(De Nouakchott) Après trois jours de marche à travers le Sahel, Habaye Ag Mohamed vient d’arriver au camp de réfugiés de M’béra, en Mauritanie.
Ce commerçant touareg de 48 ans a fui les combats qui faisaient rage à Diabali, au Nord-Mali.
« J’ai tout perdu, les militaires maliens ont tout brûlé : ma maison, mes boutiques… Plus rien ne reste, mais ce qui compte c’est d’être vivant. »Parti seul, il n’a aucune nouvelle de sa famille restée sur place. D’abord arrêté « sans raison » par des soldats maliens en poste à Diabali, avant l’arrivée des jihadistes et de l’armée française, Habaye Ag Mohamed a été relâché parce qu’il connaissait l’un de ses geôliers.
Peu de temps après, les extrémistes sont arrivés et ont mis l’armée malienne en fuite.
C’est alors qu’un ami soldat en poste à Ségou, ville abritant le commandement militaire pour la zone centre-ouest, lui a conseillé de partir, loin et vite. Surtout avant que les troupes loyalistes ne reviennent dans la ville pour en chasser définitivement les islamistes armés, avec l’aide de l’armée française.
« Cela pouvait me coûter la vie, comme à deux Touaregs qu’ils ont déjà tués à Siribala, près de Niono, en les désignant comme des extrémistes. D’ailleurs, le soldat qui m’a averti, lui-même d’origine touarègue, était en train de déserter sa propre armée par crainte de représailles du fait de son appartenance ethnique. »Un non-sens, puisque la majorité des populations du Nord-Mali, Touaregs compris, a soutenu l’intervention armée pour chasser les islamistes.
Des jihadistes qui fuient à pied, désarmés
Avec ses seuls vêtements comme bagage, Habaye Ag Mohamed erre aujourd’hui dans le camp de M’Béra, déboussolé comme les 700 autres réfugiés qui arrivent chaque jour, principalement du Nord-Mali.Car les Touaregs et autres Maures fuient en masse quand bien même leur zone n’a pas encore été délivrée des jihadistes.
Depuis le début de l’offensive voilà treize jours, plus de 6 500 Maliens sont arrivés à M’béra, venant grossir les rangs des 55 000 personnes accueillies depuis le déclenchement de la crise en 2012.
Des membres d’Al Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi) et d’Ansar Dine, deux factions jihadistes, ont pris part aux combats à Diabali. Des témoins sur place les ont ensuite aperçus fuyant vers le Nord et l’Est, souvent en voiture, parfois à pied, totalement désarmés.
« Le désert, jonché de voitures calcinées »
« Le désert est jonché de-ci de-là de voitures calcinées ou abandonnées par les jihadistes », témoigne Ibrahim Ag Mohamed, ancien guide touristique à Tombouctou.Arrivé récemment en Mauritanie, il est « passé par des campements de nomades qui [lui] ont assuré observer continuellement des avions de guerre silencieux, qui ne sont pas des hélicoptères, survoler les étendues désertiques ».
Les populations locales sont étonnées par la précision de ces machines à la pointe de la technologie. Un nomade raconte :
« Nous avons vu un avion tourner en boucle autour du campement pendant plusieurs heures. Nous étions surpris par cette insistance, et des hommes ont remarqué qu’une charrette se trouvait dans un arbuste, pile dans la ligne de mire. L’avion a disparu aussitôt après qu’ils ont déplacé la charrette. »
Possible charnier à Sévaré
Si les Touaregs et autres Maures paniquent et fuient par milliers à l’idée que l’armée malienne arrive dans leur village, c’est aussi parce qu’il y a des antécédents.Abdourahmane Ag Mohamed El Moctar, est un Touareg malien, réfugié depuis vingt ans en Mauritanie et président de l’Association des réfugiés victimes de la répression de l’Azawad. Il se souvient :
« Je vivais à Diabali. Un jour, l’ordre a été donné d’attaquer le Nord, sous le leitmotiv de “Kokadjié” [le nettoyage, mort aux Blancs, ndlr]. C’est-à-dire que tous les habitants au teint clair comme nous étaient massacrés. »Son propre frère avait alors été tué par l’armée malienne, victime d’un lynchage sous les yeux de leur mère.
