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mercredi 13 avril 2016

A lire ! La prison, une voie royale vers le terrorisme

lundi 11 avril 2016

Luk Vervaet, ex-enseignant en prison



L’hommage à la Bourse



Que quelques centaines de Casuals se fraient un chemin à coups de poing vers les marches de la Bourse, le dimanche de Pâques, n’a rien d’étonnant. Pour l’extrême droite, la réaction de Bruxelles aux attentats à Zaventem et à Maelbeek est en dessous de tout. Sur les marches de la Bourse, pas de haine, pas de manifestations politiques à la “Je suis Charlie”, comme en France, dans lesquelles l’extrême droite a trouvé du pain bénit. La place de la Bourse est une place de deuil, de tristesse partagée et d’appels à la solidarité. Il y a aussi  eu les témoignages des survivants, des personnes qui ont perdu leur enfant ou leur compagne, les soignants, avec des messages dont la dignité vous transperçait. 

Qui prétend que les victimes de la terreur ne peuvent exprimer que la haine ou la soif de vengeance a certes été déçu. “Non, je ne ressens pas de haine, déclare une femme au visage bandé, seulement de l’incompréhension et le désir de plus de solidarité”. Une autre victime explique qu’il a pris part à une rencontre de solidarité avec des mamans dont l’enfant est parti en Syrie. Elle a créé un hashtag pour inciter chacun à parler avec son voisin de palier. Un journaliste de la RTBf, qui a perdu sa fille dans l’attentat du métro, appelle à ne pas bâtir de murs entre les gens. 

Ce monde d’un peuple en deuil, d’appeler à tisser dans les quartiers des réseaux de soutien mutuel, de protection et de solidarité est peut-être la clé, sinon l’arme magique, pour combattre la terreur et la guerre.



De cette option, il semble que le monde politique et les services de sécurité, si préoccupés de notre “sécurité”, pourtant échouée, n’aient rien à faire.

La logique sécuritaire actuelle est en totale antagonique au mouvement populaire de solidarité. Elle prend précisément comme cible la population, en plus particulièrement sa partie qui appartient aux groupes minoritaires de notre pays.

La législation antiterroriste a été renforcée en 2013. Depuis 2015, l’armée patrouille dans nos rues. Après Charlie Hebdo et Verviers, douze mesures sécuritaires ont été prises. Après le 13 novembre 2015 à Paris, dix-huit autres ont suivi. Entre-temps, en juillet 2015, le parlement belge a voté la loi sur la déchéance de la nationalité pour les terroristes. La commune de Molenbeek a été cataloguée comme zone dangereuse devant être “nettoyée”. La police marocaine peut désormais être officiellement impliquée dans la surveillance des personnes “culturellement différentes”. Par extension, s’est formé “le plan Canal” contre le terrorisme qui englobe les communes de Vilvorde, Molenbeek-Saint-Jean, Schaerbeek, Bruxelles-Ville, Saint-Gilles, Anderlecht, Koekelberg et Saint-Josse-Ten-Noode.

Rien de tout cela n’a pu empêcher les attentats et pourtant on poursuit sur la même lancée.

Après Zaventem et Maelbeek, trois mesures sont à nouveau prises: cette fois-ci, il s’agit des perquisitions autorisées 24 heures sur 24, de l’extension des écoutes téléphoniques, de la création de bases de données communes pour les services de sécurité.



Et, naturellement il y a aussi le volet prisons.

Diverses propositions sont en négociation pour limiter la mise en liberté provisoire (seulement possible à la moitié de la peine, disent les uns, après deux tiers ou quatre cinquièmes, disent les autres), voire la rendre impossible via les peines incompressibles. Ces conditions ont déjà été systématiquement renforcées pendant l’affaire Dutroux dans les années nonante, puis via l’accord de gouvernement de 2011, après la mise en liberté provisoire de Michèle Martin, mais devraient aujourd’hui l’être encore davantage. Une mesure qui touchera tous les détenus et ne fera qu’accroître leur colère et leur amertume.



