Les mauvais traitements persistent dans le cadre d’opérations le long de la frontière avec l’Espagne en dépit de certaines réformes entamées par Rabat
(Rabat, le 10 février 2014) –
Les forces de
sécurité marocaines soumettent régulièrement les migrants subsahariens
dans le nord-est du pays à des passages à tabac ou à d’autres mauvais
traitements, et parfois les volent, a indiqué Human Rights Watch dans un
rapport publié aujourd’hui. Ces exactions persistent malgré quelques
améliorations dans le traitement des migrants depuis que le gouvernement
a annoncé une nouvelle politique de migration et d'asile en septembre
2013. Depuis lors, la pratique d'expulser sommairement les migrants à la
frontière avec l'Algérie semble avoir cessé.
Selon le rapport de 79 pages, intitulé « Abused and Expelled: Ill-Treatment of Sub-Saharan African Migrants in Morocco »
(« Abus et expulsions : Les mauvais traitements infligés aux migrants
d’Afrique subsaharienne au Maroc »), ces exactions se sont produites
alors que les forces de sécurité appréhendaient les migrants
subsahariens qui avaient tenté en vain de rejoindre l'enclave espagnole
de Melilla, ou – avant septembre 2013 – alors qu’elles rassemblaient les
migrants sans un semblant de procédure régulière afin de les expulser
vers l’Algérie.
Cependant, les recherches menées à la fin janvier et début février 2014
à Oujda, Nador et Rabat indiquent que les forces de sécurité marocaines
font encore usage de la violence contre les migrants expulsés de
Melilla.
« Le Maroc devrait clairement indiquer à ses forces de sécurité que les migrants ont des droits », a déclaré Bill Frelick, directeur du programme Réfugiés à Human Rights Watch. « Le Maroc doit mettre un terme aux passages à tabac et autres mauvais traitements des migrants. »
Les forces de sécurité espagnoles font également un usage excessif de
la force lorsqu’elles expulsent sommairement les migrants de Melilla, a
constaté Human Rights Watch. L’Espagne
devrait cesser toutes les expulsions sommaires vers le Maroc à la
frontière de Melilla et suspendre les retours forcés vers le Maroc de
migrants arrivant à Melilla jusqu’à ce que le Maroc démontre qu'ils ne
sont plus en danger de passages à tabac et autres exactions à leur
retour et que leurs droits sont protégés.
La nouvelle politique de migration et d'asile au Maroc est basée sur
les recommandations du Conseil national des droits de l'homme (CNDH) et
approuvée par le roi Mohammed VI. Les réformes comprennent l'octroi de
la résidence légale aux migrants que le Haut Commissariat des Nations
Unies pour les réfugiés (HCR) a décidé de considérer comme réfugiés. Une
fois traités par le Bureau national pour les réfugiés et les apatrides
nouvellement réactivé, les réfugiés obtiennent des cartes de résident
qui leur donnent le droit de travailler et de bénéficier de certains
services sociaux.
Le Maroc a également mis en place une procédure de régularisation «
exceptionnelle » jusqu'en 2014 afin de permettre aux migrants sans
papiers qui répondent à certains critères de faire une demande pour un
statut de résident d'un an renouvelable. On ne sait pas combien des 25
000 migrants subsahariens estimés au Maroc répondront aux critères. Un
bref sondage informel a indiqué que peu de ceux qui vivent dans des
camps de fortune à Nador et Oujda seraient admissibles.
Le gouvernement a déclaré à Human Rights Watch qu'il est également en
train d'élaborer de nouvelles lois sur l'asile, la traite des êtres
humains et la migration.
Le rapport de Human Rights Watch s'appuie sur des entretiens menés
auprès de 67 migrants subsahariens à l’intérieur et aux environs des
villes d'Oujda et de Nador en novembre et décembre 2012. Human Rights
Watch a également interrogé des fonctionnaires, des agences
internationales et des organisations non gouvernementales et a inclus
dans le rapport les réponses du gouvernement à des questions écrites. En
janvier et février 2014, Human Rights Watch a interrogé 14 autres
migrants à Nador, Oujda et Rabat.
