Association
de Défense des Droits de l’Homme au Maroc
ASDHOM 79, rue
des Suisses 92000 Nanterre
|
Par le Bureau exécutif de
l’ASDHOM,Paris, le 30 mai 2013
Dimanche noir pour la liberté de manifester au Maroc
Le mouvement 20-Février et ses
soutiens avaient appelé à des rassemblements pacifiques le dimanche 26 mai
2013.
Si les rassemblements d’Imzouren
et de Tanger dans le Nord du Maroc ont été purement et simplement interdits et
se sont dispersés sans heurts, ceux de Casablanca et de Rabat ont été violemment
dispersés.
Le rassemblement de Rabat a, lui,
été prévu à la place Bab El-Had. Lorsque les manifestant-e-s ont commencé à
affluer vers 18h, la place était déjà cernée par des cordons des forces de
l’ordre. Alors qu’aucune interdiction du rassemblement n’a été notifiée, ces
derniers ont chargé sans sommation les militant-e-s en usant de toutes formes de
violence : Tabassage, humiliation, menaces, insultes,
etc.
Plusieurs militant-e-s du
mouvement 20-Février ainsi que des syndicalistes et des défenseurs des droits
humains, venus les soutenir, ont été malmenés et blessés, piétinant ainsi la
Convention internationale pour la protection des défenseurs des droits de
l’Homme que l’ONU a adoptée le 9 décembre 1998.
Leur seul tort : manifester
pacifiquement pour demander la libération des prisonniers politiques qui
croupissent dans les geôles marocaines.
Les images qui nous sont parvenues
montrent la violence inouïe et disproportionnée de l’intervention des forces de
l’ordre.
Ceci confirme, si besoin est, la
tendance au Maroc ces derniers mois vers :
- Un durcissement de la
répression
- Une recrudescence des
arrestations
- Des procès en cascades et des
peines d’emprisonnement à l’encontre de manifestants, de syndicalistes et de
défenseurs des droits humains pour « rassemblement non autorisé ou armé,
destruction de biens publics, insultes et outrage à fonctionnaire d’Etat dans
l’exercice de ses fonction, etc. »
Cette situation ne peut par
conséquent qu’augmenter le nombre de prisonniers politiques, syndicaux et
d’opinion au Maroc.
Tout en soutenant les
manifestant-e-s, victimes des interventions violentes des forces de l’ordre
marocaines, l'ASDHOM alerte l'opinion publique internationale sur l’escalade
répressive des autorités marocaines et dénonce les graves violations des droits
humains constatées dernièrement.
L’ASDHOM interpelle les
responsables marocains sur leur devoir de se conformer à leurs engagements
internationaux et au texte même de la Constitution marocaine en termes de
respect des droits de l’Homme. Les pratiques des forces de l’ordre marocaines
sont à l’opposé des libertés fondamentales dont la liberté de manifester, la
liberté d’expression et d’opinion, qui sont censées être garanties. Elle réclame une enquête impartiale sur les violences
policières du dimanche 26 mai pour que les responsables de cette répression
répondent de leurs actes devant la justice et pour que cesse
l’impunité.
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Abdelhamid Amine : «La vie sans dignité, c’est une vie d’animal»
- Écrit par Abdelhamid Amine, 30/5/2013
Le militant des droits humains Abdelhamid Amine (69 ans),
revient sur la violence et l'humiliation que lui ont fait subir les
forces de l'ordre dimanche 26 mai 2013 à Rabat, à l'occasion de la 27ème
journée nationale d'action du Mouvement du 20 Février. Amine décrit sa
souffrance physique et morale alors qu'il a été trainé sur la chaussée
par ceux qui voulaient l'empêcher de manifester. Témoignage.
Tout d'abord, une manifestation pacifique a été organisée par les
syndicalistes de l'Union Marocaine du Travail et leurs sympathisants,
devant le siège régional de l'UMT à Rabat. L'objectif de cette
manifestation était de protester contre la décision d’interdire l’accès
au siège de l'UMT certains militantes et militants qui s’opposent à la
bureaucratie corrompue. Depuis cette interdiction, plus d’une vingtaine
de manifestations pacifiques similaires ont été organisées. Certaines
coïncidaient avec des manifestations du Mouvement du 20 Février, sans
que les forces de sécurité n’interviennent. Ainsi, quand la
manifestation a démarré à l’heure prévue, les manifestants ont commencé à
scander des slogans tels que «syndicaliste et fier de l’être, mais je ne suis ni vendu ni acheté», ou «l’Union est un bastion libre, et que la corruption dégage», ou «nous sommes venus protester car ils nous ont interdit l’accès au siège» et enfin «par l'unité et la solidarité, nous atteindrons nos objectifs».