Dans le puzzle complexe des causes qui ont mené à la violence terroriste actuelle, il y a les guerres ininterrompues et les conditions de vie dans les prisons. Indissociables les unes des autres et systématiquement absentes du débat.

Il y a la guerre que nous faisons déferler sur le monde depuis vingt-cinq ans et qui nous revient en pleine figure, telle un boomerang. Dans la toute dernière, cette fois contre ISIS, il y a eu, selon les chiffres officiels à ce jour, 87.000 attaques aériennes en Irak et en Syrie. Avec combien de morts? Combiens de mutilés? Combien de brûlés? Combien de réfugiés? Nous ne sommes pas prêts à clôturer ce chapitre mortifère, tout en sachant pertinemment, après les catastrophes provoquées en Afghanistan et en Irak, que la guerre n’arrête pas le recrutement des terroristes, ni les attentats, ni les flux de réfugiés. Bien au contraire. Sans parler de la plaie ouverte en Palestine qui ne cesse de saigner avec la complicité de nos pays et gouvernements.

 Les prisons souffrent du même mal. Œil pour œil, dent pour dent, tortures, extraditions illégales, isolement, enfermement massif et pour des durées toujours plus longues, refus du dialogue et de la recherche d’alternatives: autant d’occasions de recrutement de nouveaux djihadistes. Plus que tous les recruteurs réunis n’auraient pu espérer.



Autoroutes pour l’enfer

Dans nos propres prisons, quatre éléments ont contribué à l’actuelle radicalisation violente. Ils semblent à première vue indépendants les uns des autres. Et pourtant, il s’agit d’un cocktail empoisonné dans lequel la violence peut fermenter.


Abu Ghraib

1. Guantanamo, Abu Ghraib, Bagram…



Il n’est plus possible de parler des prisons sans prendre en compte le contexte international. Ce n’est pas pour rien que Daesch habille ses otages en costume orange. C’est la couleur de la prison de Guantanamo, dont Obama nous dit, année après année, qu’elle “est utilisée par tous les djihadistes pour recruter». Il est établi que les prisons antiterreur des États-Unis et leurs prolongements dans les pays amis, ont fait atterrir derrière les barreaux des milliers d’innocents. 


(photo Ali Aarrass) L’affaire Ali Aarrass en est un des exemples les mieux connus de collaboration des gouvernements belges successifs à l’extradition et à la torture au Maroc d’un homme qui a été estimé totalement blanchi par la justice espagnole. Le traitement inhumain des “détenus de la terreur” a incontestablement crée plus de terroristes qu’il n’en a réduit au silence. De plus, ces prisons se sont transformées en “lieu de rencontre” et en “université” pour la création d’organisations terroristes. Il suffit de penser aux dirigeants d’Al Qaeda et d’ISIS, Zarqawi ou Baghdadi, qui ont séjourné cinq ans dans le camp américain de Bucca.




Il y a plus.

Matthew Alexander a servi pendant 14 ans dans l’US Air Force.  Il a pris part aux opérations spéciales dans quelque trente pays. En Irak, il a dirigé plus de trois cents interrogatoires de prisonniers terroristes et supervisé l’interrogatoire de plus de 100.000 autres. Il a été décoré de l’Étoile de Bronze pour ses mérites en Irak.  En novembre 2008, il écrivait dans un article pour le Washington Post: « J’ai appris en Irak que la base de recrutement la plus directe et la plus large pour les volontaires étrangers qui viennent se battre ici, ce sont les abus que nous avons perpétrés dans les prisons  d’Abu Ghraib et de Guantanamo. Notre politique de torture a été la base directe la plus large de recrutement pour Al Qaeda en Irak ».

Huit ans après la parution de son article, deux ans après la parution du rapport hallucinant de la commission du sénat américain sur les tortures de la CIA, Guantanamo est toujours ouvert. Il  faut signaler que la Belgique figure également sur la liste des pays européens qui ont fourni leur collaboration au transport (illégal) des prisonniers vers Guantanamo.



