Par Mustapha Kharbouch, demainonline,
Pour mesurer l’ampleur de la
catastrophe dont tout le monde parle à Benslimane et qui s’abat sur les
habitants de Aïn Tizgha à quelques kilomètres de la ville, j’ai décidé
de me rendre sur le lieu du crime. Car il faut nommer un chat un chat.
Il s’agit d’une zone forestière connue, jadis, pour ses sites
pittoresques et son gibier. Mais elle n’est plus aujourd’hui que l’ombre
d’elle-même. Le site est devenu une zone d’extraction des roches de
marbre, de sable et de gravier. Et c’est l’origine des malheurs de ces
paisibles ruraux qui s’y cramponnent toujours même si certains ont déjà
été obligés de le quitter définitivement.
La souffrance subie par cette
communauté à cause des carrières est indescriptible ; hommes, femmes et
enfants souffrent silencieusement de nombreuses maladies. Ces gens
meurent au petit feu. Le bruit engendré par les moteurs des engins et
des gros camions qui travaillent parfois 24h sur 24, est audible à des
kilomètres à la ronde. Il crève les tampons et enlève tout plaisir aux
conversations des gens. Les nuages de poussières, visibles de très loin
et que dégagent les grosses machines à broyer le marbre, à longueur de
journée, font pleuvoir de la cendre au dessus des têtes des habitants.
Ces petites gens n’ont plus de recours. Ils me reçoivent, moi le journaliste pigiste, comme un sauveur le jour de mon arrivée sur le lieu de leur drame. Certains d’entre eux, les plus courageux, ont bien voulu m’accompagner sur les lieux du site pour me servir de guide. Ils m’aident aussi à réunir, pendant plusieurs semaines, les informations et à découvrir les « secrets », tragédies et enjeux que ni les autorités locales ni les nombreux comités d’inspection ad hoc n’ont voulu voir ou reconnaître.
Ces petites gens n’ont plus de recours. Ils me reçoivent, moi le journaliste pigiste, comme un sauveur le jour de mon arrivée sur le lieu de leur drame. Certains d’entre eux, les plus courageux, ont bien voulu m’accompagner sur les lieux du site pour me servir de guide. Ils m’aident aussi à réunir, pendant plusieurs semaines, les informations et à découvrir les « secrets », tragédies et enjeux que ni les autorités locales ni les nombreux comités d’inspection ad hoc n’ont voulu voir ou reconnaître.
Enfants, femmes et vieux,
brandissent leurs certificats médicaux usés et leurs multiples boîtes de
médicaments. Ils me montrent des copies de rapports et réclamations
qui n’ont jamais abouti. Ils me racontent, chemin faisant, leurs mille
et une souffrances. « Ne croyez pas ces délégations, me dit une vieille
femme, qui pour masquer les dépassements et les abus des exploitants –
qui n’ont aucun respect ni pour l’homme ni dieu – choisissent, pour
visiter ces carrières, un jour pluvieux, donc un jour où il n’y a pas de
poussière et ce pour ne pas avoir à photographier ni à filmer les
nuages de poussière que dégagent les machines et les camions qui
travaillent ici jour et nuit ».
«Oui, ces délégués
corrompus, ajoute Ahmed, un jeune de vingt ans, avant de faire le
déplacement, avertissent les propriétaires des carrières des visites
d’inspection et leur demandent de ralentir l’intensité des travaux
d’extraction et la fréquence des explosions. Une fois sur place, la
délégation d’inspection note la présence d’un ou deux camions à
l’ouvrage. La poussière qui se dégage est, bien entendu, modérée et les
explosions rares. Le rapport de la commission est donc favorable aux
exploitants. » Un rapport qui dissimule les abus et dérives des uns et
ridiculisent les propos, dénonciations et réclamations des autres.
Les exploitants disent qu’ils
sont dans les normes et les habitants voisins des carrières
revendiquent des dommages et intérêts subis par l’homme et la nature.
