L’islam n’est pas en odeur de sainteté en Occident. Plusieurs
campagnes et productions culturelles islamophobes occidentales le
dépeignent sous des traits négatifs. Suscitant frustrations, colères ou
découragement parmi les musulmans dans le monde. Mais les violentes
réactions d'une partie des musulmans contribuent au renforcement de ces
mêmes stéréotypes qu’ils disent pourtant antinomique avec l’islam.
L’histoire des relations entre l’Occident (héritier de la Vieille
Europe chrétienne) et les mondes de l’islam est marquée par plusieurs
épisodes de tentions, parfois extrêmes. D’où la grande méfiance cultivée
des deux côtés du miroir et qui constitue aujourd’hui la toile de fond
de leurs relations. Les expéditions occidentales coloniales, les
interventions directes dans les affaires domestiques de nombreux pays
musulmans, l'essor des nationalismes, les nombreux attentats terroristes
d’envergure, dont celui du 11 septembre 2001, et la politique de
changement de régime à coup de canon du botté George W. Bush, parmi
d'autres événements historiques, n’ont fait qu’aggraver ces tensions.
Quand des musulmans ruinent l’image de l’islam...
En voulant fustiger un brûlot islamophobe, ''l’innocence des
musulmans'', des imams ultra conservateurs et salafistes et des
animateurs de télévision égyptienne ont permis de sauver ce navet
américain de l’oubli et lui ont donné une audience et un souffle
inespérés. La diffusion des extraits de ce film américain sur YouTube a
mis le feu aux poudres dans plusieurs pays musulmans. Des milliers de
manifestants égyptiens, dont des salafistes très motivés, ont ouvert le
bal. Ils ont pris pour cible l’ambassade américaine au Caire.
Quelques-uns des leurs ont escaladé le mur de la représentation, déchiré
la bannière étoilée et hissé à la place un drapeau salafiste. Un signe
de provocation symbolique destiné à choquer le gouvernement et l’opinion
publique aux États-Unis! Les manifestations devant des représentations
américaines ont depuis fait tache d’huile: Maroc, Tunisie, Soudan,
Yémen, Irak, Iran, Israël… Avec au menu des affrontements avec les
forces de l’ordre. La blogosphère et les réseaux sociaux arabes se sont à
leur tour enflammés. Plus grave encore: l’assassinat, le 12 septembre,
de l’ambassadeur des États-Unis en Libye et la destruction de leur
consulat à Benghazi.
Tous ces manifestants se plaignent de la même chose: une campagne
visant délibérément à ternir l’image de la religion islamique.
En manifestant de manière violente leur colère et surtout en
assassinant l’ambassadeur Christopher J. Stevens, une personnalité
connue pour son attachement au monde arabe, des musulmans fanatisés ont,
encore une fois, porté atteinte à l’image de l’islam, qu’ils disent
pourtant vouloir défendre. Tout comme lors de précédents épisodes
controversés: la fatwa de l’ayatollah Khomeiny contre l’écrivain
britannique Salman Rushdie, les menaces contre les caricaturistes du
prophète Mohamed… Sans oublier ce délire jihadiste de guerre totale
contre ''les Juifs et les Croisés'' et les tueries perpétrées au nom de
l’islam dans plusieurs régions du monde.
À chacune de ces fois, une minorité fanatisée de musulmans a pris en
otage la majorité des musulmans et les a mis au ban des nations. Donnant
de surcroît de l’islam l’image peu reluisante d’une religion violente,
sectaire et hostile à toute expression libre de la pensée humaine. C’est
pourquoi au lieu de contribuer à faire reculer les expressions
culturelles de l’islamophobie en Occident, les stéréotypes les plus
négatifs sont appelés à s’ancrer encore davantage dans l’imagine
occidental et même du reste du monde.
En réagissant de manière violente (et disproportionnée) à toute
expression culturelle islamophobe, ces musulmans donnent l’impression
d’être à la fois déconnectés de la modernité et hostiles à la liberté.
Mais ne savent-ils pas que l’Occident est un havre de liberté de pensée
et de croyance? Ignorent-ils que dans un pays comme les États-Unis, la
liberté est une valeur sacrée, dont l’expression est protégée par la Loi
fondamentale du pays? Et qu'en conséquent, le gouvernement ne peut
intervenir pour empêcher un créateur d’aller jusqu’au bout de sa
démarche aussi contestable soit-elle? Ont-ils oublié que quand des
islamistes et des salafistes fuyaient les persécutions politiques ou
religieuses des régimes autoritaires arabes (Égypte, Tunisie, Libye,
Yémen...), c'est dans ces havres de liberté et de tolérance qu'ils se
refugiaient?
En attaquant les représentations diplomatiques d’une démocratie où a
''fleuri'' le brûlot objet du scandale ''islamique'', ces extrémistes
croient pouvoir obliger ce pays à faire plier ses créateurs littéraires.