La situation actuelle, pour Abdourahmane Ag Mohamed El Moctar, « c’est l’histoire qui se répète ».
Et le dignitaire de comptabiliser les exécutions sommaires de civils qui lui sont rapportées par ses contacts sur le terrain. Dimanche, un ami de la région de Mopti, au Mali, l’a averti d’un possible charnier :
« A Sévaré, il y a un puits dans lequel on aurait retrouvé une dizaine de personnes assassinées, près du bureau des travaux publics. Ce seraient des Peulhs et des Touaregs entassés pêle-mêle. »Sans possibilité de vérifier la véracité de ces informations, les communautés concernées ne peuvent que trembler.
D’autant plus que ces allégations sont soutenues par Human Rights Watch (HRW) et la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). Le 24 janvier, les deux organisations internationales de défense des libertés ont demandé l’ouverture d’une enquête pour « une série d’exécutions sommaires perpétrées par l’armée malienne » dans le centre du pays.
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Éviter les vengeances pour gagner la paix
Mise à jour le 28/1/2013
Alors que la
contre-offensive des armées franco-malienne reprend le contrôle des
principales villes du nord du pays, la FIDH s’inquiète des possibles
représailles contre les personnes qui ont, de gré ou de force, collaboré
avec les islamistes radicaux et des conflits inter-communautaires qui
pourraient en découler. Notre organisation appelle les belligérants et
les populations à la retenue ainsi que les autorités à juger tous les
responsables des exactions, principalement les djihadistes, mais aussi
les éléments de l’armée malienne auteurs présumés des exactions,
notamment dans les villes de Sévaré, Niono, Diabali, Gnimi Gnama et
Mopti.
Les crimes commis par les groupes islamistes dans le Nord
La prise de Gao et des abords de Tombouctou par les forces franco-maliennes, appuyées par les premières troupes africaines de la Mission africaine de soutien au Mali (MISMA), constitue pour les populations une réelle libération tant les crimes perpétrés par les groupes armés djihadistes ont été nombreux et cruels : exécutions sommaires, viols, esclavage sexuel, enrôlement d’enfants soldats, mutilations, bastonnades, vols, destructions de biens culturels et religieux protégés. Les informations et les témoignages recueillis par la FIDH depuis l’offensive conjointe du Mouvement National pour la Libération de l’Azawad (MNLA) et des groupes armés islamistes en janvier 2012 démontrent que des crimes graves, y compris des crimes de guerre, ont été commis contre les populations civiles et des combattants désarmés.
Dans la ville de Gao, reprise aux djihadistes le 26 janvier 2013, les groupes armés djihadistes se sont illustrés ces derniers mois par leur cruauté : 8 hommes amputés (d’une main ou d’un pied et d’une main), de nombreux crimes sexuels et le recrutement d’enfants soldats. Une femme rencontrée par la FIDH témoigne que « de nombreuses femmes ont été emmenées en brousse et violées là-bas ». « Ils escaladaient même les murs des maisons pour venir nous violer » ajoute-t-elle. Les femmes étaient obligées de se dissimuler totalement et il leur était interdit d’écouter la radio, de porter des bijoux, des crèmes, des mèches ou de fréquenter des hommes. « Même saluer un homme pouvait vous faire chicotter [battre] » témoigne une jeune femme.
