lundi 11 avril 2016
Luk
Vervaet, ex-enseignant en prison
L’hommage
à la Bourse
Que quelques centaines de Casuals se fraient
un chemin à coups de poing vers les marches de la Bourse, le dimanche de
Pâques, n’a rien d’étonnant. Pour l’extrême droite, la réaction de Bruxelles
aux attentats à Zaventem et à Maelbeek est en dessous de tout. Sur les marches
de la Bourse, pas de haine, pas de manifestations politiques à la “Je suis
Charlie”, comme en France, dans lesquelles l’extrême droite a trouvé du pain
bénit. La place de la Bourse est une place de deuil, de tristesse partagée et
d’appels à la solidarité. Il y a aussi eu
les témoignages des survivants, des personnes qui ont perdu leur enfant ou leur
compagne, les soignants, avec des messages dont la dignité vous transperçait.
Qui prétend que les victimes de la terreur ne peuvent exprimer que la haine ou
la soif de vengeance a certes été déçu. “Non, je ne ressens pas de haine,
déclare une femme au visage bandé, seulement de l’incompréhension et le désir
de plus de solidarité”. Une autre victime explique qu’il a pris part à une
rencontre de solidarité avec des mamans dont l’enfant est parti en Syrie. Elle
a créé un hashtag pour inciter chacun à parler avec son voisin de palier. Un
journaliste de la RTBf, qui a perdu sa fille dans l’attentat du métro, appelle
à ne pas bâtir de murs entre les gens.
Ce monde d’un peuple en deuil, d’appeler
à tisser dans les quartiers des réseaux de soutien mutuel, de protection et de
solidarité est peut-être la clé, sinon l’arme magique, pour combattre la
terreur et la guerre.
De cette option, il semble que le monde
politique et les services de sécurité, si préoccupés de notre “sécurité”,
pourtant échouée, n’aient rien à faire.
La logique sécuritaire actuelle est en totale
antagonique au mouvement populaire de solidarité. Elle prend précisément comme
cible la population, en plus particulièrement sa partie qui appartient aux
groupes minoritaires de notre pays.
La législation antiterroriste a été renforcée
en 2013. Depuis 2015, l’armée patrouille dans nos rues. Après Charlie Hebdo et
Verviers, douze mesures sécuritaires ont été prises. Après le 13 novembre 2015
à Paris, dix-huit autres ont suivi. Entre-temps, en juillet 2015, le parlement
belge a voté la loi sur la déchéance de la nationalité pour les terroristes. La
commune de Molenbeek a été cataloguée comme zone dangereuse devant être
“nettoyée”. La police marocaine peut désormais être officiellement impliquée
dans la surveillance des personnes “culturellement différentes”. Par extension,
s’est formé “le plan Canal” contre le terrorisme qui englobe les communes de
Vilvorde, Molenbeek-Saint-Jean, Schaerbeek, Bruxelles-Ville, Saint-Gilles,
Anderlecht, Koekelberg et Saint-Josse-Ten-Noode.
Rien de tout cela n’a pu empêcher les
attentats et pourtant on poursuit sur la même lancée.
Après Zaventem et Maelbeek, trois mesures sont
à nouveau prises: cette fois-ci, il s’agit des perquisitions autorisées 24
heures sur 24, de l’extension des écoutes téléphoniques, de la création de
bases de données communes pour les services de sécurité.
Et, naturellement il y a aussi le volet
prisons.
Diverses propositions sont en négociation pour
limiter la mise en liberté provisoire (seulement possible à la moitié de la
peine, disent les uns, après deux tiers ou quatre cinquièmes, disent les
autres), voire la rendre impossible via les peines incompressibles. Ces
conditions ont déjà été systématiquement renforcées pendant l’affaire Dutroux
dans les années nonante, puis via l’accord de gouvernement de 2011, après la
mise en liberté provisoire de Michèle Martin, mais devraient aujourd’hui l’être
encore davantage. Une mesure qui touchera tous les détenus et ne fera
qu’accroître leur colère et leur amertume.
