Par Zouheir Aït Mouhoub, Watan , 01.02.13
Logement, travail, croissance... Un an après l’arrivée au gouvernement du Parti pour la justice et le développement, les Marocains attendent toujours que se concrétisent les promesses d’Abdelilah Benkirane. Sur fond de crise économique et de colère sociale, les islamistes patinent.
«Ils étaient tout le temps derrière nous, ils ne nous lâchaient pas. Où
sont-ils aujourd’hui ?», s’interroge Ahmed El Marsi, la cinquantaine,
ferronnier dans la banlieue de Casablanca. Lors des législatives
marocaines de novembre 2011, organisées après les réformes entreprises
par le roi Mohammed VI dans la foulée du Printemps arabe, Ahmed avait
voté pour le Parti de la justice et du développement (PJD). Le royaume
hachémite, avec une crise économique des plus sévères de son histoire
(la dette publique a atteint 18 milliards de dollars) et un an de
gouvernement Benkirane, peine à trouver des solutions aux difficultés
des Marocains. Chômage, pauvreté, délinquance... Tous les signaux sont
au rouge.
Où en est la révolution économique et sociale promise par le PJD ? Les Marocains se posent la question. «Au lieu de s’occuper de nos jeunes, de nos familles, ils s’attaquent à de soi-disant ‘‘lieux de débauche’’ et promettent une révolution morale !», s’offusque Jalil, père de cinq enfants et chômeur depuis trois ans, rencontré à Sbata, un quartier défavorisé de Casablanca. Ici, on a pourtant voté PJD lors des législatives. «Les jours qui ont précédé le vote, les gars du PJD nous rendaient visite et nous promettaient de régler nos problèmes, maintenant on ne les voit plus, bien au contraire, ils nous fuient comme la peste», s’indigne Ahmed El Marsi qui espérait au moins un travail décent pour l’un de ses six fils. Son voisin attend depuis des années un logement pour sa famille et il comptait beaucoup sur le PJD.
Emeutes
«J’ai rêvé de ce bel appartement que les militants locaux m’avaient promis, mais je ne vois rien venir», regrette-t-il. Face au mécontentement général, en juin 2012, Abdelilah Benkirane s’est adressé aux Marocains en direct sur les deux télévisions d’Etat, jusque-là privilège du roi. «Ces décisions sont dictées par une conjoncture internationale morose et un Etat fauché, n’arrivant pas à joindre les deux bouts», a-t-il déclaré dans un long discours en arabe dialectal. «Même si notre parti a eu les faveurs des électeurs, j’ai décidé de prendre des mesures impopulaires, même si elles sont sensibles politiquement», s’est-il aussi justifié. Les Marocains, eux, ont l’impression d’avoir été bernés. Fin décembre, des émeutes contre la cherté de l’électricité et de l’eau secouent Marrakech. Le carburant a lui aussi connu une augmentation de plus de 20%. Même chose à Marrakech, El Baida, Essaouira et d’autres grandes villes du royaume. Au premier semestre 2012, le ministère de l’Emploi a recensé 212 grèves dans presque tous les secteurs.
La santé a connu un mouvement de protestation sans précédent.
A l’origine de la protestation : une loi promulguée par le Parlement, interdisant aux praticiens de la santé publique d’exercer dans le secteur privé. «Je viens de déposer ma démission avec 26 autres cadres pour protester contre cette loi, explique un médecin spécialiste rencontré à l’hôpital Ibn Rochd de Casablanca. Le gouvernement devrait plutôt prendre en charge nos problèmes socioprofessionnels. Mais le gouvernement Benkirane s’échine à nous ignorer et veut entrer en confrontation avec notre corporation. Ce qu’ils savent bien faire depuis leur intronisation.» Selon les observateurs et la presse locale d’opposition, le gouvernement Benkirane s’est d’abord inscrit dans une logique de confrontation politique, histoire de régler ses comptes avec ses rivaux, ensuite avec les gouvernés, en prenant des décisions impopulaires. «Ce gouvernement consacre la déception et le désespoir, relève Mohamed Abyadh, secrétaire général de l’Union constitutionnelle, un parti d’opposition, vieux de trente ans.
