Fausse querelle autour d’une résidence et d’un DGST
Posted on février 27, 2014 by ibnkafka
Vous avez tous suivi l’incident soulevé par le Maroc suite à la
notification, à l’ambassadeur du Maroc en France, Chakib Benmoussa, dans
sa résidence, d’une convocation adressée par un juge d’instruction
français au directeur général de la DST marocaine, de passage en France,
Abdellatif Hammouchi. Ce dernier a fait l’objet d’une plainte pénale
pour torture, qui aurait été commise sur la personne d’un militant
séparatiste sahraoui, Nâama Asfari, conjoint d’une Française, plainte soutenue par l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT). A cette plainte initiale s’ajouterait trois autres, une émanant du boxeur franco-marocain Zakaria Moumni, torturé et emprisonné puis libéré, et deux de deux prisonniers de droit commun franco-marocains, Adil Lamtalsi, coondamné pour trafic de drogue
sur des aveux qu’il affirme lui avoir été extorqués sous la torture au
centre de la DST à Témara, près de Rabat et Mostafa Naïm.
On ne connaît pas tout les détails de cette démarche policière
française, mais même les autorités marocaines, qui ont réagi de manière
ferme, n’accusent pas l’équipe policière française – sept policiers –
d’avoir pénétré de force dans la résidence ou d’avoir exercé une
quelconque contrainte à l’encontre du personnel diplomatique marocain.
Il s’agit donc de notification par voie policière et non par voie
diplomatique – généralement par le biais des mal nommées notes verbales,
principal instrument de communication entre le ministère des affaires
étrangères du pays hôte et des missions diplomatiques accréditées sur
son territoire.
En l’occurrence, la personne notifiée, Abdellatif Hammouchi, n’est
pas un diplomate accrédité en France. Il est fort probable qu’il soit
doté d’un passeport de service voire même d’un passeport diplomatique
marocain, mais seule l’accréditation dans le pays hôte confère
l’immunité diplomatique – cf. la lecture combinée des articles 7 et 9 de
la Convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques:
Article 7
Sous réserve des dispositions des articles 5, 8, 9 et 11, l’État accréditant nomme à son choix les membres du personnel de la mission. En ce qui concerne les attachés militaires, navals ou de l’air, l’État accréditaire peut exiger que leurs noms lui soient soumis à l’avance aux fins d’approbation.
Article 9
1. L’État accréditaire peut, à tout moment et sans avoir à motiver sa décision, informer l’État accréditant que le chef ou tout autre membre du personnel diplomatique de la mission est persona non grata ou que tout autre membre du personnel de la mission n’est pas acceptable. L’État accréditant rappellera alors la personne en cause ou mettra fin à ses fonctions auprès de la mission, selon le cas. Une personne peut être déclarée non grata ou non acceptable avant d’arriver sur le territoire de l’État accréditaire.
2. Si l’État accréditant refuse d’exécuter, ou n’exécute pas dans un délai raisonnable, les obligations qui lui incombent aux termes du paragraphe 1 du présent article, l’État accréditaire peut refuser de reconnaître à la personne en cause la qualité de membre de la mission.
La notion d’agent diplomatique est définie en outre à l’article 1.e): "L’expression "agent diplomatique" s’entend du chef de la mission ou d’un membre du personnel diplomatique de la mission".
L’immunité pénale du personnel diplomatique – cf. l’article 31 ne
s’étend qu’aux agents diplomatiques ainsi définis – ne couvre donc pas,
en principe, les dignitaires officiels de passage dans le pays hôte –
exception faite de l’immunité pénale des chefs d’Etat et de gouvernement
ainsi que des ministres des affaires étrangères découlant de la coutume
internationale telle que reconnue par la Cour internationale de justice
dans l’affaire République démocratique du Congo c. Belgique ("Yerodia") (arrêt du 14 février 2002, point 51). Certes, il y a bien la Convention de 1969 sur les missions spéciales, mais elle n’a été ratifiée ni par la France ni par le Maroc -
mais les principes qu’elle dégage pourraient être admis comme ne
faisant que refléter la coutume internationale, et ils seraient alors
applicables par le juge français, comme l’indique un arrêt de la Cour de cassation du 9 avril 2008.
Mais cette interprétation est hasardeuse, et la doctrine ne semble pas l’approuver:
Si l’on veut formuler un jugement d’ensemble sur la Convention, on doit reconnaître qu’elle s’écarte beaucoup de la pratique. Comme nous l’avons déjà remarqué, il n’existe pas de règles coutumières en matière de missions spéciales, exception faite des missions présidées par un chef d’Etat, premier ministre ou ministre des Affaires étrangères. (Maria Rosaria Donnarumma, "La Convention sur les missions spéciales (8 décembre 1969)", Revue Belge du Droit International, 1972, p. 79)
It is generally agreed that clear and comprehensive rules of customary international law on the immunity of temporary missions are lacking. But, since such missions consist of agents of States received with the consent of the host State, they benefit from the privileges based on State immunity and the express or implied conditions of their invitation.
Therefore, States have accepted that special missions enjoy functional immunities, such as immunity for official acts
and inviolability for official documents. Usually, customs facilities are granted upon production of a diplomatic passport.
