- Écrit par Youssef Bellal, Lakome, 4/10/2013
L'incarcération du journaliste Ali Anouzla le 17 septembre
2013 et son inculpation à Rabat par le procureur du roi dans le cadre de
la loi anti-terroriste soulève de sérieux doutes sur la capacité de la
monarchie marocaine à accepter la liberté de la presse et l'expression
d'opinions indépendantes et critiques à l'égard du roi et de son
entourage.
Que
reproche la justice marocaine à Ali Anouzla? La publication d'un lien
vers une vidéo d'Al-Qaida sur le site d'information Lakome.com qui
équivaudrait à une « aide matérielle, apologie, et incitation au
terrorisme ». En réalité, c'est dans son travail de journaliste libre
-et non dans une prétendue apologie du terrorisme- qu'il faut chercher
le véritable motif de son inculpation dans cette mascarade de procès
politique. Ali Anouzla est connu pour ses articles pointant du doigt
l'autoritarisme du roi, la corruption sévissant au plus haut niveau du
régime ou encore l'affairisme de la monarchie.
A travers le site Lakome.com, Ali Anouzla a joué un rôle de premier
plan dans le « Daniel Gate » (août 2013) en révélant aux Marocains le
scandale de l'amnistie royale dont a bénéficié le pédophile espagnol
dont le sort est aujourd'hui entre les mains de la justice ibérique. En
suscitant une vague d'indignation au Maroc et des manifestations mettant
en cause directement une décision royale, le « Daniel Gate » avait
obligé Mohammed VI à se déjuger sous la pression du mouvement
contestataire, et ce, pour la première fois depuis le début de son règne
en 1999. Ali Anouzla paie donc, avant tout, le prix de sa couverture de
cette affaire, qui a constitué un tournant dans le rejet du pouvoir
autoritaire du roi.
Au-delà du cas d'Ali Anouzla, la monarchie cherche de nouveau à
intimider toutes les voix critiques qui pourraient s'élever et mettre en
cause l'autoritarisme royal. Car quelques semaines à peine après le
« Daniel Gate », on a vu, là aussi pour la première fois dans le règne
de Mohammed VI, des députés de partis pourtant acquis au régime
critiquer ouvertement le caractère servile de la cérémonie annuelle de
renouvellement de l'allégeance au roi. Le régime entend donc signifier à
tous ceux qui, à l'avenir, critiqueraient ouvertement le monarque que
le sort d'Ali Anouzla les attend.
Comme dans le « Daniel Gate », l'affaire Anouzla montre que le système judiciaire est entièrement aux ordres de la monarchie. Plutôt que d'être les protecteurs des libertés, de nombreux juges au service du régime en sont les fossoyeurs. L'arsenal législatif permet à la monarchie de jeter en prison des individus pour leur simple opinion (Sahraouis militant pour le droit à l'autodétermination du Sahara, les membres des différents mouvements islamiques) en toute « légalité ».
Comme dans le « Daniel Gate », l'affaire Anouzla montre que le système judiciaire est entièrement aux ordres de la monarchie. Plutôt que d'être les protecteurs des libertés, de nombreux juges au service du régime en sont les fossoyeurs. L'arsenal législatif permet à la monarchie de jeter en prison des individus pour leur simple opinion (Sahraouis militant pour le droit à l'autodétermination du Sahara, les membres des différents mouvements islamiques) en toute « légalité ».
L'affaire Anouzla intervient également dans un contexte régional que
la monarchie cherche à exploiter à son avantage. Le coup d'état contre
le président égyptien Mohammed Morsi, et la répression sanglante des
Frères musulmans se sont déroulés sans craintes sérieuses pour le régime
militaire qui a fait un large usage de l'accusation de terrorisme pour
éliminer le mouvement islamique. En ayant à l'esprit l'exemple des
militaires égyptiens qui n'ont été inquiétés ni sur le plan intérieur,
ni dans leur relation avec les puissances occidentales, et en exploitant
également le prétexte du terrorisme, les dirigeants de l'Etat marocain
croient donc prendre peu de risques. Pour le régime de Mohammed VI qui
se prévaut d'avoir absorbé la contestation en ayant recours à une
révision de la Constitution et à des élections anticipées, le putsch
d'Egypte signifie un coup d'arrêt durable aux espoirs de démocratisation
suscités par la chute, en 2011, des dictateurs Ben Ali et Moubarak, et
un regain d'assurance dans la répression du mouvement démocratique.
Une nouvelle fois, le Parti de la justice et du développement (PJD)
qui dirige le gouvernement marocain depuis les élections législatives de
novembre 2011 et détient le portefeuille de la Justice, a été mis
devant le fait accompli par le Palais. Mais au lieu de se désolidariser
d'une décision qu'ils n'ont jamais prise, les dirigeants du PJD ont fait
le choix de la défendre par la voix du porte-parole du gouvernement.
Cette situation est d'autant plus paradoxale que la loi anti-terroriste
qui sert de cadre légal aux poursuites judiciaires contre Ali Anouzla,
avait été dénoncée par les mêmes dirigeants pour son caractère
liberticide au moment de son adoption en 2003. Le PJD avait également
pris fait et cause pour plusieurs centaines de détenus « salafistes »
incarcérés et condamnés abusivement pour terrorisme.
Toutefois, le cœur du problème n'est pas la responsabilité du PJD
dans l'affaire Anouzla mais bien celle des réels détenteurs du pouvoir.
Car si l'incarcération d'Ali Anouzla a été décidée par le pouvoir
marocain, il est légitime de se demander qui exactement est derrière
cette décision? Un conseiller du roi qui n'a aucune existence
constitutionnelle ? Avec l'aval de Mohammed VI ? Dans un système
politique où la justice est, de fait, aux ordres du Palais, et où selon
l'article 107 de la Constitution, le roi est censé être le garant « de
l'indépendance du pouvoir judiciaire » et non son fossoyeur, c'est à
Mohammed VI de s'expliquer sur cette affaire.
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