaux télévisés sur les activités royales, comme cela se fait depuis que la télévision a vu le jour sous Hassan II.
Est-ce le calme avant la tempête? La panique dissimulée des officiels marocains pourrait le laisser croire, car au royaume chérifien, le régime de Ben Ali était érigé en modèle. A son avènement en juillet 1999, Mohammed VI, jeune monarque en manque d’assurance, soucieux de donner des gages de changement, avait parlé de “nouveau concept d’autorité” pour rompre avec les pratiques policières du régime de son père. Mais les attentats islamistes du 16 mai 2003 à Casablanca sont venus marquer un tournant dans la politique marocaine. Le roi avait alors annoncé dans un célèbre discours “la fin de l’ère du laxisme”. Depuis, le régime marocain n’a cessé de prendre une tournure résolument “Benalienne”.
Comme en Tunisie, le modèle marocain a parié sur un développement économique expéditif pour escamoter son tour de vis sécuritaire. Des journaux et des associations ferment, mais peu importe, puisque des grandes surfaces et des enseignes internationales ouvrent leurs portes. Comme en Tunisie, le roi et son entourage se taillent la part du lion dans cet essor économique de façade, davantage mû par la voracité d’une caste aux commandes que par un climat sain propice aux affaires. D’ailleurs, la gêne du régime marocain face à l’effondrement de l’allié tunisien s’explique aussi par leurs liens économiques interlopes. La banque marocaine Attijariwafabank, contrôlée par la holding royale ONA/SNI, avait même racheté la Banque du Sud, banque privée tunisienne présidée par Sakhr El Materi, gendre controversé de Ben Ali. Ainsi, non seulement celui-ci se retrouve associé à Mohammed VI en personne, mais il y a quelques mois à peine, il été reçu en grande pompe au Maroc où sa société de vente de voitures sera la première société étrangère à entrer en bourse de Casablanca, lui permettant de lever des capitaux au royaume chérifien. Si la France a annoncé le gel de toute transaction sur les comptes bancaires des Ben Ali, le Maroc n’en a pourtant rien fait.
Comme en Tunisie, il y a quelque chose de pourri dans le royaume de Mohammed VI. Bien avant Mohamed Bouazizi, des diplômés chômeurs marocains se sont immolés par le feu, mais dans l’indifférence générale. Depuis qu’il est monté sur le trône, des émeutes ont éclatés à Sefrou, Sidi Ifni, Al Hoceima, et plus récemment à Lâayoune, elles ont toujours été réprimées dans la violence. Pourquoi cela n’a-t-il jamais abouti à une révolution? Parce que Mohammed VI n’a négocié sa transition que grâce à la création de soupapes de liberté. Celles-ci, loin d’avoir mis le Maroc sur les rails de la démocratie, rétrécissent au fur et à mesure que le monarque prend de l’assurance. Aujourd’hui, il a laminé la presse, l’opposition, la société civile et les libertés individuelles. Réduites à leur portion congrue, ces soupapes risquent bien de faire exploser le couvercle du régime, comme en Tunisie.
Article paru dans le Jeudi du Luxembourg
http://voxmaroc.blog.lemonde.fr/2011/01/20/le-regime-marocain-orphelin-de-ben-ali/
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