Les migrants d'Afrique subsaharienne quittent leur pays en raison de la
pauvreté ; de problèmes familiaux et sociaux ; de bouleversements
politiques et de la guerre civile ; et, dans certains cas, la crainte de
la persécution. Un grand nombre dans le nord-est du Maroc cherchent à
atteindre l’Europe. Un grand nombre de migrants interrogés pour ce
rapport vivaient dans des abris de fortune en dehors des grandes villes,
survivant avec de maigres ressources et dans la peur constante de
descentes policières.
En décembre 2011, selon les rapports d’organisations non
gouvernementales, les autorités marocaines ont intensifié la pratique de
descentes dans les camps de migrants non officiels situés dans les
zones forestières à proximité d’Oujda et de Nador. Les gendarmes et les
Forces auxiliaires marocaines ont détruit les abris des migrants et
parfois volé leurs objets de valeur au cours de ces descentes, ont
expliqué les migrants à Human Rights Watch. Les forces de sécurité ont
arrêté les migrants de sexe masculin, les ont transportés par autobus
jusqu’à la frontière algérienne et leur ont ordonné de continuer à pied,
en contournant les exigences administratives et judiciaires de
procédure régulière pour les déportations en vertu du droit
international et national.
« Nicolas », 39 ans, du Cameroun, a déclaré avoir été poussé vers l'Algérie alors que les forces de sécurité criaient « Yallah ! [Allons-y!]. » « Ils m’ont vraiment mal traité, ils m’ont donné tellement de coups de pieds que j’urine du sang à cause de ça », a-t-il affirmé. Les noms des migrants interrogés ont été modifiés pour assurer leur protection.
Les entretiens que Human Rights Watch a menés dans le nord-est du Maroc
en janvier 2014 auprès des migrants et des organisations non
gouvernementales travaillant sur place ont déclaré que les expulsions
sommaires à la frontière avec l'Algérie avaient cessé et que les
descentes de police chez les migrants vivant à l’intérieur et aux
environs d’Oujda avaient diminué depuis octobre 2013. Cependant, la
police fait encore des descentes dans la région de Nador. Les migrants
ont décrit des descentes qui ont eu lieu aussi récemment que le 29
janvier 2014 quand la police a détruit des campements de fortune de
migrants, et ont arrêté et battu les individus qui tentaient d'atteindre
Melilla. Les autorités qui ont rassemblé les migrants à Nador ces
derniers mois les ont transportés par autobus à Rabat et d'autres villes
côtières, plutôt qu’à la frontière algérienne, comme précédemment, ont
indiqué les migrants et les groupes non gouvernementaux à Human Rights
Watch.
En ce qui concerne les expulsions documentées dans le rapport, le
gouvernement marocain a déclaré à Human Rights Watch qu'il n'avait pas
expulsé les gens, mais plutôt effectué des retours à la frontière
« légitimes ». Cependant, la frontière algéro-marocaine reste
formellement fermée et les migrants ont confié à Human Rights Watch que
les agents de sécurité marocains les ont emmenés dans des endroits
isolés et ont fait usage de la force ou de menaces de la force pour les
contraindre à marcher vers l'Algérie.
Les migrants expulsés qui ont rencontré les forces de sécurité
algériennes ont été confrontés à d’autres exactions. Les migrants ont
affirmé que certaines autorités frontalières algériennes les ont obligés
à retourner au Maroc, parfois violemment, après leur avoir volé leurs
objets de valeur.
Chaque migrant expulsé interrogé qui avait réussi à revenir à Oujda ou
Nador a décrit des expulsions qui ont ignoré les exigences de base d'une
procédure régulière.
