- Écrit par Salah Elayoubi, 29/9/2013
Dans un petit square de la capitale marocaine, épargné par le
béton, des lycéens et des collégiens ont eu la brillante idée
d'improviser une Agora, afin de parler philosophie. Armés de leurs
livres, de leur calepin et de leur stylo ou simplement de leurs
oreilles, ils étaient venus en petit nombre. Une cinquantaine tout au plus, dont certains hauts comme trois pommes, n'avaient pas plus de treize ans.
A
peine entamé, le cours est perturbé par l'arrivée d'une escouade
d'intellectuels à képis et à visières, j'ai cité les forces auxiliaires,
en salopettes vertes traditionnelles.
-«La philo kessek ça ? Quesako ? Un nouveau mouvement politique ?
Encore une invention de tous ces chevelus et ces bluejeaneux pour semer
la « Siba », le désordre ! »
Quelqu'un filme subrepticement la scène qui s'enflamme soudain. Comme
d'habitude, les jeunes étudiants ont droit aux pires insultes et aux
menaces de Mokhaznis, très peu férus de mondanités, avec des
interpellations sonores du style.
-"Noud jma3 rassek ! Dar dial bak hadi oulla ?! », ce qui, à peu de choses près, signifie : Lève-toi et dégage, tu te crois dans la maison de ton père ?
Un autre ordre fuse :
-«Yallah, sir tkaoued ! » Détournement sémantique dont la
langue arabe a le secret et qui consiste à ordonner à son vis-à-vis de
décamper, en l'invitant à aller jouer les entremetteurs ailleurs.
Nous sommes à mille lieux de la Grèce antique et de toute philosophie, vous en conviendrez.
Alors que les émules de Socrate ferraillent avec les sbires du
Makhzen, pour les convaincre de l'innocence de la réunion, d'autres plus
sarcastiques en invitent quelques uns, à profiter du cours gratuit.
Soudain, ô divine surprise, à la minute 1:08, une vieille connaissance
fait son apparition. Devinez qui ? Je vous le donne en mille, le voleur de sac de Younes Derraz qui
continue de sévir en toute impunité. On savait « notre ami » prompt à
être de tous les coups fourrés, chaque fois qu'il s'agit de bastonner et
de disperser.
Pour rappel, l'homme, un officier de police en tenue avait, lors de
la célébration par le « Mouvement du Vingt février », à sa manière, de
la fête du trône, le 22 août 2012, à Rabat, face au parlement, arraché
au célèbre militant, son sac contenant une caméra et quelques effets
personnels avant de disparaître. Une scène filmée par nombre de
photographes de presse, présents ce jour-là, sur place. Notre héros
arbore la même moustache, le même air d'en avoir deux, les mêmes
pommettes saillantes et le même talkie-walkie.
Important le talkie-walkie. Il permet entre deux crachotements, de
recueillir les ordres de ses supérieurs, mais également de les
répercuter à ses sous-fifres. Et puis sait-on jamais, il pourrait
prendre à ces dangereux révolutionnaires l'idée de prendre d'assaut le
Palais royal à quelques encablures de là, le parlement, la radio
télévision, la préfecture de police et que sais-je encore ? Un coup
d'Etat est si vite arrivé ! Alors vous pensez, un talkie-walkie c'est si
utile. Ca peut alerter la Brigade Légère de Sécurité et ses chars, la
gendarmerie et ses hélicoptères, sans oublier qu'on peut s'en servir
pour marteler quelques têtes de militants !
De l'Agora à la "Hogra", il n'y avait qu'un pas que le Makhzen dans
sa proverbiale stupidité n'a pas hésité à franchir ! Normal la philo,
tout le monde vous le confirmera, c'est antinomique de la dictature.
Trop dangereux !
Une fille hurle, un garçon proteste contre la bousculade. Les
apprentis philosophes « récalcitrent », « locutent » entre eux et se
concertent avant d'aller s'asseoir, quelques mètres plus loin,
déterminés à en apprendre un peu plus, sur cette matière qui terrorise
tant les tyrans et leurs appointés !
On entend l'un des étudiants interpeller les policiers :
-« De quel droit, je dois évacuer, dites-moi seulement de quel
droit et en vertu de quelle décision écrite, je devrais m'en aller
d'ici ? »
L'histoire ne se termine pas comme le moustachu de service ou ses
supérieurs l'avaient imaginée, car nos jeunes, armés de leur seule
détermination ont réussi à faire plier les MIG, les « Men In Green »,
dont on sait qu'ils sont à la philosophie ce que la soupe de fèves, la
fameuse « Bissara », est à la conquête spatiale. Vaincus, ceux-ci
battent en retraite. Pas trop loin, histoire de ne pas perdre la face.
Les bras croisés ils regardent le cours reprendre. Pour une fois, force
est restée à l'Agora !
Vidéo de la scène, publiée sur Youtube samedi 28 septembre 2013
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Rappel : http://www.demainonline.com/2012/08/24/le-policier-cambrioleur-identifie-grace-a-une-photo/
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Rappel : http://www.demainonline.com/2012/08/24/le-policier-cambrioleur-identifie-grace-a-une-photo/
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