Dans le puzzle complexe des causes qui ont
mené à la violence terroriste actuelle, il y a les guerres ininterrompues et
les conditions de vie dans les prisons. Indissociables les unes des autres et
systématiquement absentes du débat.
Il y a la guerre que nous faisons déferler sur
le monde depuis vingt-cinq ans et qui nous revient en pleine figure, telle un
boomerang. Dans la toute dernière, cette fois contre ISIS, il y a eu, selon les
chiffres officiels à ce jour, 87.000 attaques aériennes en Irak et en Syrie.
Avec combien de morts? Combiens de mutilés? Combien de brûlés? Combien de
réfugiés? Nous ne sommes pas prêts à clôturer ce chapitre mortifère, tout en
sachant pertinemment, après les catastrophes provoquées en Afghanistan et en
Irak, que la guerre n’arrête pas le recrutement des terroristes, ni les
attentats, ni les flux de réfugiés. Bien au contraire. Sans parler de la plaie
ouverte en Palestine qui ne cesse de saigner avec la complicité de nos pays et
gouvernements.
Les prisons souffrent du même mal. Œil pour
œil, dent pour dent, tortures, extraditions illégales, isolement, enfermement
massif et pour des durées toujours plus longues, refus du dialogue et de la
recherche d’alternatives: autant d’occasions de recrutement de nouveaux
djihadistes. Plus que tous les recruteurs réunis n’auraient pu espérer.
Autoroutes
pour l’enfer
Dans nos propres prisons, quatre éléments ont
contribué à l’actuelle radicalisation violente. Ils semblent à première vue
indépendants les uns des autres. Et pourtant, il s’agit d’un cocktail
empoisonné dans lequel la violence peut fermenter.
Abu Ghraib
1. Guantanamo, Abu Ghraib, Bagram…
Il n’est plus possible de parler des prisons
sans prendre en compte le contexte international. Ce n’est pas pour rien que
Daesch habille ses otages en costume orange. C’est la couleur de la prison de
Guantanamo, dont Obama nous dit, année après année, qu’elle “est utilisée par
tous les djihadistes pour recruter». Il est établi que les prisons antiterreur
des États-Unis et leurs prolongements dans les pays amis, ont fait atterrir
derrière les barreaux des milliers d’innocents.
(photo Ali Aarrass)
L’affaire Ali Aarrass en est un
des exemples les mieux connus de collaboration des gouvernements belges
successifs à l’extradition et à la torture au Maroc d’un homme qui a été estimé
totalement blanchi par la justice espagnole. Le traitement inhumain des
“détenus de la terreur” a incontestablement crée plus de terroristes qu’il n’en
a réduit au silence. De plus, ces prisons se sont transformées en “lieu de
rencontre” et en “université” pour la création d’organisations terroristes. Il
suffit de penser aux dirigeants d’Al Qaeda et d’ISIS, Zarqawi ou Baghdadi, qui
ont séjourné cinq ans dans le camp américain de Bucca.
Il y a plus.
Matthew Alexander a servi pendant 14 ans dans
l’US Air Force. Il a pris part aux
opérations spéciales dans quelque trente pays. En Irak, il a dirigé plus de
trois cents interrogatoires de prisonniers terroristes et supervisé
l’interrogatoire de plus de 100.000 autres. Il a été décoré de l’Étoile de
Bronze pour ses mérites en Irak. En
novembre 2008, il écrivait dans un article pour le Washington Post: « J’ai appris en Irak que la base de
recrutement la plus directe et la plus large pour les volontaires étrangers qui
viennent se battre ici, ce sont les abus que nous avons perpétrés dans les
prisons d’Abu Ghraib et de Guantanamo.
Notre politique de torture a été la base directe la plus large de recrutement
pour Al Qaeda en Irak ».
Huit ans après la parution de son article, deux ans après la
parution du rapport hallucinant de la commission du sénat américain sur les
tortures de la CIA, Guantanamo est toujours ouvert. Il faut signaler que la Belgique figure
également sur la liste des pays européens qui ont fourni leur collaboration au
transport (illégal) des prisonniers vers Guantanamo.