Lorsque des combats ont éclaté à Gao, fin juin 2012, entre les combattants du MNLA et les islamistes du MUJAO pour le contrôle de la zone, les crimes commis contre la population de la ville par le MNLA (voir rapport de la FIDH et de l’AMDH, 18 juillet 2012,« Crimes de guerre au Nord Mali »), ont été tellement choquants que « des enfants et des jeunes ont coupé des langues, des oreilles et ont traîné des corps de combattants du MNLA morts dans les combats contre le MUJAO ». En chassant les troupes du MNLA, le MUJAO a acquis une certaine notoriété qui lui a permis de recruter massivement parmi certaines populations, notamment les jeunes et les talibés. Ces derniers, étudiants islamiques, « dont certains n’ont même pas 9 ans », selon un témoin, ont été incités à rejoindre les groupes armés par leur « maître » toujours selon cet habitant de Gao. « Certains ne pouvaient même pas porter leurs armes tellement ils étaient petits » précise-t-il. Le recrutement d’enfants soldats s’est aussi fait contre de l’argent distribué directement aux enfants ou aux familles. Ainsi, un témoin dont le cousin s’est engagé dans le MUJAO a vu des combattants promettre 50 000 FCFA par mois à des familles pour enrôler leurs enfants. « Même le chauffeur d’Abdel Akim [un des chefs du MUJAO à Gao] était un enfant ! » a confié un autre témoin à la FIDH. Selon plusieurs témoignages, des personnes recrutées à Gao et entraînées à la hâte au « Camp 1 », le camp d’entraînement du MUJAO à Gao, ont été placées en première ligne, par les islamistes, lors de l’attaque du dernier bastion du MNLA à Menaka, le 19 novembre 2012. La quasi totalité de ces combattants non expérimentés seraient morts dès le premier assaut.
A Tombouctou, qui était principalement contrôlé par AQMI et notamment un de ses chefs, Abdelhamid Abou Zeid, la plupart des scènes vues à Gao ce sont reproduites : une amputation, des condamnations à mort, des flagellations, des crimes sexuels et des recrutements d’enfants-soldats. Tous ces crimes sont constitutifs de crimes de guerre au titre de l’article 8 du Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale. Les groupes armés se sont aussi illustrés par la destruction d’une grande partie des mausolées inscrits au patrimoine mondial de l’Humanité de l’UNESCO, et par le vol de plus de 2000 manuscrits et d’archives musicales inestimables. L’imposition de la charia s’est accompagnée comme à Gao et dans tout le nord du pays de l’imposition de mode vestimentaire, de la police et de tribunaux islamiques, et même d’un « Centre de recommandation du convenable et de l’interdiction du blâmable », sorte de justice civile et de police religieuse. Les islamistes sont rentrés dans les écoles, imposant la séparation stricte des garçons et des filles et surveillant même les cours pour contrôler l’enseignement donné.
Pour un défenseur des droits de l’Homme qui a dû fuir le nord du pays fin 2012 en raison de risques trop importants pour sa sécurité, « les djihadistes sont fous, ils nous ont coupé du monde ». La reprise des villes du Nord permet selon lui aux populations de « sortir de la nuit dans laquelle nous ont plongé les groupes armés pendant tous ces mois ».
Les exactions de l’armée malienne
A la suite de la prise de Konna par les groupes armés djihadistes, la FIDH a pu établir que le climat de guerre, de psychose et de tension a favorisé des actes de vengeance et de représailles, et une série d’exécutions sommaires a été perpétrée par des éléments des forces armées maliennes, à partir du jeudi 10 janvier 2013, particulièrement à Sevare, Mopti, Nionno et d’autres localités situées dans les zones proches des zones d’affrontements. A Sevare, une trentaine de cas d’exécutions sommaires ont été signalées dont au moins 15 personnes exécutées dans 4 sites différents, notamment dans le camp militaire, à proximité de la gare routière, près de l’hôpital et dans un autre quartier de la ville. A Mopti, un cas d’exécution sommaire a aussi pu être confirmé. A Sevare toujours, des informations crédibles font état de viols et autre cas de sévices sexuels, ainsi que dans d’autres localités de la zone. Dans la région de Niono, à Sikolo, deux maliens d’origine touareg ont été exécutés par des soldats maliens. D’autres allégations d’exécutions sommaires continuent de nous parvenir de l’ensemble des zones de l’ouest et du centre du pays. Par ailleurs, l’imam Cheik Hama Alourou, enlevé par des militaires maliens le 21 janvier au soir, à Gnimi Gnama, un village entre Bore et Douenza est toujours porté disparu.
