Plusieurs plaintes déposées à Paris contre un haut responsable marocain ont provoqué un sérieux coup de froid diplomatique entre les deux capitales. Non sans conséquences.
D'ordinaire bien cadrée, la relation diplomatique entre la
France et le Maroc, deux proches alliés, traverse une passe délicate.
Dernier épisode en date : le report de la visite à Rabat, prévue lundi
24 février et mardi, de Nicolas Hulot, envoyé spécial de François
Hollande pour la planète. Une décision qui s'explique par un contexte
particulièrement tendu ces derniers jours entre les deux pays. Retour
sur les origines de cette tension inédite.
1 Un haut gradé marocain accusé de tortures
Tout a commencé jeudi dernier par la visite à Paris du patron du contre-espionnage marocain, Abdellatif Hammouchi, qui accompagnait son collègue de l'Intérieur Mohamed Hassad pour un G4 avec ses homologues français, espagnol et portugais. L'ONG Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (Acat) a saisi l'opportunité de la présence en France de ce haut gradé, accusé de complicité de tortures au sein du centre de détention marocain de Temara, pour demander aux autorités françaises de l'entendre.
Une des plaintes auxquelles s'est associée ACAT, déposée
avec constitution de partie civile par Adil Lamtalsi, un
Franco-Marocain de 33 ans, a donné lieu à l'ouverture fin 2013 d'une
information judiciaire à Paris.
Adil Lamtalsi affirme avoir été arrêté en
octobre 2008 près de Tanger, puis torturé pendant trois jours à Temara
avant qu'on ne l'oblige, selon lui, à signer des aveux. Il a nié devant
le tribunal marocain les faits qui lui étaient reprochés mais a été
condamné selon l'ACAT en novembre 2008 à 10 ans de prison pour détention
et trafic de cannabis. Il a par la suite été transféré en France pour y
purger sa peine.
Ces accusations ont donc conduit jeudi dernier un juge
d'instruction parisien à demander la convocation de ce haut responsable
marocain lors de son passage en France.
2 Incident diplomatique
Sans passer par les canaux diplomatiques, sept
policiers français se sont alors rendus dans la foulée à la résidence de
l'ambassadeur du Maroc pour notifier à Abdellatif Hammouchi sa
convocation. A la suite de cet incident, le Maroc a vivement réagi et rejeté "catégoriquement" les accusations, déplorant un "incident rare et inédit".
Ainsi, l'ambassadeur de France à Rabat, Charles Fries, a été
convoqué vendredi soir pour se voir "signifier la protestation
vigoureuse du royaume du Maroc".
Paris a pour sa part déploré samedi un "incident
regrettable". "En réponse à la demande des autorités marocaines, nous
avons immédiatement demandé que toute la lumière soit faite, le plus
rapidement possible, sur cet incident regrettable, dans l'esprit de
l'amitié confiante qui lie la France et le Maroc", a indiqué dans un
communiqué le porte-parole du ministère, Romain Nadal.
L'ambassadeur du Maroc à Paris, Chakib Benmoussa, a été reçu
lundi au ministère des Affaires étrangères pour évoquer cette
question. "Nous espérons que le parquet ne sacrifiera pas la
nécessité de lutter contre la torture sur l'autel des bonnes relations
avec le Maroc", a déclaré pour sa part Me Joseph Breham, avocat des
plaignants.
3 Le Maroc, "une maîtresse"
Pour ne rien arranger au climat déjà crispé entre les deux
capitales, des propos rapportés par l'acteur espagnol Javier Bardem vont
remettre de l'huile sur le feu. Citant le comédien qui vient de
produire un documentaire sur le Sahara occidental, "Le Monde" a révèlé des propos particulièrement virulents qu'aurait tenu l'ambassadeur français à Washington :
Le Maroc est une "maîtresse avec laquelle on dort toutes les nuits, dont on n'est pas particulièrement amoureux mais qu'on doit défendre", aurait ainsi affirmé en 2011 ce haut diplomate, selon Javier Bardem, alors que Paris est un soutien traditionnel du royaume sur le dossier du Sahara.
Des déclarations prêtées à l'ambassadeur qui ont fait bondir
Rabat. Ce sont des "mots blessants, inadmissibles" et des "expressions
humiliantes", fustige le porte-parole du gouvernement marocain, qui
espère que Paris "saura réparer le mal causé par ces propos".
Le Quai d'Orsay a beau avoir catégoriquement démenti de tels propos de son représentant à Washington, le mal est fait.
4 Hulot pas le bienvenu au Maroc
Conséquence indirecte de ces bisbilles diplomatiques entre
Paris et Rabat, Nicolas Hulot, représentant spécial de François
Hollande, a été contraint d'annuler sa visite, prévue lundi et mardi au
Maroc.
"Dans le contexte actuel, les deux parties ont jugé préférable de reporter cette visite", a précisé une source officielle à Rabat.
Citant des "sources diplomatiques", l'agence MAP a toutefois affirmé que cette décision avait été prise par la seule partie marocaine.
"Ce report a été demandé par Rabat en attendant des éclaircissements"
sur les plaintes déposées à Paris contre le haut responsable marocain.
L'Université internationale de Rabat
(UIR), où Nicolas Hulot devait tenir une conférence lundi après-midi
sur le thème "La protection de la planète : un enjeu universel", a pour
sa part évoqué des questions d'"agenda" pour justifier son annulation.
G.S. - Avec AFP
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