En proposant un projet de résolution au Conseil de sécurité de l’ONU, dont certains points sont jugés « inacceptables » par la Russie, notamment l’option militaire, Paris prend le risque de saper les avancées diplomatiques. On ne peut que s’étonner de l’attitude française. De Sarkozy à Hollande, Paris est toujours en pointe s’agissant de la Syrie, comme si l’ancienne puissance mandataire se sentait une responsabilité historique. Forcée de soutenir la proposition russe, la diplomatie française semble traîner des pieds comme si une telle perspective contrecarrait ses plans. Justement, au-delà de la rhétorique et des déclarations attendues, que veut réellement le gouvernement français ? Recherche-t-il une solution politique conforme aux intérêts du peuple syrien ou, au contraire, manie-t-il le langage de la force pour, au-delà de la question syrienne, « régler » un certain nombre de dossiers au Moyen-Orient ? Décryptage.
L’empire colonial français (affiche de Milleret pour l’exposition coloniale de 1931)
Washington exprime son intérêt pour le plan russe de neutralisation des armes syriennes.L’initiative
russe, visant à circonscrire l’armement chimique syrien afin de le
détruire, permet d’éloigner pour un temps le spectre d’une intervention
militaire en Syrie. Cette proposition russe s’appuie sur une ouverture
sans doute voulue par les Américains soucieux d’une « sortie par le
haut », comme on dit.
Barack
Obama veut en effet éviter une gifle politique, tant au Sénat qu’à la
Chambre des représentants, à l’instar de celle reçue par le premier
ministre britannique, David Cameron, devant la Chambre des communes.
Cette crainte est le résultat direct d’une pression peut-être peu
visible mais pourtant particulièrement importante : celle de l’opinion publique.
Quel que soit le pays, les peuples sont majoritairement contre une intervention militaire en Syrie. C’est vrai aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Italie ou en Allemagne. C’est tout aussi vrai en France.La différence est que François Hollande n’a même jamais songé à consulter le Parlement, pourtant seule émanation du peuple français.
La France choisit-elle son opposition syrienne ?
Dans
l’Humanité daté du 2 février 2012, Haytham Manna, représentant du
Comité de coordination nationale pour le changement démocratique
(CCNCD), déclarait qu’Alain Juppé, alors ministre des Affaires
étrangères, et le Quai d’Orsay donnaient « beaucoup de poids à une seule
branche de l’opposition au détriment des autres, comme s’ils étaient en
train de voter à la place du peuple syrien. Contrairement au CNS
(Conseil national syrien), nous sommes complètement opposés à une
intervention militaire ».
En
effet, dès le début de la crise syrienne, en avril 2011, Paris a pesé
de son poids pour que le CNS, présidé alors par Burhan Ghalioun, dominé
par les Frères musulmans et parrainé par le Qatar et l’Arabie saoudite,
soit le seul interlocuteur de l’opposition syrienne. La France, qui
pariait alors sur un scénario à la libyenne, estimait proche la chute du
régime syrien, du moins avant la fin 2011 ou, au plus, début 2012. Et
de ce fait, exigeait le départ du régime d’Assad comme préalable à toute
solution politique.
En 2012, moins d’un mois après l’arrivée de François Hollande à la tête de l’État, un nouveau pas est franchi :
l’ambassadrice de Syrie en France, Lamia Chakour, est expulsée le 31
mai. Six mois après, le 13 novembre, Paris reconnaît la Coalition de
l’opposition syrienne créée à Doha en lieu et place du CNS, et ce, bien
que cette nouvelle coalition syrienne minée par des divergences soit
coupée des réalités du terrain, et n’ait que peu ou pas d’influence sur
les groupes armés islamistes qui ont pris le pas sur l’Armée syrienne
libre (ASL).
Quelle attitude avec la conférence de Genève ?
En
juin 2012, la première conférence de Genève avait rassemblé les chefs
de la diplomatie des cinq membres permanents du Conseil de sécurité
(États-Unis, Chine, Russie, France et Grande-Bretagne), des
représentants de l’Irak, du Koweït, du Qatar, de la Turquie, et des
responsables de l’ONU et de l’UE. Aucun représentant syrien n’était
présent. Le principe politique de la constitution d’un gouvernement de
transition comprenant des éléments du régime et de l’opposition avait
été adopté.