Les victimes de l’ensemble de ces exactions sont des personnes : accusées d’être complices des djihadistes ou des infiltrés, des personnes en possession d’armes, des individus ne pouvant justifier de leur identité lors de contrôles de l’armée, ou simplement en raison de leur appartenance ethnique et communément appelés les « peaux claires ».
« Les risques de vengeance au Nord sont extrêmes »
Alors que la reconquête du Nord du pays est en bonne voie, la FIDH s’inquiète des risques de dérapages, de représailles et des actes de vengeance contre les populations civiles de la part des militaires, mais aussi entre populations civiles. A Gao, la population a lynché un combattant islamiste Peulh dont le corps se trouve à la morgue de l’hôpital. Trois blessés seraient à dénombrer parmi les civils qui ont voulu prendre l’hôpital où s’étaient retranchés certains djihadistes. Plusieurs maisons appartenant aux Touaregs et Arabes de Gao auraient été pillées et saccagées jusqu’aux portes et fenêtres. Si la vindicte populaire semble mécaniquement cibler les populations touaregs, ces derniers ne sont pas les seuls à risquer de payer de leur vie leur allégeance réelle ou supposée aux groupes armés. Ainsi à Gao, les populations du village de Kadji (Gourma – sur la rive droite du fleuve), qui ne sont pas touaregs mais qui ont rejoint assez largement les groupes armés, notamment en raison d’un différent antérieur avec le reste des habitants de la ville, risque d’être prises pour cibles. Une jeune femme, entendue par la FIDH rapportait d’ailleurs les paroles de plusieurs habitants de Gao selon lequelles, « on va éliminer tous les ’peaux claires’ [islamistes étrangers] et tout ceux qui sont du Gourma ». A Diabaly, des habitants de la région auraient ces derniers jours pillés les biens et les maisons de personnes des communautés arabes et touaregs.
Ce sentiment de vengeance se fonde notamment sur les crimes et les exactions perpétrés depuis l’offensive du MNLA et des groupes armés islamistes en janvier 2012, notamment le massacre des soldats maliens à Aguelhoc et Tessalit ou encore les campagnes de viols et la vague de violations des droits de l’Homme perpétrées par les éléments armés touaregs du MNLA, notamment lors des prises de Gao et Tombouctou, que nos organisations ont condamné et ont documenté (voir le rapport de la FIDH et de l’AMDH, 18 juillet 2012, « Crimes de guerre au Nord Mali »). Ces crimes récents font resurgir les exactions perpétrées de part et d’autre lors des précédentes rébellions touaregs, particulièrement celles des années 90, où aux exécutions de fonctionnaires au Nord par les rebelles touaregs, l’armée répondait alors par des opérations de contre-insurrection meurtrières et indiscriminées contre des civils touaregs. Pour un défenseur des droits de l’Homme du Nord du pays, l’ensemble de ces faits font que « les risques de vengeance et de représailles au Nord sont extrêmes ».
L’impératif de juger pour briser le cycle de l’impunité et de la violence
L’ensemble des auteurs et responsables de ces crimes, qu’ils soient maliens ou étrangers, doivent être appréhendés et jugés. Ainsi, du côté islamiste, « Aliou commissaire » un des chefs du MUJAO à Gao aurait été capturé par les forces franco-maliennes le 25 janvier 2013 à Hombori. Des éléments du MUJAO, se seraient rendus aux forces de sécurité nigériennes et auraient été désarmés. L’ensemble de ces auteurs, y compris les membres et responsables du MNLA qui ont commis des crimes de guerre et des violations graves des droits de l’Homme doivent pouvoir être jugés de façon équitable et le cas échéant, condamnés. L’exemplarité de tels procès devrait permettre de renforcer l’État de droit au Mali. De la même façon, les militaires qui ont commis des crimes contre des civils doivent, selon la FIDH, pouvoir être jugés de façon impartiale pour rappeler l’obligation de protection du droit international humanitaire et des droits de l’Homme, y compris en temps de conflit armé.
