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jeudi 8 août 2013

La véritable histoire d’une grâce qui a failli provoquer une crise avec le Maroc

Par Ignacio Cembrero, El País, 6 /8/2013 23:58
Daniel Galván Viña, 63 ans, a été surpris quand, le mardi 30 juillet, le directeur de la prison de Kenitra (Maroc) lui a annoncé qu’il avait été gracié par le roi Mohamed VI et qu’il était désormais libre. C’est ce qu’il a dit, quelques heures après, à son avocat, Mohamed Benjedou. Mais ce lundi 5 août, la police espagnole l’a arrêté dans un petit hôtel de Murcie, après avoir reçu un mandat d’arrêt international du Maroc. Galván sera mis ce mardi à la disposition de l’Audience Nationale pour examiner l’éventualité de son extradition, mais les 29 autres prisonniers espagnols, graciés aussi par erreur, sont en liberté et ils ne passeront devant aucun juge, eux.
 Galván avait des raisons d’être étonné. Cela faisait moins de trois ans qu’il avait été condamné à 30 ans de prison par la cour d’appel de Kenitra, pour avoir abusé de 11 enfants, dont certains âgés de moins de trois ans, dans cette ville située à 40 kilomètres au nord de Rabat. C’était le verdict le plus sévère pour pédophilie dans l’histoire du Maroc. Le cas avait fait tant de bruit que la chaîne de télévision 2M lui avait consacré un long reportage.
Galván avait demandé à être transféré en Espagne pour y purger le reste de sa peine. « Les prisons espagnoles sont des hôtels cinq étoiles, comparées à celles du Maroc », disent d’anciens détenus ayant des expériences carcérales dans les deux pays. Tous les prisonniers espagnols au Maroc et marocains en Espagne, ont le droit de demander leur transfèrement dans leur pays d’origine, en vertu de la convention bilatérale d’entraide judiciaire et d’extradition signée en 1997. L’examen de chaque cas peut durer jusqu’à 18 mois.
 Mais le transfèrement en Espagne qu’avaient sollicités le pédophile et d’autres prisonniers espagnols s’est converti en grâce royale à l’occasion de la Fête du Trône, la plus importante des fêtes nationales au Maroc, qui commémore l’intronisation en 1999 de Mohammed VI.
Quelqu’un au sein du palais royal à Rabat a fusionné la liste des prisonniers espagnols qui avaient demandé le transfèrement avec celle de détenus pouvant bénéficier d’une grâce royale. Ce quelqu’un l’a fait, semble-t-il, avec l’intention de plaire au Roi d’Espagne, qui achevait sa visite à Rabat, déclenchant ainsi la plus grave crise interne au Maroc depuis l’avènement de Mohammed VI.
Le souverain a entrepris de la désamorcer en publiant des communiqués séparés, samedi et dimanche, affirmant dans le premier qu’il ignorait  » la gravité des crimes abjects » commis par Galván et annulant, dans le second, sa grâce. C’est la première fois dans l’histoire du Maroc qu’un Roi fournit des explications pour une décision controversée, et qu’il la corrige ensuite. L’énorme indignation de la société civile explique ce geste royal.
Le souverain a encore pris lundi une nouvelle initiative en limogeant Hafid Benhachem, directeur de l’Administration Pénitentiaire, qui relève administrativement du chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane. Benhachem aurait transmis des « informations erronées » au palais.
Plusieurs discussions avec des sources diplomatiques espagnoles et d’autres responsables proches du dossier permettent aujourd’hui de reconstituer le fil des évènements qui ont ébranlé la relation entre l’Espagne et le Maroc
Don Juan Carlos a achevé le 18 juillet sa visite de quatre jours au Maroc. Il avait demandé au chef du gouvernement, l’islamiste Abdelilah Benkirane, d’accélérer le transfèrement en Espagne d’un détenu à la prison de Tanger, le camionneur retraité Antonio García Vidriel, 58 ans, pour cause de maladie.
Deux jours après Fouad Ali el Himma, le conseiller royal considéré comme le vice-roi du Maroc, a appelé au téléphone l’ambassadeur d’Espagne à Rabat, Alberto Navarro. Il était fâché parce que Don Juan Carlos avait demandé à Benkirane le transfèrement du camionneur, au lieu de s’être adressé au Roi alaouite. Navarro lui a répondu que l’Administration Pénitentiaire était de la compétence du chef du gouvernement. « Sa Majesté peut aussi résoudre ces questions », a répliqué el Himma.
L’appel d’el Himma à l’ambassadeur illustre les efforts du palais royal d’écorner certaines des attributions que la nouvelle Constitution marocaine octroie au gouvernement que dirige Benkirane, qui est aussi leader du Parti de la Justice et du Développement (islamiste modéré).
Cette invitation du conseiller royal appelant l’ambassade à saisir Mohammed VI et non Benkirane ouvrait, aux yeux de la diplomatie espagnole, une occasion en or afin d’accélérer les transfèrements des prisonniers espagnols, qui tardent parfois jusqu’à deux ans. De petits trafiquants de drogue obtiennent leur transfèrement en Espagne quand ils ont presqu’achevé de purger leur courtes condamnations. Les Espagnols pensaient que la solution proposée par le conseiller allait considérablement raccourcir les délais.
En collaboration avec les sept consulats de l’Espagne au Maroc, qui suivent les dossiers des prisonniers, Navarro a établi une liste de 30 condamnés transférables dans les prisons espagnoles. Le nom de Galván Viñas figurait sur cette liste, en même temps que celui d’Antonio Garcia Ancio, fils du camionneur retraité, qui était condamné à 10 ans après avoir été pris à Tanger avec presque neuf tonnes de hachisch dans son véhicule.
L’Ambassade d’Espagne a envoyé, pour la première fois, deux listes de prisonniers au palais royal : celle des 30 prisonniers transférables aux prisons espagnoles – qui d’habitude est adressée à l’Administration Pénitentiaire-, et une autre comportant les noms de 18 autres détenus susceptibles d’être graciés. Pour être éligible dans cette dernière catégorie, le condamné ne peut être d’origine marocaine et doit avoir purgé une bonne partie de sa peine.
Au palais royal, quelqu’un a fusionné les deux listes en une seule. Les prisonniers transférables dans les prisons espagnoles ont disparu. Ainsi, il ne restait plus qu’une liste de prisonniers à grâcier et Galvan y était le dernier, le numéro 48, en dépit des 28 années qu’il devait encore purger. « Bien que cela ait été fait avec la meilleure intention du monde, nous nous sommes arrachés les cheveux quand nous avons vu qu’ils avaient libéré le pédophile et le camionneur pris avec neuf tonnes de hachisch », reconnaît un diplomate espagnol.
Les autorités marocaines ont pris conscience de la bévue le 1er août. À mesure que le scandale grossissait au Maroc, elles ont commencé à manœuvrer pour sortir de cette situation inconfortable. Les Espagnols ont aussi œuvré pour ne pas être éclaboussés par le scandale. Ils ont intoxiqué la presse, mentant même parfois pour se mettre à l’abri. Ainsi, le ministère des Affaires étrangères a nié vendredi à la presse toute implication dans l’élaboration de la liste des graciés, comme si l’ambassade avait agi sans consulter son gouvernement
Pour la partie marocaine, des canulars ont été montés de toutes pièces pour tenter de disculper Mohammed VI. L’une de ces versions, transmise à El Pais et à quelques médias marocains par des personnes proches du palais, disait que la grâce était le résultat d’un arrangement entre les services marocains (la DGED) et leurs homologues espagnols (CNI), et que le Roi n’avait plus qu’à entériner en raison des intérêts supérieurs de la nation.
Le ministre de la Justice marocain a appuyé cette hypothèse par la publication, vendredi, d’un communiqué niant sa responsabilité dans l’élaboration de la liste controversée mais donnant un certain crédit à l’hypothèse d’une transaction entre services d’espionnage. Le roi a accordé sa grâce pour des raisons d’ « intérêt national », selon le texte du communiqué.
Le deuxième communiqué du palais a été, en revanche, discuté entre les Marocains et les Espagnols pour que, implicitement, la révocation de la grâce ouvre la possibilité à ce que Galván puisse passer 28 ans derrière les barreaux en Espagne. L’ambassadeur Navarro a assuré le dimanche à El Pais que « cette perspective est désormais ouverte en application de la convention de collaboration pénale signée en 1997 entre Rabat et Madrid ». Les diplomates étaient contents. Ils avaient évité un nouveau conflit comme celui de l’îlot de Persil.
Lire l’article, en espagnol, sur elpais.com
Note de Panoramaroc (8/8/13) : L’ambassadeur d’Espagne a entre temps catégoriquement nié la conversation téléphonique avec Fouad Ali al Himma (voir démenti).