Prostitution
«A terme, cette façon de gouverner mènera à l’explosion sociale.» Les villes et villages marocains, où règnent chômage et misère, renseignent sur cet état de désespoir. Aïcha vit dans un gourbi à la sortie sud de Casablanca, avec cinq enfants. «Je n’ai ni électricité, ni eau, ni gaz. Mes enfants sont au chômage et mon défunt mari ne m’a laissé aucune pension. Un de mes fils travaille comme manutentionnaire au marché de gros. Avec le peu d’argent que nous avons, nous avons acheté un âne et on a pu fabriquer une calèche pour le transport des marchandises», se plaint la vieille dame, le visage ridé. La journée, elle se rend au centre-ville pour mendier. «Je n’ai pas d’autre solution, mon fils ne gagne pas beaucoup, parfois 100 dirhams, parfois moins de 20 dirhams (200 DA, ndlr), confie-t-elle. Même pas de quoi acheter à manger, alors que ma fille est allongée dans son lit et a besoin de médicaments.» Comme elle, elles sont nombreuses dans les rues de Casablanca à passer la journée à harceler les passants. Entre les buildings et les grandes artères de la cité la plus moderne de l’Afrique du Nord, la mendicité est une banalité. Loin des magazines, des fascicules des tours opérateurs, ou encore ces «success stories» de jeunes entrepreneurs marocains relatées à la télévision de l’Etat, la réalité est amère.
Hakim a 17 ans à peine. Voilà bientôt deux ans qu’ il a quitté son domicile familial, où son père se droguait, à Safi (100 km au sud de Casablanca). Après avoir fait la plonge dans les cafés et restos de la ville, il se retrouve à la rue. «Les patrons ne veulent plus de moi, je suis trop jeune pour travailler, disent-ils. Ils craignent les contrôleurs de l’Etat. Alors je me débrouille autrement», raconte-t-il. En clair, il se prostitue. Sa clientèle : des étrangers. «Des vieux me proposent des passes pour 100 dirhams (1000 DA), parfois 500 dirhams (5000 DA). Cela me permet de louer une chambre dans un hôtel délabré et de manger à ma faim.» Pour Tewfik Lachkar, militant associatif, «le gouvernement a fait de la lutte contre la prostitution une priorité, ce qui, en soi, est bien mais il traite ces jeunes comme des renégats, presque des mécréants ! Alors qu’il devrait plutôt les prendre en charge en vue d’une réinsertion sociale, sensibiliser les parents et arrêter la tolérance envers les touristes étrangers qui abusent de nos filles et garçons», préconise le jeune militant. De l’autre côté de la ville, à Aïn Diab, quartier chic de Casablanca, on danse sur les derniers tubes de l’année et on fait son shopping dans de grands malls flambant neufs. «Les pauvres, on ne connaît pas», nous lance, provocateur, un jeune clubber. En 2012, Jaguar n’a jamais vendu autant de voitures au Maroc.
Où en est la révolution économique et sociale promise par le PJD ? Les Marocains se posent la question. «Au lieu de s’occuper de nos jeunes, de nos familles, ils s’attaquent à de soi-disant ‘‘lieux de débauche’’ et promettent une révolution morale !», s’offusque Jalil, père de cinq enfants et chômeur depuis trois ans, rencontré à Sbata, un quartier défavorisé de Casablanca. Ici, on a pourtant voté PJD lors des législatives. «Les jours qui ont précédé le vote, les gars du PJD nous rendaient visite et nous promettaient de régler nos problèmes, maintenant on ne les voit plus, bien au contraire, ils nous fuient comme la peste», s’indigne Ahmed El Marsi qui espérait au moins un travail décent pour l’un de ses six fils. Son voisin attend depuis des années un logement pour sa famille et il comptait beaucoup sur le PJD.
Emeutes
«J’ai rêvé de ce bel appartement que les militants locaux m’avaient promis, mais je ne vois rien venir», regrette-t-il. Face au mécontentement général, en juin 2012, Abdelilah Benkirane s’est adressé aux Marocains en direct sur les deux télévisions d’Etat, jusque-là privilège du roi. «Ces décisions sont dictées par une conjoncture internationale morose et un Etat fauché, n’arrivant pas à joindre les deux bouts», a-t-il déclaré dans un long discours en arabe dialectal. «Même si notre parti a eu les faveurs des électeurs, j’ai décidé de prendre des mesures impopulaires, même si elles sont sensibles politiquement», s’est-il aussi justifié. Les Marocains, eux, ont l’impression d’avoir été bernés. Fin décembre, des émeutes contre la cherté de l’électricité et de l’eau secouent Marrakech. Le carburant a lui aussi connu une augmentation de plus de 20%. Même chose à Marrakech, El Baida, Essaouira et d’autres grandes villes du royaume. Au premier semestre 2012, le ministère de l’Emploi a recensé 212 grèves dans presque tous les secteurs.