« On ne combat pas les auteurs des crimes d’Aguelhoc par les mêmes méthodes qu’eux » a déclaré Souhayr Belhassen, présidente de la FIDH. « La reconquête du Nord par les troupes franco-africaines ne doit pas être entachée par des crimes et des méthodes qui servent les islamistes. Il faut casser le cycle de l’impunité et de la violence » a-t-elle ajouté.
Pour Sidiki Kaba, président d’honneur de la FIDH, « il ne faut pas seulement gagner la guerre, mais il faut maintenant gagner la paix ; et celle-ci ne peut se construire dans l’immédiat que par le respect des droits humains, le refus de toute logique punitive et de vengeance, le jugement de tous les auteurs de violations des droits de l’Homme, le retrait des militaires de la vie politique ; et dans l’après-guerre, la tenue d’élections libres et transparentes ».
La prise de Gao et des abords de Tombouctou par les forces franco-maliennes, appuyées par les premières troupes africaines de la Mission africaine de soutien au Mali (MISMA), constitue pour les populations une réelle libération tant les crimes perpétrés par les groupes armés djihadistes ont été nombreux et cruels : exécutions sommaires, viols, esclavage sexuel, enrôlement d’enfants soldats, mutilations, bastonnades, vols, destructions de biens culturels et religieux protégés. Les informations et les témoignages recueillis par la FIDH depuis l’offensive conjointe du Mouvement National pour la Libération de l’Azawad (MNLA) et des groupes armés islamistes en janvier 2012 démontrent que des crimes graves, y compris des crimes de guerre, ont été commis contre les populations civiles et des combattants désarmés.
Dans la ville de Gao, reprise aux djihadistes le 26 janvier 2013, les groupes armés djihadistes se sont illustrés ces derniers mois par leur cruauté : 8 hommes amputés (d’une main ou d’un pied et d’une main), de nombreux crimes sexuels et le recrutement d’enfants soldats. Une femme rencontrée par la FIDH témoigne que « de nombreuses femmes ont été emmenées en brousse et violées là-bas ». « Ils escaladaient même les murs des maisons pour venir nous violer » ajoute-t-elle. Les femmes étaient obligées de se dissimuler totalement et il leur était interdit d’écouter la radio, de porter des bijoux, des crèmes, des mèches ou de fréquenter des hommes. « Même saluer un homme pouvait vous faire chicotter [battre] » témoigne une jeune femme.
Lorsque des combats ont éclaté à Gao, fin juin 2012, entre les combattants du MNLA et les islamistes du MUJAO pour le contrôle de la zone, les crimes commis contre la population de la ville par le MNLA (voir rapport de la FIDH et de l’AMDH, 18 juillet 2012,« Crimes de guerre au Nord Mali »), ont été tellement choquants que « des enfants et des jeunes ont coupé des langues, des oreilles et ont traîné des corps de combattants du MNLA morts dans les combats contre le MUJAO ». En chassant les troupes du MNLA, le MUJAO a acquis une certaine notoriété qui lui a permis de recruter massivement parmi certaines populations, notamment les jeunes et les talibés. Ces derniers, étudiants islamiques, « dont certains n’ont même pas 9 ans », selon un témoin, ont été incités à rejoindre les groupes armés par leur « maître » toujours selon cet habitant de Gao. « Certains ne pouvaient même pas porter leurs armes tellement ils étaient petits » précise-t-il. Le recrutement d’enfants soldats s’est aussi fait contre de l’argent distribué directement aux enfants ou aux familles. Ainsi, un témoin dont le cousin s’est engagé dans le MUJAO a vu des combattants promettre 50 000 FCFA par mois à des familles pour enrôler leurs enfants. « Même le chauffeur d’Abdel Akim [un des chefs du MUJAO à Gao] était un enfant ! » a confié un autre témoin à la FIDH. Selon plusieurs témoignages, des personnes recrutées à Gao et entraînées à la hâte au « Camp 1 », le camp d’entraînement du MUJAO à Gao, ont été placées en première ligne, par les islamistes, lors de l’attaque du dernier bastion du MNLA à Menaka, le 19 novembre 2012. La quasi totalité de ces combattants non expérimentés seraient morts dès le premier assaut.