Si Guantanamo est traité comme un détail par
l’opinion politique, médiatique et publique, il en va tout autrement dans les
prisons. Les prisonniers entendent parfaitement notre silence assourdissant.
Dans les prisons, Guantanamo est devenu le symbole et la référence pour
l’arbitraire, l’absence de droits, les traitements inhumains et les conditions
de détention inacceptables. De l’autre côté de la barrière, du côté des
services de police et des gardiens de prison, Guantanamo a aussi déplacé les
limites de l’acceptable.
Quelques exemples.
Alexandre Varga, un détenu qui se suicidera en
2010 dans une cellule d’isolement après une évasion manquée, paraissait en 2008
devant le tribunal avec une chemise orange portant la mention « GuantanaMons ». Il voulait ainsi
dénoncer les conditions de détention à la prison de Mons. Lors d’un débat à
l’ULB auquel je participais avec l’ex-détenu François Troukens, celui-ci
affirmait que « les conditions de détention dans la prison de Forest sont pires
que celles de Guantanamo, parce que là au moins il fait chaud et on reçoit
assez à manger ». En 2008, Ashraf Sekakki adressait une série de lettres au
journal De Morgen dans lesquelles il
décrivait les conditions de vie dans la section de sécurité spéciale
individuelle de Bruges sous le titre « Bruges:
le Guantanamo belge ».
Le 11 novembre 2003, trois gardiens soûls ont
maltraité des détenus de la section psychiatrique de la prison de Mons, selon
un mode inspiré d’Abou Ghraib. La corde au cou, les détenus devaient ramper et
obéir à des ordres comme « Assis » ou
« Lèche ». Le 22 septembre et le 30
octobre 2009, une section de la police bruxelloise a remplacé les gardiens de
prison de Forest alors en grève. Il s’ensuivit des scènes que l’on peut lire en
détails dans le rapport de la Commission de surveillance de la prison de Forest
et dans le rapport de 2010 du Comité européen pour la prévention de la torture.
À nouveau, l’inspiration naissant de la
déshumanisation américaine des prisons de Guantanamo ou d’Abou Ghraib est
pertinente. Un exemple: des agents de police masqués obligent un détenu
agenouillé, nu et en larmes à adresser des insultes à l’adresse du prophète
Mohamed. Six ans après les faits, les neuf agents de police ont été déchargés
de toute poursuite.
Des exceptions? Des pommes pourries?
Peut-être. Mais cela illustre comment le virus de Guantanamo a infecté nos
prisons.
Black lives matter
2. Les Afro-Américains d’Europe : la
surpopulation des prisons avec des « étrangers ».
Dans notre propre pays, nous faisons face
depuis plus de deux décennies à une surpopulation des prisons, comme le décrit
le professeur Fabienne Brion, « sans
précédent au vingtième siècle, excepté pendant les périodes de guerre ». Un des
principaux facteurs expliquant cette surpopulation est l’élévation dramatique
du nombre de détenus étrangers. En 2010 ils représentaient 44% de la population
pénitentiaire, soit 4500 détenus de nationalité étrangère. Ce nombre est
d’ailleurs difficile à estimer vu que des détenus possédant la double
nationalité sont parfois comptés comme étrangers alors qu’ils sont
comptabilisés comme Belges hors prison. On peut aussi ne pas avoir la
nationalité belge parce qu’on ne l’a jamais demandée ou obtenue, mais avoir
vécu toute sa vie en Belgique. Ce que l’on sait des chiffres officiels du
gouvernement est que 60% des étrangers dans les prisons sont des personnes en
situation illégale.
Entre 1974 et 2012, le degré de détention (le
nombre de détenus par 100.000 habitants) a grimpé de 58 à 64 pour les Belges et
de 134 à 440 pour les étrangers. Il y a plusieurs raisons à cela. J’en cite
quelques-unes.
Pour commencer, on atterrit plus facilement en
prison quand on est étranger. Les chercheurs s’accordent à dire que les groupes
minoritaires (de couleur) sont plus visés par la police et la justice et que
leur enfermement « pour protéger la société » est facilité par leur nom,
couleur, ou position socio-économique plus faible. De plus, pour les condamnés
sans droit de séjour légal, il n’y a pas d’autre solution que la prison.