Dix minutes après, les forces de sécurité sont intervenues, d’une
façon "soft" au début, puis, avec violence pour disperser la
manifestation pacifique. Ils ont employé gourdins, coups de pied et
insultes. Certains militants ont été blessés. Moi, j’ai été bousculé
assez violemment. Ainsi, la manifestation a été vite dispersée…
Vers 18h, heure prévue pour le début de la manifestation du Mouvement
du 20 Février à Rabat, les militants de ce mouvement, dont moi-même,
ont commencé à affluer vers la place Bab El Had, point de rencontre
habituel. J’ai remarqué que les forces de sécurité encerclaient la
place qui est restée déserte. Pour autant que je sache, les
organisateurs n’ont reçu aucune décision d'interdiction, comme le wali
de Rabat avait l’habitude de le faire en pareilles circonstances.
Soudain, et sans passer par les sommations légales classiques
(annonce par mégaphone que la manifestation est interdite), les agents
de sécurité ont commencé à violenter les militants et les citoyens en
usant de gourdins, de coups de poings, de coups de pied, d’insultes
vulgaires, et en traînant certains à même le sol, comme on peut le voir
sur les bandes vidéos et les photos publiées par les journalistes sur
Internet.
« J’ai été traité comme les moutons de l’Aïd »
A 18 heures, je me tenais debout avec quelques camarades à la place
Bab El Had dans l’attente du début de la manifestation. J’ai donc
assisté, sans bouger de là où j’étais, au début des violences
policières. La police m’a demandé de quitter l’endroit mais j’ai refusé,
en absence d’un prétexte raisonnable. Ils ont pu disperser des
manifestants, qui se sont rassemblés à cinquante ou cent mètres de la
place Bab El Had, scandant des slogans de protestation contre la
répression et revendiquant la libération des détenus politiques (qui
était le thème central de la 27ème journée nationale d’action).
Quand la police s’en est prise à moi, j’ai été poussé et j’ai reçu des
coups de pied. J’ai trouvé qu’un seul moyen d'auto-défense: m’asseoir
par terre. A partir de là, j’ai été tiré et traîné sur le sol sur
plusieurs dizaines de mètres. Ce procédé est une double torture:
d'abord, c’est le moins grave, est d’ordre physique en raison des
douleurs aux épaules, au dos, aux articulations, surtout si vous
souffrez de rhumatisme.
-Deux, c’est la torture morale et psychique: quand je suis trainé par
terre, je pense au mouton de la fête religieuse du sacrifice Aïd El
Adha, qui, une fois égorgé, est trainé de la même façon pour éviter que
la laine de sa peau ne soit tachée de sang. Je vous laisse imaginer le
traumatisme causé à un patriote qui milite depuis l’âge de 9 ans, qui a
connu toutes sortes de répressions, et qui se retrouve à 69 ans en train
d’être traité par le makhzen exactement comme on traite un mouton qu’on
vient d’abattre. C’est le sommet de l'humiliation et du mépris de la
dignité humaine. C'est pourquoi après m’être retrouvé jeté de l’autre
coté, je me suis mis debout pour crier encore et encore : « Dignité,
liberté, justice sociale ». Je suis donc retourné à mon endroit initial,
sans me soucier des conséquences. Car la dignité est pour moi plus
importante que toute autre chose, et plus importante que la vie
elle-même, parce que la vie sans dignité, c'est la mort de l'Homme,
c’est une vie d’animal.
La même scène s’est répétée à quatre ou cinq reprises : à chaque fois
j’ai été trainé par terre et tenu à l’écart, par la force, de Bab El
Had. J’y suis retourné à chaque fois. J’ai reçu des coups de pieds de la
part de certains policiers sadiques, ainsi que des coups de
talkie-walkie sur la tête de la part d’un responsable sécuritaire qui a
disparu peu de temps après que j’aie dénoncé publiquement son
comportement fasciste. J’ai reçu un autre coup sur la tête sans en
connaître la source.
À un certain moment, lorsque la police s’est aperçue que leurs
méthodes peu élégantes n’étaient pas efficaces, elle a décidé d’accéder à
la place Bab El Had en dressant un cordon composé de dizaines de
policiers et d’agents des Forces auxiliaires.
En même temps, j’observais que la place Bab El Had était redevenue
accessible pour tous les autres manifestants. Ceci confirmait le
caractère arbitraire et stupide de cette décision. Ceci a eu pour effet
de renforcer ma détermination à défendre ma dignité quel qu’en fût le
prix. La dignité, à cet instant, est devenue synonyme de mon retour
sans condition à mon endroit initial afin que chacun assume sa
responsabilité. Comme je ne disposais pas du numéro de téléphone du Wali
de la région, j’ai téléphoné à Mr Rochdi, directeur des affaires
générales à la wilaya pour lui dire ce qui se passait, l’informer de la
décision prise par les forces de sécurité et lui faire part de ma forte
détermination à revenir à Bab El Had. En même temps, en raison de mon
état de santé devenu préoccupant, certains de mes amis autorisés à
rester à mes côtés se sont inquiétés des effets des coups que j’avais
reçus sur la tête. Ils ont insisté pour que je sois transféré aux
urgences médicales dans l’ambulance qui était stationnée sur place. J'ai
refusé. J’ai refusé d’accepter la décision qui limitait arbitrairement
ma liberté de mouvement dans un lieu public.
