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Photothèque Rouge/MILO |
Par Libération - 22/01/2013
Christine Poupin, Olivier Besancenot, Philippe Poutou
Membres de la direction du NPA
Monsieur Hollande, lors d’un point presse, le 15 janvier
dernier, vous avez déclaré : « Qu’allons nous faire des terroristes ?
Les détruire ! ». Déclaration choc, violente, et guerrière, qui
rappellerait presque les intonations de Vladimir Poutine. Déclaration
également quelque peu imprudente par son côté péremptoire. Car, au jeu
de l’escalade verbale, les faits, eux, suivent un engrenage où, hélas,
fréquemment les otages s’additionnent aux otages. La tragique prise
d’otages qui s’est déroulé sur le site gazier de Tigantourine, en
Algérie, qui nous révolte tous, en a donné, durant son dénouement, la
dramatique illustration.
Alors qu’avez vous voulu prouver en utilisant ces
mots ? Que vous étiez aussi chef des armées, chef de guerre. Et surtout,
que vous assumiez entièrement la guerre au Mali. Comme c’est attristant
de constater que le rare domaine où vous ne vous autorisez pas
d’hésitations, soit celui de la guerre. Dans la plus grande tradition,
vous emboîtez joyeusement le pas de vos prédécesseurs. Qu’on se le dise,
vous aussi, postulez à la stature de président de la Françafrique
(France « A fric » pour reprendre l’expression de l’association Survie).
Comme c’est consternant de se retrancher, comme à l’accoutumée,
derrière des raisons humanitaires - qui ne se rappellent à vous que
selon les circonstances - pour masquer à l’opinion les vrais intérêts
colonialistes que la France défend dans ce conflit.
Alors, oui, Monsieur
Hollande, dans le nord du Mali, des fanatiques religieux cherchent à
imposer un régime odieux à la population malienne. Et oui, il y a des
raisons de s’en émouvoir et de se sentir solidaires du peuple malien. La
seule question qui vaille alors est de savoir si votre intervention
militaire, menée en solo, risque d’améliorer ou d’aggraver la situation.
Poser cette seule question dérange. Et pour cause. Les premiers
applaudissements, rituel des débuts de guerre, qui ont salué votre
initiative, s’estompent rapidement et le murmure des premiers doutes
s’installe déjà. Aurions-nous, sur ce sujet aussi, perdu la mémoire de
notre histoire récente ? Les différentes interventions militaires
étrangères de ce type, qui se sont succédées ces 20 dernières années, en
Irak, Afghanistan, Somalie, Libye, ont débouché sur une situation
politique ingérable, chaotique, et le plus souvent sur une guerre civile
doublée d’une catastrophe humanitaire. Car le décompte lugubre des
milliers de morts ne s’arrête pas au cessez-le feu décrété par les
puissances occidentales ; il déroule inlassablement son lot de nouvelles
victimes, énoncé en quelques secondes seulement durant nos journaux
télévisés du soir. Au final, ces guerres qui prétendaient stopper, voire
« détruire » le terrorisme, n’ont fait que renforcer bien
souvent la position des plus déterminés, des plus extrémistes, et des
plus radicaux d’entre eux. Quant à la défense du droit des femmes, qui
oserait dire qu’elle s’est améliorée ? Et où ? En Irak, Afghanistan,
Somalie, Libye ?
Monsieur Hollande, le monde politique vous tresse
maintenant des lauriers. De quoi se sentir porté par cet élan d’union
nationale probablement recherché. Au point d’en perdre un peu le sens
des proportions. Vous êtes vous seulement rendu compte du ridicule de la
situation lorsque, sans rire, vous êtes arrivé paré de votre nouvel
accoutrement de chevalier universel de la démocratie, arborant fièrement
vos belles valeurs - les droits de l’homme, des femmes, la lutte
implacable contre l’obscurantisme religieux - pour faire le point sur
cette guerre, durant une conférence de presse tenue… aux Emirats arabes
unis ? Là-bas, la législation s’applique selon la « charia », et fait
encourir la lapidation pour adultère, blasphème ou homosexualité. Mais,
qu’importe. La délégation du CAC 40 est sortie repue, gavée de juteux
contrats. Et nous voulons tous croire que le sommet sur la défense de
l’environnement, sponsorisé par Total et Exon a du tenir des propos
percutants et plein de bon sens. Malheureusement, un sujet a cependant
empoisonné vos entretiens : s’entendre enfin sur un prix avec la
présidence des Emirats afin de vendre 6O avions Rafale. Le groupe
Dassault le sait bien : faire la guerre, c’est un métier.