Si Guantanamo est traité comme un détail par l’opinion politique, médiatique et publique, il en va tout autrement dans les prisons. Les prisonniers entendent parfaitement notre silence assourdissant. Dans les prisons, Guantanamo est devenu le symbole et la référence pour l’arbitraire, l’absence de droits, les traitements inhumains et les conditions de détention inacceptables. De l’autre côté de la barrière, du côté des services de police et des gardiens de prison, Guantanamo a aussi déplacé les limites de l’acceptable. 

Quelques exemples.

Alexandre Varga, un détenu qui se suicidera en 2010 dans une cellule d’isolement après une évasion manquée, paraissait en 2008 devant le tribunal avec une chemise orange portant la mention « GuantanaMons ». Il voulait ainsi dénoncer les conditions de détention à la prison de Mons. Lors d’un débat à l’ULB auquel je participais avec l’ex-détenu François Troukens, celui-ci affirmait que « les conditions de détention dans la prison de Forest sont pires que celles de Guantanamo, parce que là au moins il fait chaud et on reçoit assez à manger ». En 2008, Ashraf Sekakki adressait une série de lettres au journal De Morgen dans lesquelles il décrivait les conditions de vie dans la section de sécurité spéciale individuelle de Bruges sous le titre « Bruges: le Guantanamo belge ».

Le 11 novembre 2003, trois gardiens soûls ont maltraité des détenus de la section psychiatrique de la prison de Mons, selon un mode inspiré d’Abou Ghraib. La corde au cou, les détenus devaient ramper et obéir à des ordres comme « Assis » ou « Lèche ». Le 22 septembre et le 30 octobre 2009, une section de la police bruxelloise a remplacé les gardiens de prison de Forest alors en grève. Il s’ensuivit des scènes que l’on peut lire en détails dans le rapport de la Commission de surveillance de la prison de Forest et dans le rapport de 2010 du Comité européen pour la prévention de la torture. À nouveau, l’inspiration naissant  de la déshumanisation américaine des prisons de Guantanamo ou d’Abou Ghraib est pertinente. Un exemple: des agents de police masqués obligent un détenu agenouillé, nu et en larmes à adresser des insultes à l’adresse du prophète Mohamed. Six ans après les faits, les neuf agents de police ont été déchargés de toute poursuite.

Des exceptions? Des pommes pourries? Peut-être. Mais cela illustre comment le virus de Guantanamo a infecté nos prisons. 


Black lives matter

2. Les Afro-Américains d’Europe : la surpopulation des prisons avec des « étrangers ».



Dans notre propre pays, nous faisons face depuis plus de deux décennies à une surpopulation des prisons, comme le décrit le professeur Fabienne Brion, « sans précédent au vingtième siècle, excepté pendant les périodes de guerre ». Un des principaux facteurs expliquant cette surpopulation est l’élévation dramatique du nombre de détenus étrangers. En 2010 ils représentaient 44% de la population pénitentiaire, soit 4500 détenus de nationalité étrangère. Ce nombre est d’ailleurs difficile à estimer vu que des détenus possédant la double nationalité sont parfois comptés comme étrangers alors qu’ils sont comptabilisés comme Belges hors prison. On peut aussi ne pas avoir la nationalité belge parce qu’on ne l’a jamais demandée ou obtenue, mais avoir vécu toute sa vie en Belgique. Ce que l’on sait des chiffres officiels du gouvernement est que 60% des étrangers dans les prisons sont des personnes en situation illégale.

Entre 1974 et 2012, le degré de détention (le nombre de détenus par 100.000 habitants) a grimpé de 58 à 64 pour les Belges et de 134 à 440 pour les étrangers. Il y a plusieurs raisons à cela. J’en cite quelques-unes.

Pour commencer, on atterrit plus facilement en prison quand on est étranger. Les chercheurs s’accordent à dire que les groupes minoritaires (de couleur) sont plus visés par la police et la justice et que leur enfermement « pour protéger la société » est facilité par leur nom, couleur, ou position socio-économique plus faible. De plus, pour les condamnés sans droit de séjour légal, il n’y a pas d’autre solution que la prison.