Les responsables des carrières dès qu’ils savent que je suis
journaliste, évitent de me rencontrer ou affirment très rapidement et
laconiquement qu’ils respectent la loi et n’ont donc rien à se
reprocher.
Mais les faits sont têtus.
J’ai constaté sur place que les habitants locaux n’en peuvent plus :
difficultés respiratoires, problèmes d’audition et d’acuité visuelle
sont autant de maladies qui rongent la santé et des adultes et des
enfants. Et ce n’est pas tout : pollution sonore, pollution de l’air,
fissures béantes dans les murs des maisons à cause des fortes explosions
de mines, détérioration des infrastructures routières à cause des
passages de gros camions surchargés. Bref, la vie est devenue ici
littéralement insupportable. Imaginez ! qu’à cause de la poussière,
certains habitants sont obligés de garder portes et fenêtres fermées
pour prendre le repas familial, même par temps de grande chaleur.
Ajoutez à cela que les victimes ne tirent pas le moindre profit des
revenus générés par l’exploitation des carrières.
Tous ces dégâts sont connus
des représentants et élus locaux. Ils sont incapables de mettre fin ou
du moins d’amoindrir le mal qui ronge la population qu’ils sont censés
représenter et défendre. Les promesses qu’ils ont faites lors des
dernières élections n’engagent apparemment que ceux qui les ont crues.
Les terrains qui sont
aujourd’hui exploités comme carrières appartenaient à l’origine au
domaine forestier. Puis ils furent, en général, cédés à des agriculteurs
qui les ont revendus à des prix dérisoires. Elles « appartiennent »
désormais à des exploitants de carrières. Ainsi 18 carrières sont
exploitées dans la seule commune de Ain Tizgha. D’autres, aussi
nombreux, se situent dans les zones voisines de Ziaïda et Cherrat.
Au Maroc, l’exploitation des
carrières est régie par le Dahir chérifien du 5 mai 1914 et
l’approbation par la loi 10.95 relative à l’environnement. Selon les
cahiers de charges en vigueur de par la circulaire interministérielle
N° 87 du 8 juin 1994 et la lettre jointe sous le N° 423, l’exploitation
est limitée à un seul site par exploitant pour les terres limitées par
les trois villes que sont Settat, Benslimane et Kénitra. Dans la
circulaire en question, et qui a été signée par les ministres de
l’intérieur, des travaux publics, de l’agriculture, le gouvernement de
l’époque (1994) avait reconnu que le secteur des carrières connaissait
beaucoup de dérive, de fraudes et de surexploitation qui menaçaient
dangereusement l’équilibre naturel.
La dernière révolte
importante des populations concernées a eu lieu courant le mois de mai
2010. Un sit-in fut organisé pour dénoncer l’inauguration d’une
nouvelle carrière sur des terres Chiaâ. Les exploitants ont
donné le nom de « rose des sables » à ce nouveau site. Il servira à la
production de sables et de gravier. Cette carrière est située sur les
terres du douar Oulad Youns dans la commune de Aïn Tizgha. Le site a été
passé à un nouvel exploitant sans le consentement des propriétaires
réels du terrain, en l’occurrence la famille Balmi dont quelques membres
avaient vendu une partie et non la totalité du terrain. Les
manifestants et manifestantes furent battus et emprisonnés par la
gendarmerie. Parmi les revendications de la population, le respect de la
distance requise par la loi, entre les sites de carrières et les
habitations avoisinantes. Cette distance doit être équivalente à au
moins 250 mètres. Mais de fait, comme je l’ai constaté sur place, la
distance qui sépare les lieux où se produisent les explosions et les
premières habitations du douar Oulad Youns ne dépasse pas les 45 mètres.
Les habitants qui réclamaient
la récupération de leur terrain furent
traduits en justice et rapidement condamnés pour permettre au nouveau
« propriétaire »[1] de la carrière le commencement des travaux d’extraction.