La
France n’a pas été vraiment constructive. Elle s’est opposée à la
participation de l’Iran (pour faire bonne mesure, il avait été convenu
de ne pas inviter non plus l’Arabie saoudite). Une erreur politique
française :
écarter deux acteurs pourtant majeurs de ce dossier syrien aux
dimensions régionales et internationales incontestables, c’est leur
permettre de ne se sentir liés par aucun accord.
Autre erreur de la diplomatie française :
vouloir à tout prix sceller le sort de Bachar Al Assad en l’excluant de
tout accord. Une attitude rendant impossible pour les éléments du
régime les plus ouverts de faire entendre leur voix.Pis,
Paris se plaçait en pointe pour une surenchère militaire avec de
possibles livraisons d’armes à la rébellion. C’était faire le jeu de
ceux qui, d’un côté comme de l’autre, comptent sur un règlement armé de
la question.
La France n’a pas changé d’attitude. Au mois de juin, Fabius expliquait encore à propos de l’Iran et de Genève 2 :
« Si l’Iran devient partie prenante de la conférence de Genève, (…) le
risque, c’est qu’ils disent “écoutez, on peut faire une concession sur
l’affaire syrienne, mais à condition que vous nous laissiez la bombe
atomique”. » Ce qui dévoile les véritables buts français.
Des armes pour quoi faire ?
De
fait, les groupes djihadistes, le Front al-Nosra, l’État islamique
d’Irak et du Levant et leurs alliés salafistes radicaux qui contrôlent
le nord de la Syrie et qui sont présents à Alep et dans la région de
Damas, sont les principaux bénéficiaires des armes livrées par l’Arabie
saoudite et le Qatar, avec l’aval de la France et des états-Unis. Aussi
affirmer qu’« une solution militaire va aider à une solution politique »
(dixit l’Élysée cité par Libération) ne peut qu’aggraver davantage la
situation.
Derrière Damas, viser le Hezbollah et l’Iran ?
C’est
un secret de polichinelle. Les puissances occidentales visent à briser
l’axe Damas-Téhéran et leur allié régional, le Hezbollah libanais. Le
ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a été on ne peut plus
clair en s’opposant à la participation de l’Iran à un règlement du
dossier syrien sous prétexte que cela pourrait donner lieu à un échange
concernant le nucléaire iranien.
En
réalité, Paris veut jouer un coup de billard à trois bandes. En faisant
tomber le régime de Damas, le but est de couper le Hezbollah de tout
approvisionnement en armes. Par ailleurs, Téhéran se retrouverait isolé,
n’aurait plus aucun allié arabe et serait donc affaibli sur la scène
régionale comme internationale. De quoi contenter la Turquie et le Qatar
qui revendiquent un rôle central dans l’évolution géopolitique du
Moyen-Orient.
Mais
surtout, Israël serait ainsi débarrassé de son ennemi le plus coriace
et qui lui avait infligé une cuisante défaite à l’été 2006 :
le Hezbollah. L’Iran isolé de sa prétendue nuisance serait ainsi
réduite, voire annihilée. C’est aussi pour cela qu’à l’instigation des
États-Unis et avec le soutien de la France, la pression a été appliquée
sur les Palestiniens pour que puisse être annoncée la reprise de
discussions avec les Israéliens. Discussions dont on ne sait rien, Washington ayant interdit aux parties toute communication sur le sujet !
Si
Paris recherche une solution politique, c’est bien celle-là. Et elle
passe par un bras de fer des plus dangereux en brandissant constamment
le recours aux armes. La France ne fait que s’inscrire dans une
stratégie occidentale, mais semble vouloir prendre le leadership en la
matière, d’où cette attitude guerrière, menaçante, parsemant toute
discussion ou toute résolution de chausse-trapes empêchant tout
consensus, notamment à l’ONU. Au détriment du peuple syrien.
Source : L'Humanité
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