Une fois arrivé en prison, on en sort plus difficilement pour les mêmes raisons. Pour les détenus étrangers, il n’y a pas de réduction de peine dans la plupart des cas parce qu’ils n’ont pas d’emploi stable. Ils n’entrent pas en ligne de compte pour la libération conditionnelle, parce qu’ils n’ont pas assez de garanties en matière de logement, de travail et de revenus réguliers. La libération conditionnelle est aussi bloquée par la procédure d’éloignement du territoire, qui peut durer longtemps ou parce qu’il n’y a pas de plan de reclassement convaincant pour les juges.



La conscience dans les prisons que le nombre d’étrangers est tout simplement hors proportion et ce pour des faits qui sont dans beaucoup de cas de moindre gravité que pour les codétenus belges, génère un sentiment d’injustice et de discrimination. Leur religion, - in casu l’islam -, est souvent considérée par les autorités pénitentiaires comme une menace alors que leurs propres instances religieuses ou leurs organisations en général leur tournent le dos, parce qu’elles considèrent qu’ils font honte à la communauté. Pour les détenus, la religion devient un moyen de tenir bon et de résister aux autorités.

La surpopulation des prisons entraîne, tout comme aux États-Unis, un mécanisme par lequel cette surreprésentation injuste est présentée comme la preuve de la criminalité des étrangers. Et donc un argument d’exclusion de tout un groupe de la population. Pour les prisonniers concernés, la seule perspective, c’est le bannissement et le transfert vers un pays où ils n’ont souvent jamais mis un pied, la déchéance de nationalité pour les binationaux, voire même la mise sur pied de prisons belge au Maroc.



Si l’on veut vraiment combattre la radicalisation dans les prisons, il faut commencer par réduire le nombre de prisonniers. Supprimer la pauvreté dans les régions et les communes les plus pauvres de ce pays. Mettre fin au racisme et à la discrimination et formuler des alternatives à la détention automatique des étrangers. En offrant une perspective d’intégration des détenus étrangers en lieu et place de l’exclusion et du bannissement.



La prison de Saint-Gilles

3. Les conditions scandaleuses dans lesquelles les prisonniers doivent (sur)vivre



Lorsque j’ai reçu le rapport 2014-2015 de la Commission de surveillance de la prison de Saint-Gilles, je devais repenser à Amedy Coulibaly, qui a assassiné cinq personnes à Paris le 9 janvier 2015, dont quatre dans un Hyper Cacher.

Il avait 18 ans quand il fut pris sous le feu de la police avec son ami Ali Resgui pour le vol de motocyclettes. Ali mourut dans les bras de Coulibaly. Des émeutes éclatèrent, mais aucune instruction ne fut ouverte. C’est à juste titre que l’anthropologue Alain Bertho s’interroge : « Qui s’est préoccupé du jeune Coulibaly, une fois la tempête médiatique apaisée ? ».

Pendant les quinze années suivantes, Amedy Coulibaly passera sa vie à entrer et sortir de prison. Lors de son séjour à la prison de Fleury-Mérogis, il mit sur pied un projet de film clandestin. Avec quatre autres détenus, il filma des heures durant les cellules surpeuplées, le manque d’hygiène, les douches et leurs murs gluants, la violence des bagarres. Ces prises de vue clandestines de plus de deux heures et demie parurent sur le site du Monde en décembre 2008 ainsi que dans l’émission de France 2, « Envoyé spécial ». Ils entendaient ainsi, disaient-ils, « révéler le côté caché de la détention, briser l’hypocrisie sur la situation dans les prisons et sur la prétendue intégration ». Leur message disait aussi : « Beaucoup pensent qu’aller en prison n’est pas grave. Qu’ils en sortiront plus forts. Nous voulons montrer que c’est une vraie merde, et qu’on devient fou ici ».



