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mercredi 19 février 2014

Sahara occidental. L’exhumation qui confronte le Maroc à ses responsabilités


C'est un berger, un de ceux qui nomadisent encore, qui a trouvé des restes humains éparpillés sur le sable.

Par, Olivier Quarante, le 17 /2/ 2014


Sahara occidental, correspondance. La découverte en juin dernier de deux fosses communes replonge le Maroc dans la période des années de plomb et des exécutions. Huit corps de Sahraouis tués en février 1976 ont été identifiés par une équipe espagnole. 

Le Maroc a jusqu’à présent toujours refusé de reconnaître les exécutions de civils sahraouis par son armée. La découverte tout à fait inédite effectuée par une équipe scientifique de renommée internationale marquera sans aucun doute une étape dans le combat mené par les familles de « disparus » sahraouies pour connaître la vérité sur la mort de leurs proches. Plus de 400 Sahraouis sont actuellement recensés comme victimes d’une disparition forcée. Beaucoup d’autres sont portés disparus par leur famille à la suite de bombardements de l’aviation marocaine. L’exhumation de ces premiers huit corps ouvre donc un dossier très sensible. Il a fallu qu’un berger, un de ceux qui nomadisent encore, malgré les très nombreuses mines, dans ce que les Sahraouis appellent les « territoires libérés », à l’est du Sahara occidental et du mur construit par les Marocains, trouve des restes humains éparpillés sur le sable, pour que l’équipe d’investigation et médico-légale de l’université du Pays basque soit sollicitée par l’Association des familles des prisonniers et disparus sahraouis.

Huit personnes, dont deux mineurs, ont été exécutées avec une arme à feu
Pour le Dr Carlos Martin Beristain, spécialiste de la mémoire collective dans les sociétés en reconstruction, et son collègue Francisco Etxeberria, spécialiste en médecine légale, qui a exhumé des centaines de victimes du franquisme, l’occasion est à saisir. L’existence de fosses communes dans cette zone d’Amgala est régulièrement mentionnée par les familles. Carlos Martin Beristain en a entendu parler au cours de son étude publiée en 2012 sur les violations des droits de l’homme au Sahara occidental. Mais, jusque-là impossible de lancer des recherches sur le terrain. La zone n’est pas facilement accessible. Elle se trouve dans ce qui est appelé le berm, cette bande de cinq kilomètres délimitée de part et d’autre du mur, interdite aux forces armées. Surtout, les autorités sahraouies veulent être particulièrement discrètes, de peur de voir les traces de ces exécutions extrajudiciaires éliminées par leur ennemi, le Maroc. Après avoir passé trois jours sur place, l’équipe est formelle : « l’analyse des preuves des témoins, des documents trouvés et l’analyse médico-légale, anthropologique et génétique sont en totale concordance avec les résultats obtenus ». Pour elle, huit personnes, dont deux mineurs, ont été exécutées avec une arme à feu. « Le fait de retrouver leurs dépouilles sur place est symptomatique des exécutions extrajudiciaires », explique Carlos Beristain. Pour Mohamed, le fils d’une des personnes retrouvées dans ces fosses et qui vit depuis une vingtaine d’années en France, cette découverte est la confirmation tant attendue. « Très vite, après ce jour du 12 février 1976, le jeune qui a été le seul à survivre aux exécutions commises par l’armée marocaine était venu parler à mes grands-parents. Il avait raconté que mon père était à genou et qu’un soldat marocain lui demandait : “Où sont les militaires sahraouis ?” Mon père lui a répondu : “Dieu seul le sait.” Le soldat a alors tiré sur lui avec plusieurs balles. Le jeune a entendu ses cris. Par la suite, aucune recherche n’a pu être lancée. Tant que je n’ai pas eu la preuve matérielle et les circonstances précises de sa mort, je n’ai jamais pu faire mon deuil… »

Après 33 ans dans l'armée marocaine, M’barek Daoudi devient un militant pro-sahraoui
L’arrestation le 26 septembre dernier et la prochaine comparution devant le tribunal militaire de Rabat de M’barek Daoudi, ex-militaire des forces armées royales (FAR), semblent montrer une fébrilité du Maroc sur ce dossier. Parti à la retraite en 2008, il est devenu alors un militant pro-sahraoui très actif, sans faire mystère de ses trente-trois années au service de l’armée marocaine et des exactions dont il dit avoir été témoin. Rencontré en juillet 2013 et interviewé à nouveau depuis la prison de Salé, où il est incarcéré, cet homme dit ainsi avoir été présent ce jour du 12 février 1976 dans la zone d’Amgala, et avoir été témoin de l’exécution, non pas de ce groupe de huit civils retrouvés, mais de deux femmes, à 700 mètres de là. Ce secteur géographique d’Amgala a été le théâtre de deux batailles entre les armées marocaine et sahraouie, l’une entre le 27 et le 29 janvier, l’autre le 14 février 1976.
Même si des manifestations populaires ont éclaté fin septembre dans la région de Guelmim (d’où il est originaire) et d’Assa, impliquant plusieurs tribus sahraouies, l’opportunité de son arrestation, sous des chefs d’inculpation qui semblent fantasques, interroge quand on connaît son activisme de ces dernières années. On peut noter aussi que, déjà le 19 août, deux de ses fils étaient arrêtés. Les mois suivants, deux autres fils le seront à leur tour…
Il faut dire que les nombreux Sahraouis engagés au sein de l’armée marocaine pourraient devenir des témoins très gênants pour le pouvoir marocain. D’autant que des dizaines ou des centaines de fosses communes renfermeraient toujours ces « disparus », à la fois sur le territoire marocain, notamment autour de bagnes de la région de Ouarzazate (Agdz, Kalaat M’gouna), mais aussi sur la partie du Sahara occidental occupée par le Maroc et sur celle administrée par le Front Polisario, comme l’atteste cette première découverte. Un chantier qui devrait, selon le Dr Beristain, être de la responsabilité de la communauté internationale et de l’ONU : « dans sa dernière résolution, entre autres, le Conseil de sécurité a souligné l’importance d’améliorer la situation des droits de l’homme des Sahraouis ». La disparition forcée est considérée comme une violation de plusieurs droits humains.
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