La santé a connu un mouvement de protestation sans précédent.
A l’origine de la protestation : une loi promulguée par le Parlement, interdisant aux praticiens de la santé publique d’exercer dans le secteur privé. «Je viens de déposer ma démission avec 26 autres cadres pour protester contre cette loi, explique un médecin spécialiste rencontré à l’hôpital Ibn Rochd de Casablanca. Le gouvernement devrait plutôt prendre en charge nos problèmes socioprofessionnels. Mais le gouvernement Benkirane s’échine à nous ignorer et veut entrer en confrontation avec notre corporation. Ce qu’ils savent bien faire depuis leur intronisation.» Selon les observateurs et la presse locale d’opposition, le gouvernement Benkirane s’est d’abord inscrit dans une logique de confrontation politique, histoire de régler ses comptes avec ses rivaux, ensuite avec les gouvernés, en prenant des décisions impopulaires. «Ce gouvernement consacre la déception et le désespoir, relève Mohamed Abyadh, secrétaire général de l’Union constitutionnelle, un parti d’opposition, vieux de trente ans.
Prostitution
«A terme, cette façon de gouverner mènera à l’explosion sociale.» Les villes et villages marocains, où règnent chômage et misère, renseignent sur cet état de désespoir. Aïcha vit dans un gourbi à la sortie sud de Casablanca, avec cinq enfants. «Je n’ai ni électricité, ni eau, ni gaz. Mes enfants sont au chômage et mon défunt mari ne m’a laissé aucune pension. Un de mes fils travaille comme manutentionnaire au marché de gros. Avec le peu d’argent que nous avons, nous avons acheté un âne et on a pu fabriquer une calèche pour le transport des marchandises», se plaint la vieille dame, le visage ridé. La journée, elle se rend au centre-ville pour mendier. «Je n’ai pas d’autre solution, mon fils ne gagne pas beaucoup, parfois 100 dirhams, parfois moins de 20 dirhams (200 DA, ndlr), confie-t-elle. Même pas de quoi acheter à manger, alors que ma fille est allongée dans son lit et a besoin de médicaments.» Comme elle, elles sont nombreuses dans les rues de Casablanca à passer la journée à harceler les passants. Entre les buildings et les grandes artères de la cité la plus moderne de l’Afrique du Nord, la mendicité est une banalité. Loin des magazines, des fascicules des tours opérateurs, ou encore ces «success stories» de jeunes entrepreneurs marocains relatées à la télévision de l’Etat, la réalité est amère.
Hakim a 17 ans à peine. Voilà bientôt deux ans qu’ il a quitté son domicile familial, où son père se droguait, à Safi (100 km au sud de Casablanca). Après avoir fait la plonge dans les cafés et restos de la ville, il se retrouve à la rue. «Les patrons ne veulent plus de moi, je suis trop jeune pour travailler, disent-ils. Ils craignent les contrôleurs de l’Etat. Alors je me débrouille autrement», raconte-t-il. En clair, il se prostitue. Sa clientèle : des étrangers. «Des vieux me proposent des passes pour 100 dirhams (1000 DA), parfois 500 dirhams (5000 DA). Cela me permet de louer une chambre dans un hôtel délabré et de manger à ma faim.» Pour Tewfik Lachkar, militant associatif, «le gouvernement a fait de la lutte contre la prostitution une priorité, ce qui, en soi, est bien mais il traite ces jeunes comme des renégats, presque des mécréants ! Alors qu’il devrait plutôt les prendre en charge en vue d’une réinsertion sociale, sensibiliser les parents et arrêter la tolérance envers les touristes étrangers qui abusent de nos filles et garçons», préconise le jeune militant. De l’autre côté de la ville, à Aïn Diab, quartier chic de Casablanca, on danse sur les derniers tubes de l’année et on fait son shopping dans de grands malls flambant neufs. «Les pauvres, on ne connaît pas», nous lance, provocateur, un jeune clubber. En 2012, Jaguar n’a jamais vendu autant de voitures au Maroc.
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