 Le rapport sur Saint-Gilles, où je fus enseignant, décrit une Fleury-Mérogis à la belge. Il ne porte donc pas sur cette autre prison bruxelloise, celle de Forest, dont on dit déjà depuis vingt ans qu’elle est invivable et dont un dirigeant syndical disait récemment qu’il allait y avoir des morts à cause des conditions de détention inacceptables. Les circonstances décrites dans le rapport sur Saint-Gilles sont hallucinantes. Voici quelques extraits au hasard : « Depuis juin 2015, il n’y a plus aucune activité, une mesure prise par la direction parce qu’il n’y a plus que 328 gardiens au lieu de 360. Cela signifie qu’il n’y a plus de leçons (le personnel des organisations qui organisent les cours sont au chômage technique), pas d’activités socio-culturelles, pas de groupes de parole, pas de services religieux, par d’accès à la salle de sport ou à la bibliothèque ». Ce qui implique que les détenus sont enfermés à deux en cellule 22 à 23 heures sur 24 sans aucune activité ! Mais à côté de cette situation d’exception, le bilan du quotidien est le suivant : « La surpopulation moyenne s’élève à 41%. La plupart des détenus vivent en duo dans une cellule d’environ 9m², avec des lits superposés et très peu ou pas de vie privée. Il manque des produits d’entretien pour maintenir les cellules propres, comme aussi de produits de vaisselle ou d’éponges, de sorte que certains détenus utilisent leurs chaussettes comme lavettes. Il manque de savon pour se laver. Pour les détenus qui n’ont pas d’argent, il est difficile d’assurer leur hygiène personnelle. Dans certaines cellules, il n’y a plus aucune hygiène personnelle, ce qui rend pénible le travail des gardiens. L’état des douches est inhumain. Un détenu en cachot n’a pas droit à la douche, il reste parfois neuf jours sans se laver ou se brosser les dents. Il manque de mobilier. Tous les détenus reçoivent leur repas dans la cellule, ils mangent à côté des toilettes, parfois debout sans chaise. Les étrangers en prison ne peuvent suivre aucun cours car ils ne connaissent ni le néerlandais ni le français. Un détenu qui travaille gagne 80 cent de l’heure. En travaillant 8 heures par jour, on peut atteindre un salaire de 120 euros par mois. La bibliothèque est rarement ouverte et depuis juin 2015, elle est totalement fermée. Il y a une pénurie totale de personnel médical. Il y a un psychiatre pour toute la prison, qui affirme que la situation psychologique des prisonniers est catastrophique.

Des sanctions sont prises sans prendre en considération la santé des détenus. Des personnes souffrant de sclérose en plaque ou de Parkinson sont mises au cachot. En 2014, trois détenus se sont suicidés et cinq autres sont morts. »



Il y a bien, dans l’aile D, une section pour les prisonniers tuberculeux. Ce qui m’amène aux déclarations du professeur Cosyns selon lesquelles le nombre de tuberculeux dans les prisons belges est seize fois plus élevé que dans le reste de la société, alors que le sida y est cinq fois plus présent, l’hépatite C sept fois et les psychoses cinq fois. Le problème dans notre société est qu’un rapport sur l’enfermement barbare d’animaux provoque plus d’émoi sur des conditions semblables de détention pour des êtres humains…


Cellule haute sécurité à Vught (Pays-Bas)

4. L’isolement et la construction de nouvelles prisons au sein des prisons



Depuis le début de la guerre contre le terrorisme, il y a une quinzaine d’années, j’ai suivi quelques procès de terroristes et j’ai visité différents détenus, poursuivis ou condamnés pour terrorisme. Ou j’avais des contacts avec leur famille. Je prétends que notre inflexibilité dans l’approche des personnes condamnées pour terrorisme a contribué à crée la situation actuelle, devenue incontrôlable.