While the extent of privileges and immunities of special missions under customary international law remains unclear,
→ State practice suggests that it does not currently reach the level accorded to diplomatic agents. (Nadia Kalb, "Immunities, Special Missions", Max Planck Encyclopedia of International Law)
Le statut d’Abdellatif Hammouchi eu égard à l’immunité diplomatique
n’est donc pas absolument clair, même s’il semblerait qu’il puisse en
bénéficier car présent en France dans le cadre d’une mission officielle
sur invitation du gouvernement français (il accompagne le ministre
marocain de l’intérieur en visite officielle en France). Il est probable
que les autorités judiciaires et/ou policières françaises hésiteraient à
prendre des mesures contraignantes à son égard à cette occasion.
Rappelons qu’Abdellatif Hammouchi ne fait pour l’instant l’objet que
d’une convocation par le juge d’instruction, sans qu’on ne connaisse son
statut exact, témoin ou témoin assisté. Les dispositions du Code de
procédure pénale (CPP) français s’y appliquent. S’agissant de plaintes
pour faits de tortures et actes de barbarie, l’affaire concerne un crime
et l’instruction préparatoire par le juge d’instruction est obligatoire
(art. 79 du CPP). L’article 101 CPP traite des convocations du juge
d’instruction:
Le juge d’instruction fait citer devant lui, par un huissier ou par un agent de la force publique, toutes les personnes dont la déposition lui paraît utile. Une copie de cette citation leur est délivrée.
Les témoins peuvent aussi être convoqués par lettre simple, par lettre recommandée ou par la voie administrative ; ils peuvent en outre comparaître volontairement.
Lorsqu’il est cité ou convoqué, le témoin est avisé que, s’il ne comparaît pas ou s’il refuse de comparaître, il pourra y être contraint par la force publique en application des dispositions de l’article 109.
L’article 109 CPP dispose ce qui suit:
Toute personne citée pour être entendue comme témoin est tenue de comparaître, de prêter serment et de déposer sous réserve des dispositions des articles 226-13 et 226-14 du code pénal.
Tout journaliste, entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l’exercice de son activité, est libre de ne pas en révéler l’origine.
Si le témoin ne comparaît pas ou refuse de comparaître, le juge d’instruction peut, sur les réquisitions du procureur de la République, l’y contraindre par la force publique.
Les articles 226-13 et 226-14 du Code pénal (CP) régissent le secret
de l’instruction et ne sont pas directement pertinents à notre affaire.
Aucune disposition du CPP ne contient de dispositions spécifiques au cas
de la convocation de membres de missions spéciales étrangères de
passage en France. On peut donc conclure de ces dispositions qu’aucune
violation de la loi française ne semble entacher la simple convocation.
Tout au plus peut-on hasarder, eu égard au statut incertain d’Abdellatif
Hammouchi en matière d’immunité diplomatique (ou plutôt d’immunité
d’Etat), qu’une convocation du juge d’instruction français contenant la
menace d’une d’une convocation sous la contrainte de la force publique
pourrait éventuellement violer l’immunité éventuelle d’Abdellatif
Hammouchi (une hypothèse incertaine, je le rappelle). En l’absence d’une
publication de cette convocation, il n’est pas possible de se prononcer
là-dessus.
Seule la Convention d’entraide judiciaire franco-marocaine de 1957 pourrait changer ce constat. Son article 8 stipule ainsi:
Les commissions rogatoires en matière pénale, à exécuter sur le territoire de l’une des deux parties contractantes, seront transmises par la voie diplomatique et exécutée par les autorités judiciaires.
En cas d’urgence, elles pourront être adressées directement. Elles seront renvoyées, dans tous les cas, par la voie diplomatique.
Il est clair que cette disposition vise les commissions rogatoires en
matière pénale émise par un Etat – ici la France – et à exécuter sur le
territoire de l’autre Etat – ici le Maroc, pays de résidence
d’Abdellatif Hammouchi et dont il a la nationalité. Or la convocation a
été émise et notifiée à Abdellatif Hammouchi alors qu’il se trouvait en
France. Il ne semble pas que la Convention de 1957 vise un tel cas de
figure, sauf à considérer que puisque Hammouchi réside de manière
permanente au Maroc, une notification aurait dû lui parvenir par la voie
diplomatique au Maroc. Cette objection se heurte toutefois au fait que
la convocation a été notifiée à Hammouchi alors qu’il séjournait en
France, et qu’on voit mal comment la Convention de 1957, visant les cas
de commissions rogatoires internationales franco-marocaines, pourrait
empêcher l’application des dispositions du CPP français sur le
territoire français.
Mais dispositions juridiques mises à part, il est certain que la
convocation de Hammouchi, notifiée de manière cavalière eu égard à la
profondeur particulière et à la longévité des relations diplomatiques
franco-marocaines, ne pouvait qu’irriter la partie marocaine. Le juriste
ne perçoit pas de violation de la loi dans ce qui s’est passé, mais le
pouvoir marocain en a décidé autrement – et le citoyen marocain
s’étonnera sans doute que son Etat défende avec autant d’ardeur un
dignitaire visé par des plaintes de torture…
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