A Tombouctou, qui était principalement contrôlé par AQMI et notamment un de ses chefs, Abdelhamid Abou Zeid, la plupart des scènes vues à Gao ce sont reproduites : une amputation, des condamnations à mort, des flagellations, des crimes sexuels et des recrutements d’enfants-soldats. Tous ces crimes sont constitutifs de crimes de guerre au titre de l’article 8 du Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale. Les groupes armés se sont aussi illustrés par la destruction d’une grande partie des mausolées inscrits au patrimoine mondial de l’Humanité de l’UNESCO, et par le vol de plus de 2000 manuscrits et d’archives musicales inestimables. L’imposition de la charia s’est accompagnée comme à Gao et dans tout le nord du pays de l’imposition de mode vestimentaire, de la police et de tribunaux islamiques, et même d’un « Centre de recommandation du convenable et de l’interdiction du blâmable », sorte de justice civile et de police religieuse. Les islamistes sont rentrés dans les écoles, imposant la séparation stricte des garçons et des filles et surveillant même les cours pour contrôler l’enseignement donné.
Pour un défenseur des droits de l’Homme qui a dû fuir le nord du pays fin 2012 en raison de risques trop importants pour sa sécurité, « les djihadistes sont fous, ils nous ont coupé du monde ». La reprise des villes du Nord permet selon lui aux populations de « sortir de la nuit dans laquelle nous ont plongé les groupes armés pendant tous ces mois ».
Les exactions de l’armée malienne
A la suite de la prise de Konna par les groupes armés djihadistes, la FIDH a pu établir que le climat de guerre, de psychose et de tension a favorisé des actes de vengeance et de représailles, et une série d’exécutions sommaires a été perpétrée par des éléments des forces armées maliennes, à partir du jeudi 10 janvier 2013, particulièrement à Sevare, Mopti, Nionno et d’autres localités situées dans les zones proches des zones d’affrontements. A Sevare, une trentaine de cas d’exécutions sommaires ont été signalées dont au moins 15 personnes exécutées dans 4 sites différents, notamment dans le camp militaire, à proximité de la gare routière, près de l’hôpital et dans un autre quartier de la ville. A Mopti, un cas d’exécution sommaire a aussi pu être confirmé. A Sevare toujours, des informations crédibles font état de viols et autre cas de sévices sexuels, ainsi que dans d’autres localités de la zone. Dans la région de Niono, à Sikolo, deux maliens d’origine touareg ont été exécutés par des soldats maliens. D’autres allégations d’exécutions sommaires continuent de nous parvenir de l’ensemble des zones de l’ouest et du centre du pays. Par ailleurs, l’imam Cheik Hama Alourou, enlevé par des militaires maliens le 21 janvier au soir, à Gnimi Gnama, un village entre Bore et Douenza est toujours porté disparu.
Les victimes de l’ensemble de ces exactions sont des personnes : accusées d’être complices des djihadistes ou des infiltrés, des personnes en possession d’armes, des individus ne pouvant justifier de leur identité lors de contrôles de l’armée, ou simplement en raison de leur appartenance ethnique et communément appelés les « peaux claires ».
