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jeudi 14 avril 2016

«Le Maroc est la cause de l’impasse actuelle»

Jacob Mundy. Spécialiste des conflits et enseignant à l’université Colgate (Etats-Unis)

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Zine Cherfaoui, 14/4/2016

Inscrit depuis 1966 sur la liste des territoires non autonomes — et donc éligible à l’application de la résolution 1514 de l’Assemblée générale de l’ONU portant déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples coloniaux —, le Sahara occidental est la dernière colonie en Afrique, occupé depuis 1975 par le Maroc qui est soutenu par la France. Jacob Mundy, enseignant à l’université Colgate de New York, explique les raisons des récentes attaques dirigées par le Maroc contre le secrétaire général de l’ONU.

- Les relations entre le Maroc et les Nations unies se sont considérablement détériorées depuis la visite, en mars, de Ban Ki-moon dans les camps de réfugiés sahraouis. Vous attendiez-vous à une telle situation ?
J’ai été surpris de voir le secrétaire général de l’ONU afficher ouvertement une pareille hostilité à l’égard du Maroc. La source de cette hostilité est bien connue. Durant des années, le Maroc a refusé de travailler avec son envoyé personnel pour le Sahara occidental, l’ambassadeur Christopher Ross. Dans le passé, le secrétariat a montré certains signes de frustration, mais cela est resté discret et gardé sous silence.
Quand le Maroc a décidé de bloquer la visite de Ban Ki-moon dans les territoires (cela inclut aussi le refus d’accorder à son avion l’autorisation d’atterrir à El Ayoun), ce fut la goutte de trop… le coup final. En affichant sa frustration publiquement, le secrétaire général de l’ONU a créé un précédent. De Waldheim à Annan, les secrétaires généraux de l’ONU ont généralement été plus favorables au Maroc qu’au Front Polisario. 

- Que pensez-vous des raisons invoquées par le Maroc pour essayer de disqualifier Ban Ki-moon et l’approche de l’ONU du conflit ?
Les Marocains n’aiment pas entendre la vérité à propos du Sahara occidental. La vérité est que le Sahara occidental est le dernier territoire non autonome d’Afrique. De plus : selon les documents de l’ONU, l’Espagne est officiellement la puissance administrante. Donc, si l’Espagne est la puissance administrante et que le Sahara occidental est non autonome, alors quel est le statut légal du Maroc dans ce territoire ? Cela ne peut être autre chose qu’une occupation.
Ban Ki-moon a dit la vérité quand il a défini la situation comme une occupation. L’Assemblée générale de l’ONU a aussi qualifié la situation d’occupation. L’avis légal émis en 2002 par les Nations unies sur la question est aussi clair. En fait, quand Ban Ki-moon a qualifié le Sahara occidental de «territoire occupé», il a parlé simplement d’un fait reconnu comme tel par la loi internationale.

- Comment décryptez-vous la décision du Maroc d’expulser les membres de la composante politique de la Minurso ? Quel message le roi Mohammed VI a-t-il voulu délivrer ? Le Maroc a toujours eu une relation inconfortable avec la Minurso. Tout d’abord, le nom de la mission onusienne reconnaît que sa vocation est d’organiser un référendum d’autodétermination. Le cessez-le-feu n’était pas le but principal de cette mission. Il ne s’agissait là que d’une étape dans le processus devant mener à l’organisation d’un référendum sur l’indépendance.
Le Maroc s’en est quand même accommodé. Le cessez-le-feu et les observateurs militaires onusiens le long de la berme sont devenus très utiles pour Rabat. Le Maroc sait que beaucoup de Sahraouis veulent que le Polisario reprenne la guerre. Rabat utilise donc les forces de maintien de la paix de la Minurso pour garder un œil sur le Polisario et dissuader les Sahraouis de se lancer dans une nouvelle lutte armée.
Cependant, l’administration civile de la Minurso est un problème pour le Maroc vu la pression internationale grandissante en faveur de la surveillance des droits de l’homme dans les territoires occupés, surtout que la demande est soutenue par les gouvernements américain et britannique.
Si la Minurso est mandatée pour surveiller les droits de l’homme, ce sera forcément ses administrateurs civils qui se chargeront d’accomplir la mission. A certains égards, la Minurso a déjà surveillé les droits de l’homme de façon informelle. Le Maroc a donc fait une action préventive destinée à empêcher la Minurso de surveiller les droits de l’homme.

