Pour
avoir fait un lien renvoyant à une vidéo d’Al Qaïda menaçant le Maroc,
le journaliste Ali Anouzla, du site indépendant Lakome, est incarcéré
pour « incitation au terrorisme ». Il risque jusqu'à 20 ans de prison.
Rabat, Maroc, correspondance
« Anouzla est journaliste, pas terroriste ! », « Pourquoi ils t’ont arrêté, Ali ? Parce que tu dis la vérité ! », « Tous solidaires avec Ali Anouzla ! » Ils étaient plusieurs centaines à être venus ce jeudi devant le parlement marocain dénoncer l’inculpation du journaliste Ali Anouzla pour « incitation au terrorisme ». Connu pour ses éditoriaux critiques envers le pouvoir, le directeur de la version arabophone du journal électronique indépendant Lakome est poursuivi pour avoir publié un lien renvoyant à une vidéo d’Al Qaïda menaçant le Maroc.
Avocats, journalistes, acteurs associatifs, artistes et quelques
personnalités politiques se sont réunis à Rabat pour appeler à sa
libération et à l’abandon des charges qui pèsent contre lui. À Tanger
aussi, une manifestation a rassemblé quelques dizaines de personnes.
Pour la militante du Mouvement du 20 Février et de l’Association marocaine des droits humains (AMDH) Kamilia Raouyane, « le pouvoir essaie de se venger de lui en lui collant une affaire de terrorisme ».
Mardi soir, après une garde à vue d’une semaine, Anouzla était présenté devant un juge d’instruction et poursuivi pour apologie du terrorisme, incitation au terrorisme et assistance matérielle. Il a ensuite été transféré à la prison de Salé, où sont généralement détenus les prisonniers condamnés pour terrorisme. Il est poursuivi en vertu de la loi antiterroriste de 2003 et, d'après son avocat, risque jusqu’à 20 ans de prison.
Dans un article évoquant une menace terroriste contre le Maroc,
Anouzla a partagé le lien d’une vidéo d’Al Qaïda au Maghreb Islamique
(AQMI) qui appelait au Jihad – tout en précisant qu’il s’agissait de
propagande – disponible sur un blog du journal espagnol El País,
et retirée depuis. La version francophone du site Lakome a publié cette
vidéo, mais son directeur, Aboubakr Jamaï, n’a pour l’instant pas été
inquiété. Contacté par téléphone le lendemain de l’annonce des
poursuites, Aboubakr Jamaï se disait « abasourdi » par les chefs d’accusation retenus contre son confrère.
Selon l’avocat d’Anouzla, Me Abderrahim Jamaï, le fait que son client soit accusé selon la loi antiterroriste est « scandaleux » et « aberrant ». « C’est un procès d’opinion. Quand on fait un procès à un journaliste, c'est la liberté d’expression qui est menacée, affirme-t-il. Il s’agit de quelqu’un qui n’a commis aucun acte matériel. Quand on cherche coté matériel, on trouve un site électronique, des analyses. »
Depuis l’inculpation d’Anouzla, la mobilisation s’est nettement intensifiée. Ce samedi, des sites d’information électroniques (Lakome bien sûr et aussi Yabiladi, Mamfakinch, Onorient, Telquel), ainsi que des blogueurs connus (Larbi.org, docteurho.com, mounirbensalah.org, excepmag.com, mdd.ma, sniper.ma, transportmaroc.wordpress.com, carnetdebeur.com, mcherifi.org, thesanae.com) ont lancé une opération blackout Internet. Elle a été aussi suivie sur Facebook et Twitter.
Vendredi 27 septembre, 56 journalistes marocains établis à l’étranger ont entamé une grève de la faim. Sur les réseaux sociaux, des journalistes du monde entier ont publié leur photo appelant à sa libération. De nouveaux rassemblements sont aussi prévus à l’étranger, à Montréal ce samedi, et à Lille le 1er octobre.