Les dommages pour
l’environnement sont multiples : déracinement des arbres notamment ceux
du chêne liège et de thuya, contamination des eaux de puits, des cours
d’eau et des nappes phréatiques jusqu’à une profondeur de 100 mètres
environ. De telles conséquences provoquent d’une façon récurrente la
mort d’animaux d’élevage, de volailles, mais aussi d’animaux sauvages
comme le lièvre, la perdrix ou le phacochère. La région a été autrefois
connue par les chasseurs comme riche en gibier. La rivière de Oued
Cherrat, quant à lui, a été transformée en dépotoir.
[1]. La loi 08.01, relative à l’exploitation des carrières, votée par la chambre des représentants, le 22 mai 2002, stipule que « les carrières appartiennent aux propriétaires des terre où elles se trouvent » et que « tout
exploitant doit présenter un contrat d’exploitation signé par le
propriétaire du terrain, lui permettant d’exploiter la carrière pour une
durée déterminée. »
Témoignages de Fatna, Fatima et Ghafour
Fatna montrant l’oeil de sa petite fille
Témoignages de Fatna, Fatima et Ghafour
Fatna montrant l’oeil de sa petite fille
Fatna Mqaddem : 70 ans,
douar Oulad Youns, « j’ai été battue, j’ai connu la prison et la
torture. Moi, mes deux fils et ma belle sœur, avons été jetés au cachot
pendant un mois. Humiliés, mes deux fils ont quitté le douar pour aller
travailler à Casablanca. » Elle va chercher sa petite fille Nouhayla de
cinq ans pour me montrer son œil rouge. La sœur aînée de celle-ci,
Fatima Zohra, âgée de 9 ans qui souffre également de problèmes
ophtalmiques. La vielle femme réclame la fin des travaux et des
réparations pour les dommages subis par sa famille.
Fatima Balmi, 34 ans et
originaire du même douar, fait partie des familles qui ont refusé de
vendre le terrain Chiaâ (الشيّاع) mais qui risquent aujourd’hui de le
perdre définitivement. Cette femme résume ainsi la situation : « nous
nous lavons plusieurs fois par jour pour nous défaire de la poussière
qui nous provoque des démangeaisons surtout en temps de grande chaleur.
Mais nous attendons le dimanche pour nettoyer notre linge car il ne sert
à rien de les laver quand les travaux sont en cours. Les produits de la
terre et nos récoltes subissent également des dégâts importants. »
Ghafour Balmi : 36 ans,
mais paraît quinquagénaire, il rapporte les propos d’un exploitant de sa
terre : « je donnerai tout mon argent pour vous faire taire, ce n’est
pas la peine de perdre votre temps, personne au Maroc et quel qu’il
soit, ne pourra vous aider »
L’AMDH est sur le coup
Un membre de la section locale de l’AMDH m’affirme[1] :
« Il faudrait rappeler que les habitants d’Aïn Tizgha, victimes des
carrières exploitées dans leur commune, ont porté plainte, en 2005,
auprès du tribunal de première instance de Benslimane, réclamant le
respect du cahier des charges par les exploitants. Ils ont également
adressé de nombreuses plaintes à différentes institutions publiques.
Elles ont multiplié communiqués et conférences de presse. Mais rien n’y
fait. La section locale de l’Association Marocaine des Droits Humains a
adopté leur dossier et l’a fait suivre au bureau national, car ces
citoyens souffrent depuis des années dans l’indifférence générale.
La section locale de l’AMDH, a
aidé les victimes à créer « l’Association des Habitants d’Elkedia pour
le Développement Rural » afin de mieux défendre leur cause.
Beaucoup d’entre eux sont
tombés malades, mais ils ont tous gardé une détermination sans failles.
Ils ont déposé plusieurs plaintes dont une en avril 2008, contre les
propriétaires de cinq carrières. Le juge a ordonné une expertise, mais
elle n’a pas été exécutée… Ce que je vous raconte là n’est qu’une infime
partie de leurs multiples luttes et initiatives. Pourtant ils n’ont
rien obtenu. Ils vivent toujours dans un véritable enfer. »
[1] Il a préféré garder l’anonymat pour, dit-il, « protéger sa famille ».
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