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vendredi 1 février 2013

Bienvenue au royaume de la rente : une enquête sur la corruption au Maroc

    par Christophe Guguen & Omar Radi, Lakome, 31/1/2013



    La publication en novembre dernier de la liste des détenteurs d'agréments de carrière a mis à nu les dysfonctionnements d'un secteur économique soumis à l'appareil d’État, où les privilèges et les fraudes massives font perdre chaque année près de 3 milliards de DH de rentrées fiscales.



    Au premier abord, cette liste ne révélait pourtant rien de spécial, si ce ne sont les défaillances de l'administration : les données fournies sur les 1885 exploitants de carrières enregistrés, en majorité des personnes morales, sont souvent incomplètes.
    C'est en plongeant dans la liste, en étudiant la nature, l'évolution chronologique de l'actionnariat et les bilans de ces sociétés que les choses deviennent intéressantes. Lakome s'y est attelé. Les résultats de ses recherches ne sont certainement pas exhaustifs, du fait de l'opacité du secteur et du non-respect par beaucoup d'entreprises des obligations légales de dépôt au greffe du tribunal de commerce.
    Ils révèlent toutefois les dysfonctionnements du système, les privilèges dont continuent de bénéficier aujourd'hui certains élus, pour la plupart issus des partis de l'administration, et le poids des lobbies opposés à toute remise en cause de l'économie de rente.
    L'enquête que vous propose Lakome met également en lumière les activités d'un discret réseau d'affaires gravitant autour de Mohamed Mounir Majidi, secrétaire particulier du roi Mohammed VI et gérant de la holding royale Siger. Un réseau qui a profité pendant plusieurs années de la richesse des sous-sols marocains. Bienvenue au royaume de la rente.
    Articles du dossier:
    L'édito d'Aboubakr Jamai : Enquête au royaume de la rente



    L'enquête menée par l'équipe de Lakome sur la liste des bénéficiaires d'agréments de carrières, publiée récemment par le gouvernement, montre d'abord une évidence : les copains et les coquins du régime en profitent allègrement. Pour ne rien arranger, la quasi-totalité des entreprises dont Lakome a pu consulter les comptes ne déclarent pas de profits. Elles ne paient donc pas d'impôt sur les bénéfices. Une étude attentive de leurs comptes révèle le genre d'anomalies qui feraient le bonheur de n'importe quel scrupuleux inspecteur des impôts. On découvre aussi la présence parmi les détenteurs d'agréments, de sociétés domiciliées dans des paradis fiscaux dont les actionnaires, forcément anonymes, échappent de fait au fisc marocain. Pour compléter le tableau, il s'avère que certaines de ces sociétés sont alliées à des proches du palais dont un membre du secrétariat particulier du roi. Une révélation qui souligne jusqu'à la caricature la corruption du système. En fait, l'enquête recèle trois autres enseignements majeurs.

    C'est une liste digne d'une « république » bananière, preuve d'une administration publique scandaleusement défaillante. C'est une liste tellement mal ficelée qu'on se demande si tout cela n'a pas été orchestré de connivence avec le ministère de Rabbah pour rendre sa publication inoffensive. Parmi ses innombrables anomalies, des sociétés bénéficiaires d'agréments toujours en cours de constitution, d'autres même pas inscrites au registre de commerce, des sociétés aux dirigeants inconnus et on en passe et des meilleurs. Cette constatation n'est ni anodine ni surprenante.

    Elle n'est pas anodine car elle contredit dans les faits l'un des arguments principaux des tenants de la constitution actuelle.  Ceux-ci justifient le maintien de l'autoritarisme sous la forme d'une institution monarchique qui ne rend pas de comptes malgré ses larges prérogatives, par la nécessité d'un État fort.  Un État qui servirait les intérêts suprêmes de la nation parce qu'immunisé des bassesses politiciennes et des chicaneries partisanes, parce qu'hors de portée de la volonté d'une populace encore trop immature pour choisir ses propres dirigeants politiques. L'étude attentive de la liste montre pourtant que cet État largement contrôlé par la monarchie et ses alliées, est médiocre, incompétent.

    Cette constatation n'est pas surprenante non plus car l'autoritarisme ne peut s'accommoder de l'application scrupuleuse des règles de droit qui gouvernent le fonctionnement d'un État réellement fort. Le droit, en l'occurrence, n'est pas ce que le texte écrit et voté dit, c'est ce que le gouvernant et ses affidés décrètent sur le moment. C'est cette vérité que l'on énonce chez nous en ânonnant le sempiternel : « la loi est bonne mais elle est mal ou pas appliquée ».  C'est une situation inscrite dans l'ADN du système. Elle n'est pas le résultat de l'incompétence de quelques fonctionnaires. Ces derniers mois ont d'ailleurs démontré qu'il existait au sein de l'appareil de l 'État des fonctionnaires à la fois compétents et honnêtes.