« Anouzla est journaliste, pas terroriste ! », « Pourquoi ils t’ont arrêté, Ali ? Parce que tu dis la vérité ! », « Tous solidaires avec Ali Anouzla ! » Ils étaient plusieurs centaines à être venus ce jeudi devant le parlement marocain dénoncer l’inculpation du journaliste Ali Anouzla pour « incitation au terrorisme ». Connu pour ses éditoriaux critiques envers le pouvoir, le directeur de la version arabophone du journal électronique indépendant Lakome est poursuivi pour avoir publié un lien renvoyant à une vidéo d’Al Qaïda menaçant le Maroc.
Manifestation en faveur de journaliste Anouzla à Rabat © IR |
Mardi soir, après une garde à vue d’une semaine, Anouzla était présenté devant un juge d’instruction et poursuivi pour apologie du terrorisme, incitation au terrorisme et assistance matérielle. Il a ensuite été transféré à la prison de Salé, où sont généralement détenus les prisonniers condamnés pour terrorisme. Il est poursuivi en vertu de la loi antiterroriste de 2003 et, d'après son avocat, risque jusqu’à 20 ans de prison.
Selon l’avocat d’Anouzla, Me Abderrahim Jamaï, le fait que son client soit accusé selon la loi antiterroriste est « scandaleux » et « aberrant ». « C’est un procès d’opinion. Quand on fait un procès à un journaliste, c'est la liberté d’expression qui est menacée, affirme-t-il. Il s’agit de quelqu’un qui n’a commis aucun acte matériel. Quand on cherche coté matériel, on trouve un site électronique, des analyses. »
Depuis l’inculpation d’Anouzla, la mobilisation s’est nettement intensifiée. Ce samedi, des sites d’information électroniques (Lakome bien sûr et aussi Yabiladi, Mamfakinch, Onorient, Telquel), ainsi que des blogueurs connus (Larbi.org, docteurho.com, mounirbensalah.org, excepmag.com, mdd.ma, sniper.ma, transportmaroc.wordpress.com, carnetdebeur.com, mcherifi.org, thesanae.com) ont lancé une opération blackout Internet. Elle a été aussi suivie sur Facebook et Twitter.
Vendredi 27 septembre, 56 journalistes marocains établis à l’étranger ont entamé une grève de la faim. Sur les réseaux sociaux, des journalistes du monde entier ont publié leur photo appelant à sa libération. De nouveaux rassemblements sont aussi prévus à l’étranger, à Montréal ce samedi, et à Lille le 1er octobre.
Un signal contre la presse libre
Le journaliste Ali Anouzla |
Déjà,
au lendemain de l’arrestation d’Anouzla, une centaine de manifestants
s’étaient réunis devant la brigade nationale de police judiciaire, où
Anouzla était maintenu en garde à vue. Puis, une manifestation s'était
déroulée devant le ministère de la justice à Rabat. Sur la toile, de
nombreux internautes ont exprimé leur colère et leur stupéfaction. « Nous assistons à l'assassinat de la presse libre marocaine »,
écrivait le twitto @Vi_Ninua. D’autres ont envoyé des lettres de
protestation et inondé de SMS les messageries du ministre de la justice
Mustapha Ramid et du ministre de la communication et porte-parole du
gouvernement Mustapha El Khelfi.
La mobilisation a rapidement dépassé les frontières marocaines. « La
rapidité et la détermination avec laquelle les plus grandes ONG de
défense des droits de l'Homme et de liberté de la presse se sont
mobilisées pour Ali est exceptionnelle. Au Maroc aussi, il y a un vrai
élan en faveur d'Ali », souligne Jamaï. Amnesty International, Human
Rights Watch, ainsi que le Committee to Protect Journalists et
Reporters sans Frontières ont appelé les autorités marocaines à libérer
Anouzla.