L'article 23 de la loi marocaine sur l'immigration prévoit le droit de
faire la demande d’un avocat ou d'un interprète avant expulsion.
L'article 22 de la Convention internationale sur la protection des
droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille,
à laquelle le Maroc est un État partie, prévoit une décision
d'expulsion par écrit et la possibilité de contester cette décision.
Tout en notant les caractéristiques positives de la nouvelle politique
de migration du Maroc, Human Rights Watch reste préoccupé par de
nouveaux rapports de violence policière contre des migrants près de la
frontière avec Melilla. Le gouvernement marocain devrait veiller, dans
le cadre de ses réformes, à ce que les forces de sécurité s'abstiennent
de recourir à la force excessive envers les migrants et respectent les
droits à une procédure régulière pour tous les migrants qu’ils
appréhendent.
Le gouvernement espagnol devrait arrêter de renvoyer sommairement vers
le Maroc les migrants qui atteignent Melilla. La loi espagnole exige que
les forces de sécurité et des frontières suivent les procédures
d'expulsion lorsqu’elles renvoient les migrants qui entrent illégalement
en Espagne.
Ces refoulements sont également contraires au droit
international et aux lois de l'Union européenne (UE), qui interdisent
aux pays de renvoyer de force une personne vers un endroit où elle
serait exposée à un risque réel d'être soumise à un traitement inhumain
et dégradant. Les autorités espagnoles devraient également assurer des
enquêtes diligentes sur les allégations de recours excessif à la force
par ses propres forces et faire pression sur le Maroc pour qu’il mette
fin à l'usage de la force injustifiée contre les migrants.
Human Rights Watch a examiné le traitement des migrants au Maroc par
rapport à l'objectif annoncé par l'UE de contrôler ses frontières grâce à
l'aide des pays tiers voisins de l’UE. Le Maroc et l'Union européenne
ont adopté une politique commune de prévention des migrations
clandestines vers l’UE, grâce à une coopération financière, par exemple.
Human Rights Watch a exhorté l'UE à veiller à ne pas fournir de soutien
aux programmes ni aux forces marocaines qui violent les droits des
migrants, tel que garanti par le droit international des droits humains.
« Le Maroc a apparemment cessé de refouler des migrants à la frontière algérienne, mais ce n'est pas suffisant », a conclu Bill Frelick. « Le
Maroc a besoin de procédures fermes pour s'assurer que les droits des
migrants à une procédure régulière soient respectés et pour leur
permettre de demander l'asile. »
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Informations supplémentaires tirées des entrevues de 2014
Deux chercheurs de Human Rights Watch ont mené des entretiens
individuels auprès de neuf migrants dans la forêt de Gourougou, près de
Nador, et cinq à Rabat. Toutes les personnes interrogées étaient des
hommes – dix originaires du Cameroun, deux du Mali et deux du Gabon. Les
noms des migrants ont été modifiés pour assurer leur protection. Lors
des entretiens avec Human Rights Watch à Nador, les 29 et 30 janvier, et
à Rabat le 3 février, les migrants ont déclaré que les forces de
sécurité font encore des descentes fréquentes dans les camps de
Gourougou, la montagne boisée à proximité de Nador, donnant sur Melilla,
au cours desquelles ils détruisent et brûlent les biens et les abris de
fortune des migrants.
Nador est un point de départ pour de nombreux migrants qui tentent de
rejoindre Melilla, soit par bateau gonflable ou en escaladant en grand
nombre les clôtures qui l’entourent, parfois plusieurs centaines de
migrants à la fois. Les migrants qui ont réussi à entrer à Melilla ont
déclaré que la Guardia Civil espagnole a sommairement renvoyé
la plupart d'entre eux et les a remis à la police des frontières
marocaines à la frontière. Ils ont affirmé que les autorités marocaines
battent fréquemment ceux qui traversent la frontière, y compris des
enfants, qui étaient sous leur garde effective et ne résistaient pas ni
ne tentaient de fuir.
