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mardi 1 octobre 2013

Syrie : Pourquoi la France hypothèque une solution politique

En proposant un projet de résolution au Conseil de sécurité de l’ONU, dont certains points sont jugés « inacceptables » par la Russie, notamment l’option militaire, Paris prend le risque de saper les avancées diplomatiques. On ne peut que s’étonner de l’attitude française. De Sarkozy à Hollande, Paris est toujours en pointe s’agissant de la Syrie, comme si l’ancienne puissance mandataire se sentait une responsabilité historique. Forcée de soutenir la proposition russe, la diplomatie française semble traîner des pieds comme si une telle perspective contrecarrait ses plans. Justement, au-delà de la rhétorique et des déclarations attendues, que veut réellement le gouvernement français  ? Recherche-t-il une solution politique conforme aux intérêts du peuple syrien ou, au contraire, manie-t-il le langage de la force pour, au-delà de la question syrienne, « régler » un certain nombre de dossiers au Moyen-Orient  ? Décryptage.

     L’empire colonial français (affiche de Milleret pour l’exposition coloniale de 1931)

Washington exprime son intérêt pour le plan russe de neutralisation des armes syriennes.L’initiative russe, visant à circonscrire l’armement chimique syrien afin de le détruire, permet d’éloigner pour un temps le spectre d’une intervention militaire en Syrie. Cette proposition russe s’appuie sur une ouverture sans doute voulue par les Américains soucieux d’une « sortie par le haut », comme on dit.
Barack Obama veut en effet éviter une gifle politique, tant au Sénat qu’à la Chambre des représentants, à l’instar de celle reçue par le premier ministre britannique, David Cameron, devant la Chambre des communes. Cette crainte est le résultat direct d’une pression peut-être peu visible mais pourtant particulièrement importante  : celle de l’opinion publique.
Quel que soit le pays, les peuples sont majoritairement contre une intervention militaire en Syrie. C’est vrai aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Italie ou en Allemagne. C’est tout aussi vrai en France.La différence est que François Hollande n’a même jamais songé à consulter le Parlement, pourtant seule émanation du peuple français.

La France choisit-elle son opposition syrienne ?

Dans l’Humanité daté du 2 février 2012, Haytham Manna, représentant du Comité de coordination nationale pour le changement démocratique (CCNCD), déclarait qu’Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères, et le Quai d’Orsay donnaient « beaucoup de poids à une seule branche de l’opposition au détriment des autres, comme s’ils étaient en train de voter à la place du peuple syrien. Contrairement au CNS (Conseil national syrien), nous sommes complètement opposés à une intervention militaire ».

En effet, dès le début de la crise syrienne, en avril 2011, Paris a pesé de son poids pour que le CNS, présidé alors par Burhan Ghalioun, dominé par les Frères musulmans et parrainé par le Qatar et l’Arabie saoudite, soit le seul interlocuteur de l’opposition syrienne. La France, qui pariait alors sur un scénario à la libyenne, estimait proche la chute du régime syrien, du moins avant la fin 2011 ou, au plus, début 2012. Et de ce fait, exigeait le départ du régime d’Assad comme préalable à toute solution politique.

En 2012, moins d’un mois après l’arrivée de François Hollande à la tête de l’État, un nouveau pas est franchi : l’ambassadrice de Syrie en France, Lamia Chakour, est expulsée le 31 mai. Six mois après, le 13 novembre, Paris reconnaît la Coalition de l’opposition syrienne créée à Doha en lieu et place du CNS, et ce, bien que cette nouvelle coalition syrienne minée par des divergences soit coupée des réalités du terrain, et n’ait que peu ou pas d’influence sur les groupes armés islamistes qui ont pris le pas sur l’Armée syrienne libre (ASL).

Quelle attitude avec la conférence de Genève ?