- Le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine (UA) vient de se dire «inquiet» au sujet de la situation dans la région. Pour l’UA, la décision du Maroc d’expulser les membres de la composante politique de la Minurso «menace la sécurité régionale». Partagez-vous la même inquiétude ? Pensez-vous que la situation pourrait un jour dégénérer si rien n’est fait pour résoudre ce vieux conflit ?
Je partage les préoccupations de l’UA. Les tensions ne cessent d’augmenter au Sahara occidental. Néanmoins, il est peu probable que le Front Polisario se lance, dans un avenir proche, dans une guerre et cela par respect pour l’Algérie qui se débat avec la question de l’«après-Bouteflika». Le Maroc, quant à lui, attend tout simplement l’élection d’un nouveau président aux Etats-Unis. Il espère une deuxième Administration Clinton qui signifiera probablement le soutien total des Etats-Unis pour «l’autonomie».
Mais si le Maroc et le Conseil de sécurité des Nations unies continuent à fermer toutes les issues qui conduisent concrètement vers un référendum, il est difficile d’imaginer qu’il n’y aura pas de manifestations du conflit. Cela sous une forme ou une autre. Après, AQMI et Daech pourraient tirer profit d’une telle situation, comme ils l’ont déjà fait au Mali.

- Pourquoi le Conseil de sécurité n’a pas condamné l’attitude agressive du Maroc envers le secrétaire général de l’ONU, comme cela a été demandé par Ban Ki-moon lui-même ? Comment le Maroc peut-il se permettre de défier ainsi la communauté internationale ?
La réponse est simple : c’est la France. Le gouvernement français a toujours soutenu le Maroc au sein du Conseil de sécurité de l’ONU. La France est au Maroc ce que les Etats-Unis sont à Israël. Quand il y avait un consensus total sur le plan Baker en 2003 — qui aurait pu résoudre ce conflit en 2010 —, la France avait sonné la charge et s’y était opposée. Depuis lors, le Maroc ne cesse de se sentir conforté et renforcé dans son attitude. Ban Ki-moon est également sur le point de terminer son mandat. En France et aux Etats-Unis, le Maroc est plus important qu’un secrétaire général sortant.

- Qu’est-ce qui empêche concrètement le règlement du conflit du Sahara occidental, conformément aux résolutions pertinentes des Nations unies ?
Les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU appellent actuellement une solution politique négociée qui permettra un référendum d’autodétermination au Sahara occidental. Le Polisario est prêt à discuter de l’autonomie dans le contexte d’une solution politique qui équivaudrait au final au vote d’un statut définitif. Cependant, le Maroc estime que sa proposition d’autonomie avancée en 2007 est la solution optimale, même si elle ne prévoit pas de référendum d’autodétermination.
C’est le Maroc qui a généré l’impasse. Mais le Conseil de sécurité ne veut pas mettre de pression sur le Maroc. Et cela, même pas au plan du discours. Comme nous l’avons vu durant les derniers événements, le Maroc est prêt à tout pour parvenir à ses fins, y compris exploiter comme il l’a fait un événement sans conséquence (visite de Ban Ki-moon) ou créer une crise régionale.

- A votre avis, que devons-nous attendre de la prochaine réunion du Conseil de sécurité sur le conflit du Sahara occidental ?
Le rapport du secrétaire général de l’ONU a été retardé. Il semble donc qu’il y ait actuellement des tractations et un intense travail de coulisses. Il n’en sortira probablement pas grand-chose. La dernière fois que nous avons assisté à une levée de boucliers du Maroc concernant la surveillance des droits de l’homme dans les territoires sahraouis occupés, le Conseil de sécurité de l’ONU avait fini par trouver le moyen de le calmer. Un processus similaire est probablement en cours.

Bio express

Spécialiste du Maghreb, Jacob Mundy anime actuellement un cours sur la paix et les conflits à l’université Colgate de New York. Il a particulièrement travaillé sur les conflits armés et les interventions humanitaires en Afrique du Nord, une région où il a séjourné de nombreuses fois.
Jacob Mundy a publié des articles très fouillés sur le conflit sahraoui dans plusieurs revues spécialisées. Le dernier remonte à 2014 et est intitulé «Sahara occidental : La résistance non violente comme dernier recours». Il a été coécrit avec Stephen Zune. Jacob Mundy est diplômé des universités d’Exeter et de Seattle.
 

 

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