Au Maroc, les soutiens parmi la classe politique et
les médias traditionnels ont été jusqu'ici plutôt timides. Plus
inquiétant, des membres éminents de partis politiques estiment justifiée
la détention d’Anouzla. Le ministre de la communication et porte-parole
du gouvernement Mustapha El Khlefi a même publié un communiqué à
l'adresse des organisations qui soutiennent Anouzla. Il n’a répondu ni
aux appels ni aux messages laissés par Médiapart. Le ministre de la
justice Mustapha Ramid s’est refusé à tout commentaire. « Je ne veux rien dire ni me prononcer, je ne veux pas commenter une instruction en cours »,
a-t-il déclaré au téléphone. Il était pourtant de ceux qui s’étaient
farouchement opposés à l’adoption de la loi antiterroriste il y a 10
ans. Alors avocat, il défendait de nombreux islamistes accusés d’être
impliqués dans les attentats perpétrés en mai 2003 à Casablanca.
Ce
n’est pas la première fois qu’Anouzla a des démêlés avec la justice
marocaine. En 2009, il était déjà poursuivi et condamné à un an avec
sursis pour avoir publié de « fausses informations » sur la santé du roi Mohamed VI. Son journal, Al Jarida El Oula, disparaîtra.
En
juin, il s’interrogeait sur les longues absences à l’étranger du roi.
Le mois dernier, il lançait ce qui allait devenir le scandale du
Danielgate – la grâce royale d’un pédophile espagnol condamné à 30 ans
de détention pour le viol de 11 enfants – et évoquait la responsabilité
du conseiller et proche du roi, Fouad Ali El Himma, dans ce scandale.
Son dernier éditorial était consacré à l’Arabie saoudite. Il y dénonçait
les efforts du royaume pour freiner tout effort de démocratisation dans
le monde arabe.
Sur la pancarte : « Vous avez libéré Daniel et vous avez emprisonné Anouzla ! » © IR
Pour
de nombreux journalistes indépendants, le message est clair. Le pouvoir
tente d’éliminer la presse électronique indépendante, à défaut de ne
pouvoir la domestiquer, comme il a pu le faire avec la presse
traditionnelle.
Le journaliste Rachid El Belghiti du site d’information Hespress redoute que certains de ses confrères « ne fassent marche arrière », même si lui ne changera pas
« sa façon de travailler ». « Ça fait vraiment peur, c’est mauvais
signe. Ça veut dire que nous sommes dans un pays qui recule », regrette-t-il. « Ali Anouzla, c’est une école,
j’ai beaucoup appris avec lui. C’est aussi un ami. Je connais ses
valeurs humaines. C’est inacceptable de mettre un journaliste dans une
cellule et le poursuivre en se basant sur la loi antiterroriste. Ça
n’arrive plus, même dans les pays de dictature militaire. »
Le journaliste Imad Stitou dénonce des accusations « fantaisistes ». « Anouzla n’a fait que son travail »,
dit-il. D’après lui, cette arrestation est un retour à l’ère du Maroc
de Hassan II. Un recul, qui risque de changer sa façon – et celle de ses
confrères, d’après lui – de pratiquer le journalisme. « On commence à penser aux lignes rouges, de plus en plus nombreuses. »
Au Maroc, manifestations contre l'incarcération d'un journaliste
De plus en plus de « lignes rouges »
Ces dernières années, le pouvoir marocain a progressivement étouffé la presse indépendante. Les sujets à aborder avec des pincettes demeurent les mêmes : la situation au Sahara, l’Islam, la monarchie ou l’entourage royal. Plusieurs publications indépendantes ont mis la clef sous la porte après des condamnations judiciaires, mais surtout à cause des boycotts publicitaires. C’est le cas du Journal hebdomadaire et de Nichane, disparus des kiosques en 2010.« Ali est aussi, et probablement surtout, le cofondateur d'un média réellement indépendant qui expose et qui perpétue le genre de journalisme libre d'Al Jarida Al Oula et du Journal hebdomadaire », explique Jamaï. « Il y a un effet mirage lorsque vous vous mettez devant un kiosque marocain, poursuit-il. La diversité quantitative est réelle, mais si vous vous intéressez à ce sujet essentiel : qui sont ceux qui exercent le pouvoir et comment ils l'exercent, alors le désert éditorial apparaît. L'uniformité est alors déprimante. »
Manifestation à Rabat en faveur de journaliste Anouzla © IR
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