Une fois arrivé en prison, on en sort plus
difficilement pour les mêmes raisons. Pour les détenus étrangers, il n’y a pas
de réduction de peine dans la plupart des cas parce qu’ils n’ont pas d’emploi
stable. Ils n’entrent pas en ligne de compte pour la libération conditionnelle,
parce qu’ils n’ont pas assez de garanties en matière de logement, de travail et
de revenus réguliers. La libération conditionnelle est aussi bloquée par la
procédure d’éloignement du territoire, qui peut durer longtemps ou parce qu’il
n’y a pas de plan de reclassement convaincant pour les juges.
La conscience dans les prisons que le nombre
d’étrangers est tout simplement hors proportion et ce pour des faits qui sont dans beaucoup de cas
de moindre gravité que pour les codétenus belges, génère un sentiment
d’injustice et de discrimination. Leur religion, - in casu l’islam -, est
souvent considérée par les autorités pénitentiaires comme une menace alors que
leurs propres instances religieuses ou leurs organisations en général leur
tournent le dos, parce qu’elles considèrent qu’ils font honte à la communauté.
Pour les détenus, la religion devient un moyen de tenir bon et de résister aux
autorités.
La surpopulation des prisons entraîne, tout
comme aux États-Unis, un mécanisme par lequel cette surreprésentation injuste
est présentée comme la preuve de la criminalité des étrangers. Et donc un
argument d’exclusion de tout un groupe de la population. Pour les prisonniers
concernés, la seule perspective, c’est le bannissement et le transfert vers un
pays où ils n’ont souvent jamais mis un pied, la déchéance de nationalité pour
les binationaux, voire même la mise sur pied de prisons belge au Maroc.
Si l’on veut vraiment combattre la
radicalisation dans les prisons, il faut commencer par réduire le nombre de prisonniers.
Supprimer la pauvreté dans les régions et les communes les plus pauvres de ce
pays. Mettre fin au racisme et à la discrimination et formuler des alternatives
à la détention automatique des étrangers. En offrant une perspective
d’intégration des détenus étrangers en lieu et place de l’exclusion et du
bannissement.
La prison de Saint-Gilles
3. Les conditions scandaleuses dans lesquelles
les prisonniers doivent (sur)vivre
Lorsque j’ai reçu le rapport 2014-2015 de la
Commission de surveillance de la prison de Saint-Gilles, je devais repenser à
Amedy Coulibaly, qui a assassiné cinq personnes à Paris le 9 janvier 2015, dont
quatre dans un Hyper Cacher.
Il avait 18 ans quand il fut pris sous le feu
de la police avec son ami Ali Resgui pour le vol de motocyclettes. Ali mourut
dans les bras de Coulibaly. Des émeutes éclatèrent, mais aucune instruction ne
fut ouverte. C’est à juste titre que l’anthropologue Alain Bertho s’interroge :
« Qui s’est préoccupé du jeune
Coulibaly, une fois la tempête médiatique apaisée ? ».
Pendant les quinze années suivantes, Amedy
Coulibaly passera sa vie à entrer et sortir de prison. Lors de son séjour à la
prison de Fleury-Mérogis, il mit sur pied un projet de film clandestin. Avec
quatre autres détenus, il filma des heures durant les cellules surpeuplées, le
manque d’hygiène, les douches et leurs murs gluants, la violence des bagarres.
Ces prises de vue clandestines de plus de deux heures et demie parurent sur le
site du Monde en décembre 2008 ainsi que dans l’émission de France 2,
« Envoyé spécial ». Ils entendaient ainsi, disaient-ils, « révéler le côté caché de la détention,
briser l’hypocrisie sur la situation dans les prisons et sur la prétendue
intégration ». Leur message disait aussi : « Beaucoup pensent qu’aller en prison n’est
pas grave. Qu’ils en sortiront plus forts. Nous voulons montrer que c’est une
vraie merde, et qu’on devient fou ici ».