DanielGate. L'étrange «démenti marocain» de l'ambassadeur d'Espagne, Lakome maintient sa version des faits

par Lakome,9/8/2013


Le communiqué d'Alberto Navarro n'a pas été envoyé aux agences de presse étrangères ni aux médias espagnols, notamment à El Pais qui avait pourtant publié en Espagne les détails de cette conversation entre les deux hommes. Lakome maintient sa version des faits.
L'ambassadeur d'Espagne à Rabat, Alberto Navarro, a envoyé un communiqué à l'agence de presse officielle MAP, repris jeudi dans certains supports marocains et selon lequel «Il n'y a rien de vrai sur les informations concernant les supposées conversations téléphoniques avec le conseiller Royal, Fouad Ali El Himma».
Ce communiqué d'Alberto Navarro soulève plusieurs questions tant sur la forme que sur le fond, sachant que l'ambassadeur espagnol a pris soin de ne l'envoyer qu'à la MAP : ni les agences de presse étrangères ni aucun média espagnol ne l'ont reçu et/ou diffusé jusqu'à présent. Un démenti qui semble destiné uniquement à l'opinion publique marocaine.
Si Alberto Navarro affirme que sa conversation téléphonique avec El Himma, à l'origine du DanielGate, n'a pas eu lieu, il est en effet pour le moins étrange qu'il n'ait pas envoyé de démenti au premier quotidien de son pays, El Pais, qui a pourtant relaté les détails de sa conversation tenue avec le conseiller du roi.
Sur le fond, les termes du communiqué sont volontairement vagues («divers moyens de communication», «les supposées conversations téléphoniques»), alors que les informations relayées par El Pais et Lakome sont précises : il s'agit d'un seul coup de fil passé par Fouad Ali El Himma à Alberto Navarro le 20 juillet dernier.
Lakome maintient sa version des faits.

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