- Écrit par Lakome, 28/9/2013
La projection publique d'un film de Transparency Maroc a été
interdite la semaine dernière par la wilaya de Rabat, sur un simple
appel téléphonique. Aujourd'hui, les organisateurs n'ont encore reçu
aucune explication ni décision écrite pour justifier cette interdiction
qu'ils qualifient d'arbitraire. Le film en question contenait notamment
les témoignages de Chakib El Khyari et Mourad Gartoumi sur la corruption
au Maroc.
L'ONG Transparency International, basée à Berlin, a organisé un workshop à Rabat le weekend dernier pour présenter les résultats de ses derniers travaux
sur l'accès à l'information et son rôle dans la lutte contre la
corruption, dans quatre pays de la région MENA : Egypte, Maroc,
Palestine et Yémen. Ce workshop est l'aboutissement du programme
«ACTION» (Addressing Corruption Through Information and Organised
Networking), lancé en septembre 2010 et adressé aux sociétés civiles et à
la jeunesse de la région¹.
Un rapport a été réalisé pour chacun des quatre pays retenus, ainsi qu'un rapport régional pour présenter les tendances et un documentaire vidéo
qui regroupe des témoignages filmés de lanceurs d'alertes et de
victimes de la corruption de chaque pays. Pour la partie marocaine du
film, ce sont les deux lauréats du Prix de l'Intégrité 2010 et 2011 de
Transparency Maroc qui ont témoigné : l'activiste Chakib El Khyari et le
commerçant du marché de gros de Casablanca Mourad Gartoumi.
«Le workshop devait avoir lieu en Egypte mais au vu de ce qui se
passe là-bas, les organisateurs nous ont demandé début septembre
d'accueillir l'événement», explique le secrétaire général de Transparency Maroc, Abdessamad Saddouk, contacté par Lakome.
C'est donc à l'hôtel Farah de Rabat que les jeunes marocains,
égyptiens, palestiniens et yéménites du programme se sont réunis le 21
septembre dernier. L'occasion pour Transparency International de lancer
un appel aux gouvernements de la région en soulignant que les
dispositions réglementaires actuelles concernant le droit d'accès à
l'information contiennent beaucoup de restrictions et de vides
juridiques. «Les citoyens ne pourront connaître et revendiquer leurs droits qu'avec des informations accessibles et transparentes», a rappelé pour l'occasion Christoph Wilcke, directeur du programme MENA à Transparency International.
Le coup de fil de la wilaya
Une projection publique du film documentaire, sur la place Moulay
Hassan à Rabat, devait clôturer cet événement samedi soir. Mais la
wilaya de Rabat en a décidé autrement : «vendredi 20 septembre 2013,
à la veille du déroulement des activités, un appel téléphonique,
provenant des services de la Wilaya chargés du dossier, a annoncé à
l'association l'interdiction de projection du film», explique Transparency Maroc à travers un communiqué.
«A la suite de cette décision non motivée et communiquée verbalement, le bureau exécutif a décidé de
surseoir à la projection et de s'enquérir des motifs de cette
interdiction. Malgré l'insistance de l'association, aucune réponse n'a
été donnée par l'autorité locale, responsable de cette décision.
Transparency Maroc informe l'opinion publique de ce nouvel acte
arbitraire à son encontre et le dénonce vigoureusement», conclut le texte publié par le bureau exécutif de l'association lundi dernier.
Le tournage du film a pourtant eu lieu au Maroc en avril 2013, avec
l'autorisation du Centre Cinématographique Marocain. Le 10 septembre
dernier, Transparency Maroc avait envoyé à la wilaya de Rabat la demande
d'autorisation pour la projection du film. Demande restée sans réponse
excepté le coup de téléphone reçu la veille de l'événement.
Interrogé ce vendredi par Lakome, Abdessamad Saddouk dit ne toujours pas avoir reçu de nouvelles de la wilaya. «On ne comprend ni le sens de cette interdiction ni l'absence de justification. La loi exige pourtant une notification écrite», explique-t-il.
Chakib El Khyari et la corruption dans le nord
Si l'on ne connait pas les raisons officielles de cette interdiction
de dernière minute, les témoignages marocains contenus dans le film en
sont peut être à l'origine. Celui de l'activiste Chakib El Khyari en
particulier, qui rappelle devant la caméra les causes de son arrestation en février 2009 et le déroulement de son procès. «J'ai été l'objet d'une arrestation arbitraire car j'ai dénoncé la corruption. Ceci est mon histoire», explique-t-il en introduction.
Témoignage de Chakib El Khyari
Chakib El Khyari avait été accusé «d'outrage aux corps constitués»
après s'être exprimé dans les médias nationaux et étrangers à propos des
réseaux de trafiquants de drogue au nord du royaume. Il dénonçait
notamment l'implication de certains élus et éléments des forces de
sécurité locales. Il a été condamné à 3 ans de prison ferme et 750 000
DH d'amende.
Déclaré prisonnier d'opinion par Amnesty International, Chakib el
Khyari a remporté du fond de sa cellule le Prix de l'intégrité 2010 de
Transparency Maroc, décerné le 9 décembre 2010.
La cérémonie de remise du Prix sera toutefois interdite à quatre
reprises par les autorités locales. Une interdiction arbitraire dénoncée
à l'époque au Parlement par un député du PJD, Abdelkader Amara,
aujourd'hui ministre du gouvernement Benkirane.
Libéré après le mouvement du 20 Février
La quatrième interdiction, en janvier 2011, au Club des avocats de
Rabat, est le fait d'un arrêté d'interdiction pris par le wali de Rabat
pour des «raisons de sécurité». «Auparavant, les autorités locales
avaient entrepris une démarche infructueuse auprès du Barreau pour le
dissuader de mettre sa salle à la disposition de l'association, sous
prétexte que l'attribution de ce prix ne plaît pas "aux autorités
supérieures" », avait affirmé Transparency Maroc dès le lendemain dans un communiqué.
Vient alors le mouvement de contestation du 20 Février, qui s'étend à
travers le pays et que la monarchie tente de désamorcer. La cérémonie
de remise du Prix est finalement autorisée sur décision de justice le 7
avril 2011, une semaine avant que Chakib El Khyari et d'autres détenus
politiques ou d'opinion (les politiciens de l'affaire Belliraj, les
activistes sahraouis Ali Salem Tamek, Brahim Dahane et Ahmed Naciri), ne
bénéficient d'une grâce royale et soient libérés de prison.
Amnesty International espérait «que
ces libérations annonçaient un assouplissement des «lignes rouges» que
les défenseurs des droits humains ne sont généralement pas autorisés à
franchir [...] et ne se résumaient pas à une simple mesure visant à
calmer les manifestants qui réclament des réformes au Maroc et au Sahara
occidental.»
¹ Le programme ACTION, lancé en septembre 2010, a été mis en
œuvre par Transparency International et financé par l'agence américaine
de développement (USAID)
Documents
-Rapport de Transparency International sur l'accès à l'information au Maroc (programme ACTION). Consultable ici
-Réponses de Transparency Maroc au projet de loi sur le droit à l'accès à l'information. Consultable ici
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire