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mardi 29 janvier 2013

Ahmed Marzouki : L'interrogatoire

Ahmed Marzouki

ancien détenu de Tazmamart

“Benzekri nous a laissé tomber”
Smyet bak ?
Ali ben Abdessalam ben Abdellah.


Smyet mok ?
Rahma bent Omar.


Nimirou d’la carte ?
C 662747.


Ces dernières années, vous avez disparu de la circulation. Qu’est-ce que vous faisiez de beau ?
J’ai traduit des ouvrages, participé à plusieurs conférences sur les droits de l’homme. J’ai également publié le mois dernier un recueil de nouvelles, intitulé Mihnat Al Faragh. Et depuis deux semaines, j’écris une chronique dans le nouvel hebdomadaire arabophone Hespress.


Vous êtes donc devenu écrivain en fin de compte ?
Je ne me considère pas comme tel, je n’ai pas cette prétention. Cellule 10, je l’ai écrit parce que je voulais absolument raconter aux Marocains ce que mes camarades et moi avions vécu à Tazmamart. Mais mon dernier ouvrage, je l’ai réalisé parce que j’ai été encouragé par Bichr Bennani, le fondateur de Tarik Editions, qui a toujours trouvé que j’écrivais bien et que j’avais le sens de l’humour.


Vous ne vous étiez pas lancé dans l’agriculture après avoir reçu une indemnité de l’Etat il y a une dizaine d’années ?
Oui, mais l’expérience s’est soldée par un échec. Je n’ai pas été le seul dans cette situation. La totalité des anciens de Tazmamart ont été arnaqués. Nous pensions que les gens allaient être bienveillants et nous aider, mais ils ont été nombreux au contraire à profiter de notre naïveté et de notre manque d’expérience.


Vous revoyez souvent les autres anciens détenus de Tazmamart ?
Pas vraiment. J’essaie de prendre des nouvelles régulièrement de tout le monde, mais ce n’est pas évident. Cinq anciens sont décédés ces dernières années. Nous avions une association, avec un siège où l’on se retrouvait souvent. Malheureusement, nous avons été obligés de le libérer, vu que nous n’avions plus les moyens de payer le loyer du local.


Actuellement, vous vivez de quoi ?
De mes traductions. J’ai un petit talent dans ce domaine, alors je l’exploite. En 2001, nous avions reçu en moyenne 2,5 millions de dirhams d’indemnité chacun. A peine de quoi acheter un toit, fonder une famille et mettre un peu d’argent de côté. Mais sans travail, nous avons tous vécus sur nos économies. Aujourd’hui, nous n’avons plus rien, nous ne recevons aucune indemnité mensuelle. L’Etat nous a complètement oubliés.


Si un jour vous rencontrez Mohammed VI, qu’est-ce que vous lui diriez ?
Tout d’abord, je le remercierais d’avoir pris en charge les deux opérations de mon fils. Il a eu un grave traumatisme crânien lorsqu’il avait cinq ans. Le roi a entendu parler de cela, et l’a envoyé à ses propres frais se faire soigner en France. Je n’oublierais jamais son geste. Mais je lui dirais aussi que nous attendons toujours que nos problèmes soient réglés. Nous avons déjà beaucoup trop souffert.


Les gens vous reconnaissent parfois dans la rue ?
Oui, surtout après mon passage sur Al Jazeera en 2009. Souvent, au restaurant, on m’annonce au moment de régler que la facture a déjà été payée ! Lors de mon pèlerinage à La Mecque, j’ai également été très surpris de voir que des Egyptiens, des Iraniens ou même des Indonésiens me reconnaissaient. Je dois
sûrement avoir une tête originale pour qu’ils s’en rappellent aussi bien (rires).


Ça ne vous dérange pas que tout le monde vous pose des questions sur votre expérience à Tazmamart ?
Non, de cette manière je ne laisse pas l’amertume me ronger de l’intérieur. Je dois continuer à en parler, pour que les gens n’oublient jamais. Ceci dit, dernièrement, j’ai découvert qu’un type que je connaissais avait enregistré mon numéro sur son téléphone en tant “qu’Ahmed Tazmamart” ! J’ai trouvé ça un peu exagéré (rires).


