C'est un berger, un de ceux qui nomadisent encore, qui a trouvé des restes humains éparpillés sur le sable.
Par, Olivier Quarante, ,
le 17 /2/ 2014
Sahara occidental, correspondance. La
découverte en juin dernier de deux fosses communes replonge le Maroc
dans la période des années de plomb et des exécutions. Huit corps de
Sahraouis tués en février 1976 ont été identifiés par une équipe
espagnole.
Le Maroc a jusqu’à présent toujours refusé de reconnaître les
exécutions de civils sahraouis par son armée. La découverte tout à fait
inédite effectuée par une équipe scientifique de renommée internationale
marquera sans aucun doute une étape dans le combat mené par les
familles de « disparus » sahraouies pour connaître la vérité sur la mort
de leurs proches. Plus de 400 Sahraouis sont actuellement recensés
comme victimes d’une disparition forcée. Beaucoup d’autres sont portés
disparus par leur famille à la suite de bombardements de l’aviation
marocaine. L’exhumation de ces premiers huit corps ouvre donc un dossier
très sensible. Il a fallu qu’un berger, un de ceux qui nomadisent
encore, malgré les très nombreuses mines, dans ce que les Sahraouis
appellent les « territoires libérés », à l’est du Sahara occidental et
du mur construit par les Marocains, trouve des restes humains éparpillés
sur le sable, pour que l’équipe d’investigation et médico-légale de
l’université du Pays basque soit sollicitée par l’Association des
familles des prisonniers et disparus sahraouis.
Huit personnes, dont deux mineurs, ont été exécutées avec une arme à feu
Pour le Dr Carlos Martin Beristain, spécialiste de la mémoire
collective dans les sociétés en reconstruction, et son collègue
Francisco Etxeberria, spécialiste en médecine légale, qui a exhumé des
centaines de victimes du franquisme, l’occasion est à saisir.
L’existence de fosses communes dans cette zone d’Amgala est
régulièrement mentionnée par les familles. Carlos Martin Beristain en a
entendu parler au cours de son étude publiée en 2012 sur les violations
des droits de l’homme au Sahara occidental. Mais, jusque-là impossible
de lancer des recherches sur le terrain. La zone n’est pas facilement
accessible. Elle se trouve dans ce qui est appelé le berm, cette bande
de cinq kilomètres délimitée de part et d’autre du mur, interdite aux
forces armées. Surtout, les autorités sahraouies veulent être
particulièrement discrètes, de peur de voir les traces de ces exécutions
extrajudiciaires éliminées par leur ennemi, le Maroc. Après avoir passé
trois jours sur place, l’équipe est formelle : « l’analyse des preuves
des témoins, des documents trouvés et l’analyse médico-légale,
anthropologique et génétique sont en totale concordance avec les
résultats obtenus ». Pour elle, huit personnes, dont deux mineurs, ont
été exécutées avec une arme à feu. « Le fait de retrouver leurs
dépouilles sur place est symptomatique des exécutions
extrajudiciaires », explique Carlos Beristain. Pour Mohamed, le fils
d’une des personnes retrouvées dans ces fosses et qui vit depuis une
vingtaine d’années en France, cette découverte est la confirmation tant
attendue. « Très vite, après ce jour du 12 février 1976, le jeune qui a
été le seul à survivre aux exécutions commises par l’armée marocaine
était venu parler à mes grands-parents. Il avait raconté que mon père
était à genou et qu’un soldat marocain lui demandait : “Où sont les
militaires sahraouis ?” Mon père lui a répondu : “Dieu seul le sait.” Le
soldat a alors tiré sur lui avec plusieurs balles. Le jeune a entendu
ses cris. Par la suite, aucune recherche n’a pu être lancée. Tant que je
n’ai pas eu la preuve matérielle et les circonstances précises de sa
mort, je n’ai jamais pu faire mon deuil… »
Après 33 ans dans l'armée marocaine, M’barek Daoudi devient un militant pro-sahraoui
L’arrestation le 26 septembre dernier et la prochaine comparution
devant le tribunal militaire de Rabat de M’barek Daoudi, ex-militaire
des forces armées royales (FAR), semblent montrer une fébrilité du Maroc
sur ce dossier. Parti à la retraite en 2008, il est devenu alors un
militant pro-sahraoui très actif, sans faire mystère de ses trente-trois
années au service de l’armée marocaine et des exactions dont il dit
avoir été témoin. Rencontré en juillet 2013 et interviewé à nouveau
depuis la prison de Salé, où il est incarcéré, cet homme dit ainsi avoir
été présent ce jour du 12 février 1976 dans la zone d’Amgala, et avoir
été témoin de l’exécution, non pas de ce groupe de huit civils
retrouvés, mais de deux femmes, à 700 mètres de là. Ce secteur
géographique d’Amgala a été le théâtre de deux batailles entre les
armées marocaine et sahraouie, l’une entre le 27 et le 29 janvier,
l’autre le 14 février 1976.
Même si des manifestations populaires ont éclaté fin septembre dans
la région de Guelmim (d’où il est originaire) et d’Assa, impliquant
plusieurs tribus sahraouies, l’opportunité de son arrestation, sous des
chefs d’inculpation qui semblent fantasques, interroge quand on connaît
son activisme de ces dernières années. On peut noter aussi que, déjà le
19 août, deux de ses fils étaient arrêtés. Les mois suivants, deux
autres fils le seront à leur tour…
Il faut dire que les nombreux Sahraouis engagés au sein de l’armée
marocaine pourraient devenir des témoins très gênants pour le pouvoir
marocain. D’autant que des dizaines ou des centaines de fosses communes
renfermeraient toujours ces « disparus », à la fois sur le territoire
marocain, notamment autour de bagnes de la région de Ouarzazate (Agdz,
Kalaat M’gouna), mais aussi sur la partie du Sahara occidental occupée
par le Maroc et sur celle administrée par le Front Polisario, comme
l’atteste cette première découverte. Un chantier qui devrait, selon le
Dr Beristain, être de la responsabilité de la communauté internationale
et de l’ONU : « dans sa dernière résolution, entre autres, le Conseil de
sécurité a souligné l’importance d’améliorer la situation des droits de
l’homme des Sahraouis ». La disparition forcée est considérée comme une
violation de plusieurs droits humains.
Lire aussi :
- Reportage: Mensonges et répression au Sahara Occidental
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Et aussi :
- Le blog d'Olivier Quarante : Nouvelles du Sahara
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