Seuls 27.1% des employés travaillent sous le régime
du CDI. Un bon quart des déclarés à la CNSS le sont moins de 5 mois dans
l'année. Aucune structure de prise en charge des chômeurs n'a encore vu
le jour.
Le chômage élevé (des
jeunes notamment) est-il soluble dans la flexibilité ? Faut-il se
résoudre à effectuer un saut (dans l’inconnu ?) en matière de relations
professionnelles ? Certains le pensent et préconisent de «fluidifier» le
marché du travail en agissant en particulier sur la relation
contractuelle liant le salarié et l’employeur. Plus franchement, l’idée
est de dégrader, il n’y a pas d’autres mots, le contrat à durée
indéterminée (CDI) de sa position privilégiée en tant que forme de
relation contractuelle.
Si
le sujet fait débat en France où les libéraux (au sens économique du
terme) mettent toutes les difficultés des entreprises sur le compte du
CDI, qu’en est-il au Maroc ? Dans ce domaine, comme dans beaucoup
d’autres, la comparaison est inopérante. Le Maroc est encore un pays où
l’écrit ne régit pas tout, y compris, dans certaines contrées, les
relations matrimoniales. Par conséquent, introduire plus de flexibilité,
comme le répète la confédération patronale depuis bien longtemps, par
rapport à quelle situation ?
Aujourd’hui,
le marché du travail au Maroc, tel que le montrent les chiffres
officiels, il n’y en a pas d’autres, est très largement dominé par des
relations non écrites. 63% des salariés travaillent sans contrat et 3,7%
ont avec l’employeur un contrat…verbal, selon la direction de la
statistique relevant du Haut commissariat au plan (HCP). En d’autres
termes, plus des 2/3 des actifs occupés qui ont un statut de salarié
n’ont pas de contrat de travail !
En
y ajoutant ceux qui travaillent sous contrat à durée déterminée (CDD)
et qui représentent 5,6% de la population des salariés, la flexibilité,
d’autres diront la précarité, monte à 72,3%. Finalement, seuls 27,1% des
salariés travaillent sous le régime du CDI.
Ce
qui est encore plus préoccupant, c’est que la précarité de l’emploi
touche surtout les jeunes de moins de 25 ans : le taux de
contractualisation de la relation de travail pour cette catégorie est
inférieur à 12%. Les non- diplômés en sont également concernés : ils
sont seulement 16% à travailler avec un contrat. En fait, seuls les
salariés de niveau supérieur ont un niveau de contractualisation
relativement élevé : 68%.
Seulement 43,3% des actifs occupés sont des salariés
Ces
statistiques concernent, il faut le préciser, la population des
salariés, laquelle représente 43,3% de l’ensemble des actifs occupés.
Inutile donc de parler des aides familiales (23%) et des apprentis (1%),
ceux-là sont des travailleurs non rémunérés, et comme tels, ils
symbolisent la précarité même. Le reste de la population active occupée
étant constitué d’indépendants (28,8%), d’employeurs (2,4%) et de
membres de coopératives (2%).
Observons,
en passant, que le salariat en Tunisie, par exemple, est autour de 60%
de la population active occupée. En France, il est de l’ordre de 90%.
Autrement dit, les travailleurs éventuellement concernés par la question
du régime juridique de leurs relations professionnelles sont déjà, à la
base, numériquement faibles.
Certes,
la tendance au recul du salariat est manifeste dans les pays
développés, et ce n’est pas seulement dû à la crise qui y sévit depuis
quelques années. Cela résulte aussi de la volonté de chacun de “monter”
sa propre affaire, d’exercer librement une activité plutôt qu’une autre,
voire de changer d’activité aussi souvent que possible. Dans une sorte
de mouvement général vers plus de liberté (dans tous les domaines
d’ailleurs) et, pourquoi pas, davantage de profits, l’activité tend
ainsi à remplacer l’emploi, celui-ci impliquant des liens de
subordination, des relations hiérarchisées à tout le moins.
La
baisse tendancielle du salariat dans les pays développés de l’Occident
semble par conséquent liée à des déterminants à la fois économiques et
culturels. Dans le cas du Maroc, trois remarques s’imposent à ce
propos. D’une part, le niveau d’éducation et les facilitations
qu’offre l’environnement pour la stimulation de projets individuels sont
évidemment loin d’égaler ceux que l’on peut observer en Occident.