Le rapport sur Saint-Gilles, où je fus enseignant,
décrit une Fleury-Mérogis à la belge. Il ne porte donc pas sur cette autre
prison bruxelloise, celle de Forest, dont on dit déjà depuis vingt ans qu’elle
est invivable et dont un dirigeant syndical disait récemment qu’il allait y
avoir des morts à cause des conditions de détention inacceptables. Les
circonstances décrites dans le rapport sur Saint-Gilles sont hallucinantes.
Voici quelques extraits au hasard : « Depuis
juin 2015, il n’y a plus aucune activité, une mesure prise par la direction
parce qu’il n’y a plus que 328 gardiens au lieu de 360. Cela signifie qu’il n’y
a plus de leçons (le personnel des organisations qui organisent les cours sont
au chômage technique), pas d’activités socio-culturelles, pas de groupes de
parole, pas de services religieux, par d’accès à la salle de sport ou à la
bibliothèque ». Ce qui implique que les détenus sont enfermés à deux
en cellule 22 à 23 heures sur 24 sans aucune activité ! Mais à côté de
cette situation d’exception, le bilan du quotidien est le suivant :
« La surpopulation moyenne s’élève à
41%. La plupart des détenus vivent en duo dans une cellule d’environ 9m², avec
des lits superposés et très peu ou pas de vie privée. Il manque des produits
d’entretien pour maintenir les cellules propres, comme aussi de produits de
vaisselle ou d’éponges, de sorte que certains détenus utilisent leurs
chaussettes comme lavettes. Il manque de savon pour se laver. Pour les détenus
qui n’ont pas d’argent, il est difficile d’assurer leur hygiène personnelle.
Dans certaines cellules, il n’y a plus aucune hygiène personnelle, ce qui rend
pénible le travail des gardiens. L’état des douches est inhumain. Un détenu en
cachot n’a pas droit à la douche, il reste parfois neuf jours sans se laver ou
se brosser les dents. Il manque de mobilier. Tous les détenus reçoivent leur
repas dans la cellule, ils mangent à côté des toilettes, parfois debout sans
chaise. Les étrangers en prison ne peuvent suivre aucun cours car ils ne
connaissent ni le néerlandais ni le français. Un détenu qui travaille gagne 80
cent de l’heure. En travaillant 8 heures par jour, on peut atteindre un salaire
de 120 euros par mois. La bibliothèque est rarement ouverte et depuis juin
2015, elle est totalement fermée. Il y a une pénurie totale de personnel
médical. Il y a un psychiatre pour toute la prison, qui affirme que la
situation psychologique des prisonniers est catastrophique.
Des
sanctions sont prises sans prendre en considération la santé des détenus. Des
personnes souffrant de sclérose en plaque ou de Parkinson sont mises au cachot.
En 2014, trois détenus se sont suicidés et cinq autres sont morts. »
Il y a bien, dans l’aile D, une section pour
les prisonniers tuberculeux. Ce qui m’amène aux déclarations du professeur
Cosyns selon lesquelles le nombre de tuberculeux dans les prisons belges est
seize fois plus élevé que dans le reste de la société, alors que le sida y est
cinq fois plus présent, l’hépatite C sept fois et les psychoses cinq fois. Le
problème dans notre société est qu’un rapport sur l’enfermement barbare d’animaux
provoque plus d’émoi sur des conditions semblables de détention pour des êtres
humains…
Cellule haute sécurité à Vught (Pays-Bas)
4. L’isolement et la construction de nouvelles
prisons au sein des prisons
Depuis le début de la guerre contre le
terrorisme, il y a une quinzaine d’années, j’ai suivi quelques procès de
terroristes et j’ai visité différents détenus, poursuivis ou condamnés pour
terrorisme. Ou j’avais des contacts avec leur famille. Je prétends que notre
inflexibilité dans l’approche des personnes condamnées pour terrorisme a
contribué à crée la situation actuelle, devenue incontrôlable.