Aux Emirats arabes unis, comme au Mali, vous suivez
inexorablement votre mission : assurer le bon commerce de la France.
Nous découvrons donc que le Sahel n’est pas qu’un désert mais qu’il est
le confluent géostratégique de nombreux échanges, licites comme
illicites. Il est aussi la clé d’entrée frontalière fragile qui donne
accès à des zones que la France tient à sécuriser, en premier lieu les
mines d’uranium qu’exploite au Niger Areva, fleuron français de
l’industrie nucléaire.
Vous n’êtes pas un héros désintéressé dans cette
guerre. Ni un pompier volontaire qui serait venu éteindre un feu qui,
rappelons-le, a été entretenu sciemment ces dernières années par tous
les gouvernements français qui se sont succédés depuis le début des
années 1980. En effet, les politiques libérales, les plans d’ajustements
structurels, liés à la dette malienne, dont le remboursement intéresse
particulièrement la France, ont désagrégé la société, la privant de ses
services publics, de ses industries, et de ses entreprises de
services... L’état s’est délité, au point de quasiment disparaître dans
le nord du Mali. En outre, les récents événements sont directement liés à
la guerre en Libye. Or, l’intervention militaire française en Libye n’a
pas consisté à livrer gracieusement des armes à la révolution légitime
du peuple libyen. La France est intervenue militairement en tant que
puissance extérieure pour rappeler au futur pouvoir toute sa dépendance,
et espérer autant de gestes en retour, notamment sur le marché
pétrolier. Il a dépossédé par là même la révolution libyenne de la
possibilité de s’approprier politiquement le contrôle des régions prises
militairement. Ainsi, la région du Sahel a été brutalement déstabilisée
et a libéré un afflux de combattants surarmés dans leur pays d’origine,
notamment au Mali. Enfin, vous êtes bien placé pour savoir que l’Etat
français n’a pas vu d’un bon œil la destitution en mars 2012 du régime
corrompu d’Amadou Toumani Touré, par une mutinerie militaire qui s’est
transformée en coup d’état. Dès lors, la France n’a eu de cesse de priver
l’armée malienne de ses propres appuis logistiques. La Cédéao, dirigée
par Alassane Ouattara, qui doit beaucoup à la France pour son accession
au pouvoir en Côte-d’Ivoire en 2011, a ainsi décidé d’un embargo, l’été
dernier, sur des armes pourtant destinées aux militaires maliens, en
bloquant des blindés, des munitions, des armes lourdes dans les ports de
Dakar au Sénégal, et de Conakry en Guinée. Se défendre seul devient
nécessairement plus compliqué.
Monsieur Hollande, le destin des maliens appartient
aux maliens. Et si une guerre est à mener, ce n’est sûrement pas à la
France de s'autoproclamer sauveur au Mali. Le paternalisme français en
Afrique n’a que trop duré. En France, l’Etat s’intéressait jusqu’alors
aux Maliens surtout pour les expulser. Cette France-là serait
soudainement touchée par les plus sincères sentiments humanitaires ?
Cette France qui n’arrive même pas à reconnaître sa responsabilité dans
le génocide Tutsi qui s’est déroulé au Rwanda en 1994. Ne privons pas le
peuple malien d’une solution politique que des voix réclament là bas
avec insistance : le député Oumar Mariko de l’organisation Sadi
(Solidarités, Afrique, démocratie, indépendance), par exemple, ou
l’ancienne ministre Aminata Traoré, qui a lancé, il y a plusieurs mois,
un manifeste contre cette guerre au nom du droit des femmes. Car la
société civile, syndicale et politique est une réalité incontournable au
Mali. En France, l’union nationale, au-delà des doutes exprimés sur le
mandat français ou le peu de débat parlementaire, semble avoir contaminé
quasiment tous les partis. A de trop rares exceptions près. Le meilleur
moyen d’aider le peuple malien à mener son combat contre
l’obscurantisme religieux, Monsieur Hollande, c’est que l'État français
cesse de parler au nom des autres.
Le 18 janvier 2013
Christine Poupin, Olivier Besancenot, Philippe Poutou
Membres de la direction du NPA
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