D’autre part, les indépendants sont déjà assez nombreux (près de 29%) au
sein de la population des actifs occupés. Enfin, dans un pays jeune, en
voie de développement et traînant des déficits nombreux, vouloir
trouver un emploi, de préférence un emploi salarié, est tout à fait
légitime.
16,6% des travailleurs désirent changer d’emploi
Moyennant
ces considérations, le marché du travail au Maroc ne paraît pas se
prêter à davantage de flexibilité. C’est un marché qui se construit et, à
ce titre, il aurait plutôt besoin de protection, contrairement aux pays
développés où les marchés du travail sont des marchés matures.
Quand
on sait que 80% des travailleurs n’ont pas de protection sociale, que
65% n’ont aucun diplôme, que «l’agriculture, forêt et pêche» reste
encore le premier pourvoyeur d’emplois (40%), que le BTP, précaire par
excellence, emploie 12,5 % des actifs occupés, y a-t-il encore de la
marge pour plus de flexibilité ?
Dans
le secteur privé, qui emploie l’essentiel de la main-d’œuvre (90%), les
salariés déclarés à la CNSS n’atteignent même pas 3 millions de
personnes (2,7 millions exactement). Et parmi ces déclarés, on sait
qu’un bon quart est déclaré moins de 5 mois dans l’année et qu’environ
30% sont déclarés entre 6 et 11 mois dans l’année. En tout cas, moins de
50% seulement sont déclarés 12 mois dans l’année. En intégrant la donne
régionale dans ces statistiques, on observe que 45% des salariés
déclarés sont concentrés dans la région du Grand Casablanca. Avec son
prolongement qu’est Rabat-Kénitra, cette bande du littoral fournit 64%
des déclarés à la CNSS. Au total 2/3 pour deux régions et 1/3 pour tout
le reste !
Autre
indicateur de la précarité de l’emploi au Maroc : le taux de
sous-emploi, bon an mal an, équivaut à celui du chômage. Autrement dit,
sur les 10,5 millions d’actifs occupés, il faut compter un peu plus de 1
million qui sont sous-employés. Une enquête du HCP sur la qualité de
l’emploi au Maroc montre d’ailleurs que 16,6% des actifs occupés
désirent changer d’emploi. Dans cette catégorie, les jeunes de moins de
35 ans sont les plus nombreux (37%).
Last
but not least, aucune structure de prise en charge des chômeurs, même
de façon temporaire, n’a encore vu le jour. La fameuse IPE (indemnité
pour perte d’emploi), dont on parle depuis une dizaine d’années est
encore dans les limbes, et rien n’indique qu’elle verra bientôt le jour.
Il y a quelques mois, le projet avait de nouveau été discuté à la CNSS,
et selon des responsables présents à la réunion, la CGEM n’avait pas
donné son accord pour des raisons liées, selon elle (la confédération), à
la pérennité du financement de l’indemnité ! Par le passé, c’était les
syndicats des salariés qui bloquaient...
Maroc : Le code du travail, assez flexible...
Le code du
travail de 2004 paraît assez flexible en matière de relations
contractuelles de travail. Dans le chapitre réservé à la formation du
contrat de travail, l’article 15 alinéa 2 stipule : «En cas de
conclusion par écrit, le contrat de travail doit (…)». Autrement dit, le
code n’exige pas de contrat écrit dans une relation professionnelle,
cela reste une possibilité. Dans l’article suivant, le législateur a
prévu trois formes de contrat de travail : un contrat à durée
indéterminée (CDI), un contrat à durée déterminée (CDD) et un contrat de
mission.
Bien entendu, la
conclusion d’un CDD est limitée à des cas expressément énumérés, mais
cela est bien normal, en tout cas économiquement justifié. Le code du
travail a également aménagé des possibilités de se séparer d’un salarié
ayant un CDI, pour des raisons économiques, technologiques ou
structurelles.
Au total,
la possibilité pour l’employeur de rompre un contrat de travail, fût-il
un CDI, est offerte par le code du travail. A condition bien sûr que
cela soit justifié. C’est un minimum de respect pour les salariés.
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