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mercredi 27 mars 2013

Pour une nouvelle gauche marocaine

«Face au déficit de l’Etat et au sous-développement structurel de la société», le Maroc a besoin d'un véritable changement social, explique Montassir Sakhi. Pour ce militant de la gauche marocaine, le Mouvement du 20 février qui a mené la contestation en 2011 a créé un espace public de débat, mais il doit aujourd'hui se transformer en parti démocratique de gauche pour «décomposer l’aliénation et cette guerre silencieuse, à la fois symbolique et réelle, menée contre la majeure partie des Marocains».



La démocratie, comme l'émancipation des individus et de toute la société, ne peut s'instaurer par une pacification trompeuse et par l'allégeance. Elle ne peut s'instaurer sans un contrat social et des luttes pacifiques pour un changement en faveur des populations. Ces changements ne peuvent se réaliser sans une organisation solide, démocratique et déterminée.
Les sociologues comme les politologues critiques le savent bien : les partis politiques, même dans les démocraties représentatives d’aujourd’hui, ne peuvent être l’unique vecteur du changement social. Ce dernier est lié non seulement à l’action de l’Etat et ses institutions représentatives et bureaucratiques, mais aussi aux mouvements des classes, aux mouvements sociaux et aux mouvements des élites. Les partis politiques peuvent, néanmoins, être les agents et les intermédiaires de la négociation des changements, de l’organisation des classes et des mouvements sociaux en vue de la révolution, et surtout des organisations permettant l’exercice du pouvoir et la mise en place des projets sociétaux revendiqués par les forces de changement.
Au Maroc aujourd’hui, et encore moins dans la gauche marocaine, il n’existe pas de parti capable et aspirant à assumer ce rôle historique, celui de revendiquer, mener et accomplir un changement social. Pourtant, le besoin est considérable face au déficit de l’Etat et au sous-développement structurel de notre société. Une société qui n’a pas pu jusqu’à aujourd’hui s’ériger en société moderne, une société où les individus sont encore interchangeables, se ressemblent, adhèrent à des valeurs communes et ne sont pas différenciés les uns des autres notamment dans un monde rural dominant et dans des villes loin d’être modernes. Une société où la pensée religieuse ainsi que la pensée non-logique caractérisent les actions et modes de vie et où les groupes s’opposent à l’émancipation individuelle. Au-delà des groupes, la classe aisée, la bourgeoisie comme les grandes familles marocaines bénéficiaires du système de la rente, se sont alliées au statu quo et à la préservation de leurs intérêts tout en condamnant la société toute entière à la stagnation.
De l’autre côté, l’Etat. Ce dernier, sensé être un agent favorisant le passage d’une société traditionnelle à une société moderne, s’est contenté de dominer la société et d’être un agent par lequel la classe dominante accumule les richesses et exploite les populations. Le processus de l’Etat-nation, mené en particulier par une monarchie dépendante des forces extérieures, n’a profité qu’aux classes supérieures. La bureaucratisation et la rationalisation de la société se sont déroulées dans l’unique objectif de fonder un régime despotique excluant l’émancipation des groupes et des individus. La bureaucratisation, au lieu de permettre l’émergence des champs relativement indépendants les uns des autres, a, au contraire, instauré la centralité de l’Etat et d’un système et d’un esprit (le Makhzen) transversaux qui déterminent tous les secteurs et décident de toute la vie sociale, économique, politique et culturelle marocaine. Ainsi, les relations entre la scène politique, l’économie, l’art, les médias, l’Université, etc. sont marquées par l’allégeance et l’interdépendance. Le centre du pouvoir, érigé en caste avec des représentants disséminés sur l’ensemble des territoires, contrôle la société et la condamne à perpétuer son sous-développement.
Face à cette situation, les forces de changement (en particulier les gauches) ont été incapables, pendant plusieurs décennies de lutte, de briser ce déséquilibre, d'encadrer les classes sociales et d'accéder au pouvoir. Après 2002, l’Union socialiste des forces populaires (USFP), ayant mené la lutte de la gauche pendant les années précédentes, déclare son échec retentissant, coupe avec l’aspiration au changement et rejoint définitivement le rang de l’Etat dominant. En 2012, de son côté, le Parti de la justice et du développement (PJD) rejoint la vision du statu quo. Seul le mouvement islamiste/séculier Justice et Bienfaisance est resté plus ou moins en dehors des rouages étatiques, ainsi que les organisations de gauche sans grande influence.
Si une partie des Marocains, aussi minime soit-elle, est sortie le 20 février 2011 pour revendiquer le changement dans l’ensemble des villes et villages, c’est qu’une vague de conscience existe plus que jamais. Si le Mouvement du 20 février a réussi à créer pour la première fois dans l’histoire du Maroc un espace public de débat, c’est que le Maroc ne peut être considéré comme une exception : c’est-à-dire un pays qui ne peut accéder à l’ère moderne. Le mouvement, déclenché notamment par une jeunesse croyant aux changements et au dépassement de l’aliénation, est la preuve tangible que le Maroc manque de structures et d’organisations encadrant les citoyens et accompagnant le mouvement qui revendique le changement.
Si ce mouvement n’a pas réussi à imposer un contrat social et une amélioration démocratique, ce n’est pas à cause de son incapacité à mobiliser de grands pans de la société et à peser sur l’Etat et les classes dominantes, c’est surtout parce qu’il a été délaissé par une classe politique dépendante du régime central et des forces étrangères. C’est parce que le mouvement social n’est pas organisé et n’est pas accompagné par des agents, portés par ces mouvements, qui aspirent à s’emparer du pouvoir afin d’exécuter les changements revendiqués.
Cette organisation est nécessaire. Pour nous, citoyens, jeunes, femmes et militants portant les principes de la gauche, il s’agit de la nécessité de créer un parti de gauche. Seule notre organisation en parti démocratique de gauche nous permettra de peser sur le changement social, d'encadrer les dominés (sans conscientisation et encadrement des dominés, les classes de lutte pour le changement ne peuvent exister : comme le souligne Marx le sociologue, sans conscience de classe, il n’y a pas de classe). Notre organisation devra mobiliser les citoyens avec des valeurs novatrices et claires : les valeurs de l’Etat social où le pouvoir sera à la fois fort et limité et où les richesses seront réparties avec équilibre et justice et où l’éducation, l’émancipation et les libertés collectives et individuelles seront des droits inaliénables. Sur la base de la conscientisation et de l’éducation populaire, notre organisation devra décomposer l’aliénation et cette guerre silencieuse, à la fois symbolique et réelle, menée contre la majeure partie des Marocains.
Si l’histoire moderne du Maroc est une histoire de domination makhzanienne, cette dernière ne peut se perpétuer avec son visage sauvage et radical. Notre combat est celui des dominés contre les dominants. Notre rôle est d'être l'élite portant la voix des dominés et l'objectif de la constitution d'un Etat social moderne pour une société composée de groupes et d’individus émancipés.
Montassir Sakhi, militant de gauche marocain, membre du Mouvement du 20 février, étudiant-chercheur à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris
http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/180313/pour-une-nouvelle-gauche-marocaine

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