    Les juges de la Cour des comptes ont produit ces deux dernières années des rapports qui honorent leur mission. Ce n'est pas leur faute si, par exemple, rien n'a été fait contre ce chouchou du régime qu'est Anas Sefrioui, PDG d'Addoha, alors qu'ils avaient souligné les passes-droits dont lui a fait bénéficier le gendarme de la bourse, le CDVM.  Ce n'est pas non plus leur faute si l'agence de presse de l’État, la MAP, continue à insulter l'intelligence des marocains en produisant de l'information «nord-coréenne» alors que les juges de la Cour des comptes en ont courageusement dénoncé la gouvernance. Autre exemple, ce sont des cadres et ex-cadres du ministère des finances qui ont sorti l'affaire Bensouda/Mezouar et leurs primes indues, qui ont exposé le système des « caisses noires ».  Ce sont là des cas qui montrent bien que le problème ne réside pas dans la technicité ni l'honnêteté des agents de l’État. Le problème réside dans un système qui pour se perpétuer a besoin de générer de la mauvaise gouvernance.

    Le deuxième enseignement de cette enquête a trait à l'affaire du Sahara. L'une des accusations éculées mais toujours abondamment utilisées par le régime pour discréditer ses opposants est de les accuser de trahir la « cause nationale », d'affaiblir la patrie dans sa lutte pour parachever son intégrité territoriale. Notre enquête permet de lui retourner la politesse. Les sociétés bénéficiaires d'agréments domiciliées au Sahara sont soit les moins transparentes de la liste publiée par le ministère de l'équipement, soit appartiennent à des potentats locaux alliés du Makhzen. Les indépendantistes ne pouvaient espérer mieux pour renforcer leur argument de nation spoliée par un État colonial, et mafieux qui plus est.

    Le dernier enseignement majeur de cette enquête porte le nom d'une commune : Ain Tizgha. A l'image du pays, c'est une commune riche en ressources mais pauvres en services communaux pour cause de corruption et de prébendes. Un rapport récent estime que la commune ne perçoit que 30% du montant des recettes de la taxe sur l'exploitation des carrières qu'elle aurait dû percevoir s'il n'y avait pas fraude. Car les détenteurs d'agréments pistonnés fraudent. Et c'est bien parce qu'ils sont pistonnés qu'ils peuvent aisément frauder. Ces 30 % perçus correspondent à 5 Mdh. Le montant additionnel auquel peut prétendre la commune s'il n'y avait fraude serait donc de 11,7 Mdh. Sachant que son budget annuel total est de 16 Mdh, une gouvernance saine libérée des scories de l'économie de rente lui permettrait d'augmenter ses recettes de plus de 70%. Voilà une petite commune qui sans être des plus démunies du pays est loin d'être des plus riches. Une commune dont une grande partie des habitants vivent encore d'agriculture vivrière, et qui voit ses ressources pillées dans des proportions faramineuses.

    Voilà un régime qui multiplie les opérations ostentatoires de charité, à travers notamment les actions de la fondation Mohammed V et son grand show de la campagne de solidarité nationale, alors qu'il perpétue un mode de gouvernance qui dépouille les Marocains de ressources qui leur reviennent de droit.

    Morocco: how state corruption works

    There is an excellent, multifaceted investigation of corruption involving licenses attributed by the state for the use of quarries in state lands that has recently been published in Lakome, the independent Moroccan news website. As editor Aboubakr Jamai explains in a  companion editorial piece, the investigations details how members of the royal cabinet, their relatives, and other well-connected people have had privileged access to sand and other quarries, often through companies that barely have a legal existence, pay no taxes, and operate in very shadowy circumstances.
    The corruption surrounding access to quarries has long been a commonly known fact about Morocco, a country with a long coastline and where sand quarrying in particular often takes place in an often unregulated away — something environmentalists have long complained about, since the quarrying takes place at times in what should be protected areas (the beautiful Atlantic beaches near Tangier and Asilah in the north are a case in point). But Lakome's investigation takes one rather banal type of corruption and paints a picture of such "state capture" takes place. You can probably imagine the same things happen for, say, touya wood felling in the Middle Atlas or fishing licenses that often go to senior army officers. 
    This is precisely the type of in-depth investigative journalism that is so rare in the Arab world — using even inadequate public data to understand how one particular type of corruption works, which can tell you a lot not only about where money flows (and doesn't flow — the municipalities where these quarries are losing out on revenue that could go to facilities for locals) but also about how power flows. And it's not a pretty picture for a monarchy that boasts of being headed by a "king of the poor." 

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