Immigration / Belgique / 50 ans de trahison...

Par Mohammed Belmaïzi, 18/2/2014
La Belgique commémore 50 ans de l'immigration marocaine. Un groupe d'individus qu'on voit de partout dans les officines festives, se pavanent au devant de la scène, en monopolisant la sacro-sainte représentativité de l'ensemble de l'immigration. Ces coqueluches des pouvoirs locaux et officiels de l’État sont l'arbre qui cachent la forêt, et qui rendent cette commémoration insipide, révélant une classification navrante au sein de l'immigration. Une classe noble car issue de l'immigration et une autre venue du bled, sans "référence généalogique", portant en elle le souffre de la contestation politiquement incorrecte. J'ignore si cette classification et cette révoltante fissure (qu'on avait déjà relevée chez les Juifs américains au début du siècle qui s'opposaient à l'immigration de leurs coreligionnaires venant des pays de l'Est) ont fait l'objet de recherches approfondies... au sein de l'immigration marocaine.

A cette occasion, le devoir de mémoire m'incite à exposer mon point de vue en tant qu'acteur connaissant cette immigration de l'intérieur :

Préambule 

La communauté marocaine de Belgique est déjà à sa quatrième génération ou même cinquième. Un demi-siècle d'existence, cette immigration ne cesse de façonner le paysage de notre société sur les plans économique et culturel. En dépit de résidus épars d'hostilité, de racisme, de xénophobie et de marginalisation poussant à la dérive une partie de jeunes, condamnés à l'enfermement identitaire et dépouillés de leur apport vivant et précieux, la communauté immigrée reste inscrite de plain-pied dans les chapitres de l'Histoire de la Belgique. Tôt ou tard - soyons optimistes - une complète et équitable intégration dans une mosaïque interculturelle, verra le jour.

Mais déjà nombre de cadres, issus de l'immigration marocaine, s'occupent dans divers secteurs. On les trouve financiers, avocats, médecins, pharmaciens, informaticiens, administrateurs au sein d'associations d'utilité publique, conseillers communaux ou de cabinets ministériels, journalistes de presse écrite et à l'écran télévisé, artistes, écrivains… et très récemment députés au parlement bruxellois et fédéral. Autant dire que la dynamique vers une authentique citoyenneté est tant bien que mal, en bonne voie. Ce qu'on appelle la « représentativité ethnique » est déjà bien là. Elle ne peut être que citoyenne...

La capacité d'intégration est bien possible au sein de la « société d'accueil ». Nul doute que les efforts d'ouverture de l'Etat de Droit à ses minorités, ne sont pas suffisants, et quelques aspects de l'intégration politique de notre communauté, restent problématiques et non examinés comme il se doit. Beaucoup de choses ont été dites à ce sujet. Et l'on sait que les joyeuses béances des partis politiques à la communauté marocaine ne vont pas sans arrière pensée de puiser dans le réservoir électoral de cette dernière. Ce qui n'est pas un mal en soi, mais nous manquons d'analyses systématiques de ce phénomène, pour séparer le bon grain de l'ivraie, apprécier ce qui relève de la sincérité ou de la manipulation, de la compétence de la personne cooptée, ou son total asservissement, de ses mesquins calculs personnels ou sa fausse compassion pour sa communauté.

L'intrigue 

Si la visibilité de cette communauté est un acquis sans précédent, elle expose la nouvelle élite au regard prompt au sarcasme ou au mépris de l'interrogation : on l'a vécu derrière le cas de Anissa Temsamani nommée secrétaire d’État et contrainte à la démission pour avoir menti sur ses diplômes ; le cas de Mostafa Ouezekhti qui, après avoir milité pendant douze ans à Ecolo passe au Parti réformateur libéral, un parti réputé pour ses positions anti-immigrés ; le cas également de la démission renversante d'Ecolo de Fatiha Saïdi, aujourd’hui sénatrice au sein du Parti socialiste ; le cas de Mohammed Boukourna socialiste devenu membre du CDH Centre Démocrate Humaniste, anciennement Parti social chrétien. Dès lors, déroute et confusion entre la part de sincérité envers la cause de l’immigration, et celle de l’intérêt personnel.

En effet, ce qui n'a pas été dit et analysé, est ce nouveau phénomène détecté – intuitivement et subjectivement ici, à travers les comportements cités plus haut – à l'intérieur de la communauté marocaine. Il s'agit de cette élite politique, récemment surgie avec tout un cortège de pratiques, le moins que l'on puisse dire, un peu étranges qui font penser aux mœurs du pays d’origine et aux ambitions dévoreuses dans le pays du Couchant. C'est un truisme que de voir des personnes, durant leur campagne électorale, pérenniser la tradition féodale, encore maintenue dans leur pays d'origine, de soudoyer, d'une manière un peu plus moderne, la population, pour leurs fins personnelles. Indécemment, certaines personnes font croire à la communauté, sans sourciller, qu'ils iront défendre résolument ses intérêts les plus pressants. Mais une fois élues, leur discours s’éloignent de l’intérêt des immigrés. Désormais, disent-elles, elles sont députées pour tous les belges et non pour une population déterminée, ce qui pourrait être judicieux s’il n’y avait pas une communauté lésée et stigmatisée qui les a d’ailleurs élues au suffrage universel !

Dans la foulée, l’intellectuel issu de l’immigration fait d’énormes concessions au pouvoir institué pour s’octroyer l’expertise sur cette dernière. C’est à lui que les médias font appel pour venir déverser sa litanie de connaisseur à propos de ce qui se trame au sein de l’immigration.

Cet intellectuel-là, avec certains élus, est souvent contacté par le pouvoir makhzanien du Maroc qui l’utilise à bon escient, en tant que lobby des causes bien connues : redorer le blason du régime despotique marocain ; plaider pour l’intégrité territoriale (on a vu le député Fouad Ahidar à côté de l'ambassadeur du Maroc, crier de tous ses poumons des slogans pour la "Sahara marocain") et surtout dominer l’espace de l’expression contre la véritable contestation.

Conclusion 

La célébration des 50 ans de l’immigration marocaine en Belgique a un gout bien amer. Et pour cause. L’immigration a été une succession de trahison.

Dès son départ du pays d’origine, elle fut une honteuse déportation. Le roi Hassan se débarrassait d’une population qui n’avait de cesse de le chahuter, et qu’il n’a cessé d’opprimer dans le sang (le Rif 1959).

Débarquée dans le pays d’accueil, elle a été laissé-pour-compte. Sans culture et sans droit à la citoyenneté. Hassan II refusait que ses Sujets votent et s’épanouissent… Alors que les enfants de l’immigration n’ont pu que végéter dans l’échec et la stigmatisation.

La trahison qui va suivre et clore cette succession, est celle de l’élite issue de l’immigration qui a abandonné sa communauté au ravage de l’islamisme, et de l’idéologie du refus de l’Occident à qui on oppose une identité offensive et des revendications théologiques qui la condamnent et la marginalisent davantage. N'est-elle pas aujourd'hui hors-citoyenneté?

 Il est à espérer que les Révolutions qui se déroulent en Orient et au Maghreb, contribueront à remettre l’immigration sur les rails d’une véritable citoyenneté fondée sur le socle des valeurs du pays d’accueil. Au centre de ces valeurs, la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Un État qui doit refuser la citoyenneté de seconde zone, et juguler résolument toute forme de racisme et de xénophobie.     


Mohammed Belmaïzi
18/02/2014