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Publié le 19/02/2014 | 11h00 |
Hicham RAFIH (AFP)
Le M20-F "a appris aux gens à descendre dans la rue et à discuter librement.©DR
Trois ans après la naissance du
20-Février, dans le contexte du Printemps arabe, les manifestations de
ce mouvement pro-réformes sont rares au Maroc, certaines de ses figures
oscillant entre amertume mais aussi fierté d'avoir fait "évoluer" les
mentalités.
Après plusieurs mois d'éclipse
médiatique, le 20-F, comme on l'appelle, a fini par refaire parler de
lui à l'approche de son anniversaire. Le 13 février, le rappeur du
mouvement, Mouad Belghawat dit Lhaqed ("le rancunier"), s'est vu
empêcher de présenter son nouvel album à la presse à Casablanca. "Les
autorités empêchent les artistes engagés de s'exprimer", a fustigé le
rappeur, sorti de prison en mars 2013 après une année de détention pour
"outrage" en raison d'un clip mettant en scène des policiers marocains.Dans son nouvel album, intitulé "walou" ("rien"), Lhaqed revient sur les récents développements politiques dans son pays et affirme que "rien" n'a changé, selon lui. "En ce qui concerne le pouvoir, il n'y a pas eu de changement du tout", dit-il à l'AFP, depuis son studio d'enregistrement. "Il y a toujours un lobbying qui contrôle tout, on n'a pas une justice indépendante, ni une presse indépendante, il y a encore de la corruption", assène le jeune homme. Selon lui, "le seul changement, c'est que les citoyens discutent aujourd'hui de sujets nouveaux".
Hamza Mahfoud, journaliste qui fut parmi les coordinateurs du 20-F à Casablanca, partage l'idée que quelque chose a, malgré tout, évolué au sein de la société. "Même si ça n'est pas suffisant, le mouvement a amené le pouvoir à changer de constitution", note-t-il. En réponse aux dizaines de milliers de manifestants à travers le pays, une réforme constitutionnelle a en effet été proposée dès mars 2011 par le roi Mohammed VI puis adoptée l'été suivant à une écrasante majorité.
Censée renforcer les pouvoirs du gouvernement, elle a surtout gravé dans le marbre toute une série d'avancées sociales, ainsi en matière d'égalité homme-femme, sur lesquelles s'appuie désormais la société civile.
Conscience en veille
"Plus important", le 20-F "a appris aux gens à descendre dans la rue et à discuter librement", estime Mahfoud. Ce jeune journaliste en veut pour preuve les manifestations ayant suivi la grâce royale accordée par erreur à un pédophile espagnol à l'été 2013. Lui-même fut parmi les "lanceurs d'alerte" du mouvement qui, en quelques jours, a amené le pouvoir à annuler sa décision.
"Il y a toujours cette conscience en veille et à chaque moment on peut voir émerger un mouvement", argue-t-il. Lundi dernier, un appel à manifester du mouvement n'a toutefois été suivi que par une quarantaine de personnes, à Rabat, selon un photographe de l'AFP. Signe de lassitude ? Déconnexion auprès d'une population estimant les revendications satisfaites ?
Ex-présidente de l'Association marocaine des droits humains (AMDH, indépendante), Khadija Ryadi pense que l'arrivée au pouvoir des islamistes du Parti justice et développement (PJD), début 2012, a contribué à couper l'herbe sous le pied des manifestants. "L'arrivée d'un nouveau parti qui n'avait jamais été au pouvoir a créé chez les Marocains, peut-être, un certain espoir de voir leurs revendications et leurs demandes exaucées" à terme, explique-t-elle.
A plusieurs reprises, le chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, s'est lui-même félicité du fait que le "20-Février ne descende plus", preuve des "réformes" en cours. "Il est devenu un peu difficile de descendre comme ça, avec les dispositifs policiers", rétorque Hamza Mahfoud. D'après un collectif d'ONG, plusieurs dizaines de militants du 20-Février sont derrière les barreaux. Les autorités réfutent toutefois qu'il s'agisse de "prisonniers politiques". Durant ses deux premières années d'existence, le 20-F a aussi échoué à faire la jonction avec des mouvements plus sociaux, comme celui des diplômés au chômage. Il s'est peu à peu essoufflé après le départ des cortèges, dans les manifestations, des islamistes de Justice et Bienfaisance, une importante mouvance interdite mais tolérée.
"Si c'était à refaire, je pense que nous éviterions toute une série d'erreurs", admet Qods Lafnatsa, une militante de Rabat. "Mais si c'était à refaire, nous sortirions de la même façon pour manifester massivement", ajoute-t-elle.
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