- Par : Karim Boukhari, Telquel, 14/9/2012
(DR)
Un obscur cinéaste
américain du nom de Sam Bacile, inconnu au bataillon, a eu l’idée de
filmer une sorte de pamphlet retraçant le parcours de Mohammed, le
prophète de l’islam. Personne n’a vu le film au doux nom de Innocence of
muslims, qui n’a presque eu aucune carrière commerciale, mais des
millions d’internautes ont créé le buzz après avoir visionné des
extraits de la bande-annonce, une quinzaine de minutes qui tournent en
boucle sur les réseaux sociaux.
Qu’y voit-on ? Les pires clichés
véhiculés sur l’islam et son messager : violence, racisme, sexisme,
pédophilie, etc. Le “bidule” tourné par Sam Bacile, qui a tout du
parfait nanar, mérite sans doute sa place au cimetière des plus mauvais
films jamais réalisés. En plus d’être, à sa manière, très approximative,
une sorte de film à thèse, une démonstration que l’islam est le pire
ennemi de notre époque. Bête, stupide et méchant.
Bien
entendu, l’histoire ne s’arrête pas là et la suite ressemble,
aujourd’hui, à la boutique des horreurs. Dans un monde arabe qui
continue de refuser toute représentation du prophète, et dont la
susceptibilité plafonne toujours à des sommets alarmants, la foule en
colère s’en est pris…à l’Amérique. En Libye, des terroristes (comment
les appeler autrement ?) sont allés jusqu’à attaquer le consulat
américain de Benghazi, tuant au passage l’ambassadeur Christopher
Stevens. D’autres manifestations ont lieu devant les représentations
américaines dans le monde arabe. Dont l’une, importante, à Casablanca,
où des centaines de personnes se sont rassemblées pour prier et
protester…contre un très mauvais film américain qu’elles n’ont pas vu.
Et
voilà comment le monde arabe, pourtant en plein “printemps”, a
commémoré le 11ème anniversaire des attentats du 11 septembre 2001 : en
tuant un diplomate américain. Et en semant la confusion générale : à
cause du timing si particulier du 11 septembre, mais aussi à cause du
profil du diplomate, Christopher Stevens étant connu pour son soutien au
Printemps arabe.
L’affaire du film
américain ressemble à une arme de destruction massive. Elle est pire que
celle des caricatures du prophète parues dans un journal danois en
2007. Pire aussi que l’histoire d’un autre cinéaste, le Hollandais Théo
Van Gogh, assassiné en 2004 pour avoir réalisé un autre mauvais film,
Submission. L’affaire Innocence of muslims porte en elle tous les germes
destinés à faire tourner la tête du manifestant arabe moyen : le film
est réalisé par un Américano-Israélien qui considère l’islam comme “un
cancer”, et il a été principalement soutenu par un blogueur copte
égyptien et un pasteur américain islamophobe. Avec les Etats-Unis et
Israël comme toile de fond, et la double opposition musulmans –
chrétiens et Islam – Occident pour faire monter la température, secouez
tous ces ingrédients et lâchez dans la nature : le cocktail est mortel !
A
ce stade, la tentation est grande d’emprunter tous les raccourcis du
monde. A commencer par l’idée selon laquelle l’Amérique a fabriqué le
Printemps arabe dont les vainqueurs, les salafistes, se retournent
contre elle. Simpliste. Nous n’avons ni le recul, ni les éléments pour
étayer ce qui ressemble, pour le moment, à une déclinaison de la fameuse
théorie du complot (anti-arabe, anti-islam, etc.).Avant d’aller aussi
loin, revenons simplement à l’objet de la discorde : Innocence of
muslims. Ce n’est qu’un mauvais film, un de plus, que l’on peut éviter
de voir, ou que l’on peut voir, nous énerver quelques minutes durant, et
oublier. Ni plus ni moins.
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