A la frontière de Melilla
Human Rights Watch a interrogé cinq migrants à Rabat, qui ont
expliqué que lors d'une tentative d'escalade de la clôture du périmètre
de Melilla aux premières heures du 2 février, la Guardia Civil espagnole et les Forces auxiliaires marocaines ont fait usage d’une force excessive contre eux.
Joseph, 31 ans, originaire du Cameroun, qui boitait et avait un œil enflé, a déclaré :
Nous sommes allés vers la clôture pour entrer à Melilla et nous avons essayé d'y rentrer. Quelques-uns d'entre nous ont réussi à entrer à Melilla mais la Guardia Civil nous a arrêtés. Ils nous ont frappés avec des matraques. Ils nous ont frappés très fort pendant 5 à 10 minutes. Ils nous ont menottés [avec des liens en plastique], puis ils ont ouvert la porte de la clôture et nous ont remis aux Forces auxiliaires [marocaines].Les Forces auxiliaires nous ont frappés avec des bâtons. En nous frappant, ils nous ont également fouillés. Ils m’ont volé 250 dirhams [30 $ US] et mon téléphone portable. Ils nous ont fait allonger à plat ventre sur le sol, toujours menottés. Nous sommes restés sur le sol pendant une heure tandis qu'ils nous frappaient. Ils m'ont frappé à l'œil avec un bâton. Ils ne se sont arrêtés de nous frapper que lorsque d’autres officiers supérieurs sont venus.
Martin, 22 ans, originaire du Cameroun, a déclaré :
Nous sommes arrivés à la clôture et les sirènes se sont mises à hurler ... Je pouvais voir mes amis qui étaient à l'intérieur [de Melilla]. La Guardia Civil a frappé mes amis avec de gros bâtons. Non pas des matraques de police, mais des bâtons. Ils vous frappent jusqu'à ce que vous vous évanouissiez ... j’ai battu en retraite vers le côté marocain. Quand je suis redescendu, ils [les Forces auxiliaires marocaines] m'ont frappé. Ils m'ont menotté, puis m'ont fait m'allonger sur le sol, à plat ventre. Ils m'ont fouillé et ont volé mon argent, mon téléphone et même mes chaussures.
William, 24 ans, originaire du Cameroun, a déclaré :
Dans la nuit du 24 décembre [2013], nous étions 15 à avancer vers la clôture. Alors que nous arrivions près de la clôture, les Alit [Forces auxiliaires marocaines] nous ont vus et ont commencé à nous jeter des pierres et des bâtons dessus. Neuf membres des Alit nous ont attrapés, ils m'ont emmené dans un coin caché et m’ont frappé là ainsi que d'autres migrants pendant 30 à 40 minutes, puis ils nous ont emmenés au commissariat. J'ai pu aller à l'hôpital au lieu de ça. J’ai reçu des soins médicaux pour mes blessures et je suis revenu le lendemain à Gourougou, avec l'aide des ONG [organisations non gouvernementales].
Ahmed, 22 ans, originaire du Cameroun, faisait également partie de ce groupe :
Nous avons tous été interceptés et arrêtés à la première clôture. Mes pieds étaient en sang à cause des fils de fer barbelés et les Forces auxiliaires m'ont arrêté. Ils m’ont attaché les mains derrière le dos avec une corde et m’ont battu sur tout le corps avec des matraques. Certains d'entre eux ont sauté sur mon dos pour me forcer à me mettre à plat ventre. À huit heures du matin, ils nous ont conduits au poste de police de Nador. Ils ne nous ont pas demandé de présenter nos papiers. Ils nous ont demandé, comme toujours, nos noms et notre nationalité. Ils ont refusé de me conduire à l'hôpital même si je saignais. Dans la soirée, ils nous ont conduits dans un bus jusqu’à la gare routière de Rabat.
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