« Les risques de vengeance au Nord sont extrêmes »
Alors que la reconquête du Nord du pays est en bonne voie, la FIDH s’inquiète des risques de dérapages, de représailles et des actes de vengeance contre les populations civiles de la part des militaires, mais aussi entre populations civiles. A Gao, la population a lynché un combattant islamiste Peulh dont le corps se trouve à la morgue de l’hôpital. Trois blessés seraient à dénombrer parmi les civils qui ont voulu prendre l’hôpital où s’étaient retranchés certains djihadistes. Plusieurs maisons appartenant aux Touaregs et Arabes de Gao auraient été pillées et saccagées jusqu’aux portes et fenêtres. Si la vindicte populaire semble mécaniquement cibler les populations touaregs, ces derniers ne sont pas les seuls à risquer de payer de leur vie leur allégeance réelle ou supposée aux groupes armés. Ainsi à Gao, les populations du village de Kadji (Gourma – sur la rive droite du fleuve), qui ne sont pas touaregs mais qui ont rejoint assez largement les groupes armés, notamment en raison d’un différent antérieur avec le reste des habitants de la ville, risque d’être prises pour cibles. Une jeune femme, entendue par la FIDH rapportait d’ailleurs les paroles de plusieurs habitants de Gao selon lequelles, « on va éliminer tous les ’peaux claires’ [islamistes étrangers] et tout ceux qui sont du Gourma ». A Diabaly, des habitants de la région auraient ces derniers jours pillés les biens et les maisons de personnes des communautés arabes et touaregs.
Ce sentiment de vengeance se fonde notamment sur les crimes et les exactions perpétrés depuis l’offensive du MNLA et des groupes armés islamistes en janvier 2012, notamment le massacre des soldats maliens à Aguelhoc et Tessalit ou encore les campagnes de viols et la vague de violations des droits de l’Homme perpétrées par les éléments armés touaregs du MNLA, notamment lors des prises de Gao et Tombouctou, que nos organisations ont condamné et ont documenté (voir le rapport de la FIDH et de l’AMDH, 18 juillet 2012, « Crimes de guerre au Nord Mali »). Ces crimes récents font resurgir les exactions perpétrées de part et d’autre lors des précédentes rébellions touaregs, particulièrement celles des années 90, où aux exécutions de fonctionnaires au Nord par les rebelles touaregs, l’armée répondait alors par des opérations de contre-insurrection meurtrières et indiscriminées contre des civils touaregs. Pour un défenseur des droits de l’Homme du Nord du pays, l’ensemble de ces faits font que « les risques de vengeance et de représailles au Nord sont extrêmes ».
L’impératif de juger pour briser le cycle de l’impunité et de la violence
L’ensemble des auteurs et responsables de ces crimes, qu’ils soient maliens ou étrangers, doivent être appréhendés et jugés. Ainsi, du côté islamiste, « Aliou commissaire » un des chefs du MUJAO à Gao aurait été capturé par les forces franco-maliennes le 25 janvier 2013 à Hombori. Des éléments du MUJAO, se seraient rendus aux forces de sécurité nigériennes et auraient été désarmés. L’ensemble de ces auteurs, y compris les membres et responsables du MNLA qui ont commis des crimes de guerre et des violations graves des droits de l’Homme doivent pouvoir être jugés de façon équitable et le cas échéant, condamnés. L’exemplarité de tels procès devrait permettre de renforcer l’État de droit au Mali. De la même façon, les militaires qui ont commis des crimes contre des civils doivent, selon la FIDH, pouvoir être jugés de façon impartiale pour rappeler l’obligation de protection du droit international humanitaire et des droits de l’Homme, y compris en temps de conflit armé.
« On ne combat pas les auteurs des crimes d’Aguelhoc par les mêmes méthodes qu’eux » a déclaré Souhayr Belhassen, présidente de la FIDH. « La reconquête du Nord par les troupes franco-africaines ne doit pas être entachée par des crimes et des méthodes qui servent les islamistes. Il faut casser le cycle de l’impunité et de la violence » a-t-elle ajouté.
Pour Sidiki Kaba, président d’honneur de la FIDH, « il ne faut pas seulement gagner la guerre, mais il faut maintenant gagner la paix ; et celle-ci ne peut se construire dans l’immédiat que par le respect des droits humains, le refus de toute logique punitive et de vengeance, le jugement de tous les auteurs de violations des droits de l’Homme, le retrait des militaires de la vie politique ; et dans l’après-guerre, la tenue d’élections libres et transparentes ».
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