En juin 2012, la première conférence de Genève avait rassemblé les chefs de la diplomatie des cinq membres permanents du Conseil de sécurité (États-Unis, Chine, Russie, France et Grande-Bretagne), des représentants de l’Irak, du Koweït, du Qatar, de la Turquie, et des responsables de l’ONU et de l’UE. Aucun représentant syrien n’était présent. Le principe politique de la constitution d’un gouvernement de transition comprenant des éléments du régime et de l’opposition avait été adopté.

La France n’a pas été vraiment constructive. Elle s’est opposée à la participation de l’Iran (pour faire bonne mesure, il avait été convenu de ne pas inviter non plus l’Arabie saoudite). Une erreur politique française : écarter deux acteurs pourtant majeurs de ce dossier syrien aux dimensions régionales et internationales incontestables, c’est leur permettre de ne se sentir liés par aucun accord.

Autre erreur de la diplomatie française : vouloir à tout prix sceller le sort de Bachar Al Assad en l’excluant de tout accord. Une attitude rendant impossible pour les éléments du régime les plus ouverts de faire entendre leur voix.Pis, Paris se plaçait en pointe pour une surenchère militaire avec de possibles livraisons d’armes à la rébellion. C’était faire le jeu de ceux qui, d’un côté comme de l’autre, comptent sur un règlement armé de la question.
La France n’a pas changé d’attitude. Au mois de juin, Fabius expliquait encore à propos de l’Iran et de Genève 2 : « Si l’Iran devient partie prenante de la conférence de Genève, (…) le risque, c’est qu’ils disent “écoutez, on peut faire une concession sur l’affaire syrienne, mais à condition que vous nous laissiez la bombe atomique”. » Ce qui dévoile les véritables buts français.

Des armes pour quoi faire ?

De fait, les groupes djihadistes, le Front al-Nosra, l’État islamique d’Irak et du Levant et leurs alliés salafistes radicaux qui contrôlent le nord de la Syrie et qui sont présents à Alep et dans la région de Damas, sont les principaux bénéficiaires des armes livrées par l’Arabie saoudite et le Qatar, avec l’aval de la France et des états-Unis. Aussi affirmer qu’« une solution militaire va aider à une solution politique » (dixit l’Élysée cité par Libération) ne peut qu’aggraver davantage la situation.

Derrière Damas, viser le Hezbollah et l’Iran ?

C’est un secret de polichinelle. Les puissances occidentales visent à briser l’axe Damas-Téhéran et leur allié régional, le Hezbollah libanais. Le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a été on ne peut plus clair en s’opposant à la participation de l’Iran à un règlement du dossier syrien sous prétexte que cela pourrait donner lieu à un échange concernant le nucléaire iranien.

En réalité, Paris veut jouer un coup de billard à trois bandes. En faisant tomber le régime de Damas, le but est de couper le Hezbollah de tout approvisionnement en armes. Par ailleurs, Téhéran se retrouverait isolé, n’aurait plus aucun allié arabe et serait donc affaibli sur la scène régionale comme internationale. De quoi contenter la Turquie et le Qatar qui revendiquent un rôle central dans l’évolution géopolitique du Moyen-Orient.

Mais surtout, Israël serait ainsi débarrassé de son ennemi le plus coriace et qui lui avait infligé une cuisante défaite à l’été 2006 : le Hezbollah. L’Iran isolé de sa prétendue nuisance serait ainsi réduite, voire annihilée. C’est aussi pour cela qu’à l’instigation des États-Unis et avec le soutien de la France, la pression a été appliquée sur les Palestiniens pour que puisse être annoncée la reprise de discussions avec les Israéliens. Discussions dont on ne sait rien, Washington ayant interdit aux parties toute communication sur le sujet !

Si Paris recherche une solution politique, c’est bien celle-là. Et elle passe par un bras de fer des plus dangereux en brandissant constamment le recours aux armes. La France ne fait que s’inscrire dans une stratégie occidentale, mais semble vouloir prendre le leadership en la matière, d’où cette attitude guerrière, menaçante, parsemant toute discussion ou toute résolution de chausse-trapes empêchant tout consensus, notamment à l’ONU. Au détriment du peuple syrien.

Source : L'Humanité



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