Pendant ces quinze années, nous avons fourré dans le même sac tous les volontaires pour l’Afghanistan ou pour l’Irak, le grand sace du terrorisme et du fondamentalisme. Alors que beaucoup n’en avaient même aucune connaissance. Après le quartier de sécurité pour des mesures particulières et individuelles de la prison de Bruges, qui fait de plus en plus fonction de prison pour terroristes, nous allons maintenant ouvrir des ailes séparées pour les personnes radicalisées à Bruges et à Ittre ; on parle ouvertement de la construction de prison de haute sécurité pour tous les détenus dangereux à Achène.

Si vous doutez de l’influence du traitement sur les détenus en matière de radicalisation de toute une génération, il suffit de rappeler la période des prisonniers de l’IRA à la prison de Long Kesh à Belfast (Bobby Sands) ou celle des prisonniers de la RAF dans la prison allemande de Stamheim (Andreas Baader et Ulrike Meinhof). Dans un cas comme dans l’autre, les traitements inhumains des prisonniers politiques n’ont fait que susciter de nouvelles générations de combattants.


(photo transport Nizar Trabelsi sous le régime code 3)
Car si le monde extérieur ne veut pas savoir ce qui s’y passe, les détenus eux le savent.

Il en fut ainsi de l’affaire Trabelsi, condamné à dix ans de prison ferme pour la planification d’un attentat contre la base militaire de Kleine Brögel. Il a purgé sa peine jusqu’à la dernière minute, sans aucune réduction de peine. Durant toute sa détention, il a été transféré de prison en prison ; chaque transport se passait sous le régime du « code 3 ». Dans chaque prison, il a passé la majeure partie de son temps en isolement. Pas moins de cinq psychiatres ont demandé que cesse cet isolement ou qu’il soit du moins adouci, vu qu’il dépérissait physiquement et psychologiquement. J’ai moi-même organisé des actions pacifiques de protestation devant la prison de Bruges. Rien n’y fit et l’isolement s’est poursuivi. Sa demande d’asile a été refusée. Son mariage avec sa fiancée belge a été empêché. Finalement, Nizar Trabelsi a été extradé illégalement le 3 octobre 2013 et livré aux États-Unis où il se trouve déjà depuis trois ans en isolement, dans l’attente d’un nouveau procès. Pour ces faits, la Belgique a été condamnée par la Cour européenne des Droits de l’homme. Trabelsi a déclaré à plusieurs reprises qu’il ne défendait plus la voie qu’il avait choisie. Mais qui en a cure ? Dans les prisons, par contre, ces récits circulent. Ils contribuent d’une part à renforcer le sentiment d’être maltraités et exclus et d’autre part à créer des mythes. En tout cas pas à détourner de la voie terroriste.




Et enfin, l’isolement ne concerne pas seulement la vie au sein de la prison, mais aussi de tout contact avec le monde extérieur. J’avais un bon contact tant avec Nizar Trabelsi qu’avec Malika El Aroud, jusqu’à ce que je sois interdit de donner des cours dans n’importe quelle prison belge et d’y visiter des détenus. Pour des « raisons de sécurité », selon la version officielle.

Disposons-nous en Belgique ne serait-ce que d’un ex-détenu qui puisse témoigner parmi les jeunes sur son parcours et qui puisse leur offrir une autre perspective que celle du terrorisme ? Je ne parle pas ici du système policier des « repentis », mais de la perspective de pouvoir se battre autrement pour la justice et la paix.


Sources

·         http://www.lemonde.fr/societe/article/2015/01/12/quand-amedy-coulibaly-denoncait-les-conditions-de-detention-a-fleury-merogis_4554689_3224.html#mpeXj142FA3x53VU.99

·         http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2008/11/28/AR2008112802242_pf.html

·         Bart De Wever in Het laatste nieuws en Knack 24 09 2013

·         CVT Sint-Gillis Rapport 2014-2015

·         Les enfants du chaos, essai sur le temps des martyrs, Alain Bertho, La Découverte


·         Guantanamo chez nous ? Luk Vervaet, Antidote 2014 ( ((traduction du néerlandais par Nadine Rosa-Rosso)

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