Ils montrent ainsi l’étendue de leur ignorance du fonctionnement du
phénomène créatif en Occident et du rapport entre les institutions et
les acteurs littéraires. C’est comme s’ils les imaginaient à l’identique
à ce qui se passe dans leurs pays en matière de censure
gouvernementale. Plus grave encore: ils donnent l’impression de vouloir
imposer, par la violence et l’intimidation, leur ordre liberticide à des
pays à la pointe de la liberté.
S’il est vrai qu’il faudrait prendre en considération les dimensions de
manipulation et de lutte pour le pouvoir entre islamistes et salafistes
dans des pays en transition démocratique (Tunisie, Égypte, Libye), un
fait frappe quand même l’observateur. C’est cette ''disponibilité''
d’une frange de la population (pas nécessairement désœuvrée) à
l’embrigadement chaque fois qu’on tente de la mobiliser au nom d'une
soi-disant ''défense de l’islam''. Cette partie de la population
manipulée donne l’impression de favoriser l’affect au détriment de la
raison et de l’esprit critique. Ce faisant, elle montre les tares
hérités des régimes autoritaires déchus, notamment dans le domaine de
l’éducation.
… et nuisent à l’intérêt national de leurs pays
Depuis son arrivée au pouvoir, Barack H. Obama a multiplié les gestes
d’apaisement et de rapprochement avec le monde islamique. Il a également
favorisé les échanges entre les jeunes américains et ceux issus du
monde musulman et encouragé les investissements dans cette partie du
monde. Son discours historique du Caire est une rupture avec la
rhétorique néoconservatrice de George W. Bush. Au grand dam des
conservateurs, de l’extrême droite et des partisans de la théorie du
choc des civilisations dans son pays et ailleurs.
Il a appuyé de tout son poids le Printemps arabe. Son concours a été
précieux pour les révolutionnaires de Place Tahrir au Caire et pour la
chute du tyran Kadhafi. Il n’a nullement entravé l’arrivée pacifique au
pouvoir de forces islamistes dans des pays comme la Tunisie, l’Égypte et
la Libye. Son pari est que le monde arabe peut lui aussi rejoindre la
''famille'' démocratique.
Plongé en pleine campagne pour la présidence américaine, le candidat
démocrate n’avait besoin d’aucune distraction qui ajouterait de l’eau au
moulin de son adversaire néoconservateur, Mitt Romney. Mais c’était
sans compter avec l’émotivité et la réactivité violente d’une partie de
la ''rue'' arabe face au navet ''Innocence des musulmans''. Étant sur la
défensive en lien avec les récents développements nord-africains, le
président sortant a déclaré que Mohamed Morsi n’était ni l’allié ni
l’adversaire des États-Unis. Ce qui équivaut à une prise de distance
avec le président d’un allié pivot de Washington au Moyen-Orient. Cette
déclaration traduit également l’exaspération du Département d’État du
double jeu de la confrérie des Frères musulmans, dont est issu M. Morsi.
Tout en présentant ses condoléances aux États-Unis pour la mort de M.
Stevens à Benghazi, elle a appelé à une ''manifestation du million''
demain au Caire, juste après la prière du vendredi, en signe de
protestation contre le navet américain. Et son illustre membre est sorti
de sa discrétion pour demander aux autorités américaines de poursuivre
le réalisateur du brûlot. Si l’enjeu politique de la démarche des Frères
musulmans est limpide, il est en revanche permis de s’étonner de cette
demande d’un ancien diplômé d’une université américaine…
Quand on est un pays dont une partie importante de la population vit
des retombées de l'industrie du tourisme (comme c'est le cas en Égypte,
au Maroc et en Tunisie), on serait mieux inspirés à faire attention aux
mouvements d'humeur des pays d'origine des gros contingent des
touristes. À coup sûr, les images des manifestations violentes dans ces
pays n'inciteront pas les opérateurs à suggérer ces destinations à leurs
clients. Ce qui va se traduire inévitablement sous forme de reculs
significatifs des recettes publiques et d'augmentation du chômage et de
la pauvreté. Handicapant encore davantage des services publics déjà
largement déficients.
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Cette nouvelle crise devrait servir de cas d'école au monde musulman
pour l'aider à tirer les leçons qui s'imposent. Il faudrait par exemple
cesser de s'enflammer à la parution en Occident de la moindre expression
culturelle islamophobe. Au lieu de recourir pendant ces périodes à la
violence contre des intérêts et personnels occidentaux, les mécontents
pourraient par exemple développer un discours alternatif et faire valoir
leurs arguments. Autrement, ils deviendraient la ''cinquième colonne''
des islamophobes qu'ils abhorent. Plus important, les musulmans feraient
mieux de s'adapter aux exigences du monde moderne en termes, entre
autres, de la liberté d'expression.
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Au Maroc
http://youtu.be/CdbN77an7f8
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