Vous avez passé 18 ans coupé du monde extérieur. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué lors de votre libération ?
J’ai été surtout marqué par le désespoir des jeunes, et le manque de solidarité entre les gens. J’avais le souvenir d’une société marocaine où les gens se serraient les coudes, et je me suis retrouvé face à une société individualiste, où le concept de “rahma” est devenu rare. On ne le voit plus qu’à la télévision, dans des feuilletons bas de gamme qui passent sur les chaînes nationales.


Vous n’avez pas l’air d’être très fan des chaînes télévisées marocaines…
Sincèrement, je ne supporte pas tout ce déferlement de feuilletons et séries turcs comme le fameux “Hareem Soltane” sur nos écrans... Je ne regarde jamais la télévision, à part quand il y a du foot ! Je ne rate jamais les matchs de l’équipe nationale, et les matchs de la Botola. Sinon, je regarde beaucoup les chaînes françaises Histoire et Historia et, bien sûr, tous les matchs et les émissions sur le FC Barcelone. Je suis un grand supporter de cette équipe !


Vous êtes un peu branché nouvelles technologies ou pas du tout ?
Demandez à mes deux fils de 12 et 14 ans, ils sont toujours morts de rire quand ils me voient en train d’essayer de surfer sur Internet (rires). Plus sérieusement, je ne me sers de mon ordinateur que pour écrire des textes, les enregistrer et les envoyer.


Avec du recul, que pensez-vous de l’Instance équité et réconciliation (IER) ?
Cette instance a fait beaucoup de choses, mais ce n’était pas suffisant. Il y a eu beaucoup de paroles en l’air. En ce qui nous concerne, on nous avait promis que Tazmamart ne serait pas rasé, qu’il y aurait un musée et que les tombes seraient identifiées et auraient des épitaphes. C’est tout le contraire qui est arrivé. Driss Benzekri nous a laissé tomber.


Quel regard portez-vous sur l’évolution des droits de l’homme au Maroc ?
Fort heureusement, nous sommes aujourd’hui très loin de la période Hassan II et de son grand vizir Driss Basri. Mais il y a encore beaucoup de choses à faire. Le problème, c’est que l’Etat a opté pour des demi-solutions. Pourquoi ne pas dire enfin toute la vérité sur les affaires Ben Barka, Manouzi et Rouissi ? Je ne comprends vraiment pas.


Antécédents
1947.  Naissance à Ghafsay, dans le Rif
1971.  Emprisonné suite au coup d’Etat de Skhirat
1991.  Libéré du bagne de Tazmamart
1998.  Se marie
2000.  Publie Cellule 10 chez Tarik Editions / Paris Méditerranée
2012.  Sort un recueil de nouvelles, Mihnat Al Faragh (Tarik Editions)


Croyez-le ou non, Ahmed Marzouki est un homme très jovial, même s’il a vécu l’enfer pendant 18 ans à Tazmamart. Arrivé avec 30 minutes de retard, l’ancien détenu politique s’excuse, en expliquant avec le sourire qu’il n’a jamais eu le sens de la ponctualité, “à part, ironie du sort, le jour du coup d’Etat de Skhirat en 1971”. Un jour qui a changé sa vie, et qui a fait de cet ancien militaire le détenu le plus connu des années de plomb. Attablé à un café du centre-ville de Rabat, Marzouki parle de ses années d’incarcération comme s’il racontait de banals souvenirs de jeunesse. “Vous savez, avec le temps, cela ne me fait plus ni chaud ni froid de parler des horreurs que nous avons vécues”, explique-t-il calmement. Mais lorsqu’il est question de parler des responsables censés défendre les victimes des atteintes aux droits de l’homme, il s’énerve : “Ils nous ont tous oubliés, alors que nous avions confiance en eux. Sebbar, Herzenni, El Yazami ou encore Ramid, ils ont tous érigé un mur entre eux et les victimes des années de plomb. Ils considèrent que ce n’est plus leur problème”. Sauf qu’ils sont toujours là. Et Marzouki aussi, déterminé plus que jamais à ne pas baisser les bras.


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