Pendant ces quinze années, nous avons fourré
dans le même sac tous les volontaires pour l’Afghanistan ou pour l’Irak, le
grand sace du terrorisme et du fondamentalisme. Alors que beaucoup n’en avaient
même aucune connaissance. Après le quartier de sécurité pour des mesures
particulières et individuelles de la prison de Bruges, qui fait de plus en plus
fonction de prison pour terroristes, nous allons maintenant ouvrir des ailes
séparées pour les personnes radicalisées à Bruges et à Ittre ; on parle
ouvertement de la construction de prison de haute sécurité pour tous les
détenus dangereux à Achène.
Si vous doutez de l’influence du traitement
sur les détenus en matière de radicalisation de toute une génération, il suffit
de rappeler la période des prisonniers de l’IRA à la prison de Long Kesh à
Belfast (Bobby Sands) ou celle des prisonniers de la RAF dans la prison
allemande de Stamheim (Andreas Baader et Ulrike Meinhof). Dans un cas comme
dans l’autre, les traitements inhumains des prisonniers politiques n’ont fait
que susciter de nouvelles générations de combattants.
(photo transport Nizar Trabelsi sous le régime code 3)
|
Il en fut ainsi de l’affaire Trabelsi,
condamné à dix ans de prison ferme pour la planification d’un attentat contre
la base militaire de Kleine Brögel. Il a purgé sa peine jusqu’à la dernière
minute, sans aucune réduction de peine. Durant toute sa détention, il a été
transféré de prison en prison ; chaque transport se passait sous le régime
du « code 3 ». Dans chaque
prison, il a passé la majeure partie de son temps en isolement. Pas moins de
cinq psychiatres ont demandé que cesse cet isolement ou qu’il soit du moins
adouci, vu qu’il dépérissait physiquement et psychologiquement. J’ai moi-même
organisé des actions pacifiques de protestation devant la prison de Bruges.
Rien n’y fit et l’isolement s’est poursuivi. Sa demande d’asile a été refusée.
Son mariage avec sa fiancée belge a été empêché. Finalement, Nizar Trabelsi a
été extradé illégalement le 3 octobre 2013 et livré aux États-Unis où il se
trouve déjà depuis trois ans en isolement, dans l’attente d’un nouveau procès.
Pour ces faits, la Belgique a été condamnée par la Cour européenne des Droits
de l’homme. Trabelsi a déclaré à plusieurs reprises qu’il ne défendait plus la
voie qu’il avait choisie. Mais qui en a cure ? Dans les prisons, par
contre, ces récits circulent. Ils contribuent d’une part à renforcer le
sentiment d’être maltraités et exclus et d’autre part à créer des mythes. En
tout cas pas à détourner de la voie terroriste.
Et enfin, l’isolement ne concerne pas
seulement la vie au sein de la prison, mais aussi de tout contact avec le monde
extérieur. J’avais un bon contact tant avec Nizar Trabelsi qu’avec Malika El
Aroud, jusqu’à ce que je sois interdit de donner des cours dans n’importe
quelle prison belge et d’y visiter des détenus. Pour des « raisons de
sécurité », selon la version officielle.
Disposons-nous en Belgique ne serait-ce que
d’un ex-détenu qui puisse témoigner parmi les jeunes sur son parcours et qui
puisse leur offrir une autre perspective que celle du terrorisme ? Je ne
parle pas ici du système policier des « repentis », mais de la
perspective de pouvoir se battre autrement pour la justice et la paix.
Sources
·
http://www.lemonde.fr/societe/article/2015/01/12/quand-amedy-coulibaly-denoncait-les-conditions-de-detention-a-fleury-merogis_4554689_3224.html#mpeXj142FA3x53VU.99
·
http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2008/11/28/AR2008112802242_pf.html
·
Bart De Wever in Het laatste
nieuws en Knack 24 09 2013
·
CVT Sint-Gillis Rapport 2014-2015
·
Les enfants du chaos, essai sur le
temps des martyrs, Alain Bertho, La Découverte
·
Guantanamo chez nous ? Luk
Vervaet, Antidote 2014
(
((traduction du néerlandais par Nadine Rosa-Rosso)
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