Séquestré dans un coin de rue
À cet instant, ma femme m'a rejoint et m’a soutenu. J’ai alors décidé d'écrire sur une bannière en papier: «Abdelhamid Amine, militant du Mouvement du 20 Février, assiégé par la police».
Une fois que j'ai fini d'écrire, l’a police me l’a arrachée brutalement
et l'a déchirée. Ensuite, ils se sont jetés sur moi et m’ont attrapé à
quatre, chacun tenant un de mes membres, pendant que ma femme criait
devant cette scène horrible. J’ai été transporté dans cette posture, sur
une centaine de mètres, vers une petite ruelle sans issue. Une fois de
plus, je me suis trouvé devant une décision étrange : interdit par la
police de quitter la ruelle dans laquelle je me suis trouvé en compagnie
de ma femme, complètement effondrée.
J’ai donc protesté encore contre cette détention dans une ruelle sans issue. Il s'agissait de la deuxième décision étrange contre ma liberté de mouvement. J’ai crié: « Pourquoi vous violez la loi de cette façon brutale ? Si j’ai commis un crime, vous devez m’arrêter tout simplement au lieu de m’empêcher d’aller à Bab El Had ou de me bloquer dans une ruelle sans issue ».
J’ai donc protesté encore contre cette détention dans une ruelle sans issue. Il s'agissait de la deuxième décision étrange contre ma liberté de mouvement. J’ai crié: « Pourquoi vous violez la loi de cette façon brutale ? Si j’ai commis un crime, vous devez m’arrêter tout simplement au lieu de m’empêcher d’aller à Bab El Had ou de me bloquer dans une ruelle sans issue ».
C’est alors que le responsable des opérations de sécurité (qui
m'avait déjà informé de mon interdiction d’accéder à la place Bab El
Had) est venu me voir et m'a dit à voix haute :
- Non, non, vous n'êtes pas en détention, vous êtes libre, je
vous en prie, sortez, vous êtes libre. En fait, que voulez-vous Mr
Amine? Que revendiquez-vous ?
- Vous connaissez bien ma revendication.
- Que voulez-vous donc ?
- Vous m’avez humilié et insulté ma dignité. Je veux une
réparation au moins partielle de ce préjudice, je veux donc revenir à
Bab El Had.
Il a accepté. C'est ainsi que j'ai pu y retourner avec ma femme. En
arrivant, j’ai embrassé le sol deux fois, puis j’ai encore crié avec mon
épouse et d'autres militants : « Liberté, dignité, justice sociale ».
Il était environ 21 heures.
Après cela, nous sommes allés aux urgences de l'hôpital Avicenne. La vie continue, la lutte aussi.
Il ne faut pas que ce qui s’est passé ce 26 mai à Rabat aille aux
oubliettes, car il montre que rien n’a vraiment changé au Maroc. Le
Makhzen peut toujours changer son discours, il peut modifier la
constitution et il peut changer son gouvernement, mais il est incapable
de changer sa nature anti-démocratique et anti-droits de l’Homme.
Un certain nombre de militantes et militants envisagent de poursuivre
en justice les responsables de violations graves du 26 mai. Quelle est
l’utilité de cette démarche tant que la justice n’est pas indépendante ?
Je pense personnellement que la réaction utile est de renforcer les
forces démocratiques anti-makhzen et les unir dans le cadre du Mouvement
du 20 Février, sur la base des revendications faites contre la
tyrannie, l'oppression, l'injustice, la corruption, et la lutte pour un
Maroc de la dignité, de la liberté, de l'égalité, de la justice sociale,
de la démocratie et des droits humains pour tous.
Je remercie toutes les personnes, tous les organes et aussi tous les
médias qui ont exprimé leur solidarité avec moi et avec les autres
victimes de la répression de la manifestation du 26 mai à Rabat.
Liberté immédiate pour les prisonniers du Mouvement du 20 Février et tous les prisonniers politiques.
Vive le Mouvement du 20 Février. Vive le peuple.
http://fr.lakome.com/index.php/chroniques/864-abdelhamid-amine-la-vie-sans-dignite-c-est-une-vie-d-animalhttp://fr.lakome.com/index.php/chroniques/864-abdelhamid-amine-la-vie-sans-dignite-c-est-une-vie-d-animal
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