Rappelant
la vaste mobilisation d'il y a trois ans au Maroc, des manifestations
ont eu lieu ces derniers jours dans les principales villes du pays.
Toujours mobilisés, les militants sont cependant désabusés. Leurs
principales revendications n'ont pas été satisfaites, certains membres
ont connu la prison et des partis politiques en ont profité pour placer
leurs pions.
Rabat, correspondance
Ils se souviennent tous de cette journée avec émotion. « J’étais avec Nizar Bennamate, un membre fondateur du mouvement. Nous étions les premiers à être arrivés à l’endroit du rassemblement à Bab El Had », dit Abdallah Aballagh, l’un des initiateurs du Mouvement des jeunes du 20-Février. « J’avais peur au début, peur que les gens ne viennent pas, poursuit-il. À 9 h 15, il y avait près de cent personnes. On a commencé à chanter et je ne sais pas comment, d’un coup, nous sommes devenus des milliers. Nous avons pleuré de joie parce que notre peuple ne nous a pas laissés seuls. »
Aujourd’hui, les militants de ce mouvement estiment que leurs revendications n’ont pas été satisfaites, malgré l’adoption il y a deux ans et demi d’une nouvelle constitution et les élections anticipées qui ont amené aux affaires un parti politiquement vierge, le Parti islamiste justice et développement (PJD).
La contestation persiste à travers le pays, mais avec une moindre intensité. Cette semaine, une quarantaine de villes ont célébré la « fête du peuple », le 3e anniversaire du mouvement. Les Marocains de l’étranger se sont mobilisés à Cologne, Lille, Paris et Bruxelles. Jeudi 20 février, plusieurs centaines de personnes se sont réunies devant le parlement à Rabat (voir vidéo ci-dessous). Dimanche après-midi, une marche a eu lieu de Bab El Had, point de départ habituel, jusqu’au parlement.
Trois ans après la première manifestation, Aballagh, étudiant et militant d’Attac Maroc, continue de revendiquer un changement qui tarde à venir. « La rue, c’est ma place, et je ne peux aider mon peuple qu’en étant dans l’opposition de la rue. Mes revendications n’ont pas changé. Pour moi, la plus importante, c’est une constitution démocratique qui instaure une réelle séparation des pouvoirs. »
Malgré son affaiblissement, ce mouvement semble toujours inquiéter les autorités. Déjà, le 13 février, la conférence de presse du rappeur et militant Lhaqed, qui sort un nouvel album, a été interdite. À Marrakech, un sit-in a été réprimé jeudi dernier. À Agadir, alors qu’ils appelaient à manifester ce dimanche pour la première fois depuis un an, des militants ont été arrêtés pendant qu’ils distribuaient des tracts samedi soir. Hier, les forces de l’ordre y ont fait usage de la force pour les disperser. À Taza et Sefrou, elles ont fait en sorte que les manifestants ne puissent pas se regrouper.
Le 20 février 2011, ils étaient des dizaines de milliers à Rabat à répondre à cet appel lancé sur Facebook et Youtube par un groupe de jeunes alors inconnus du public. Ils étaient une vingtaine au départ, des « indépendants », déçus des partis politiques, des membres de l’Association marocaine des droits humains (AMDH) et d’Attac Maroc, des proches des partis de la gauche radicale. Leurs principales revendications: une constitution démocratique et populaire, la dissolution du parlement, la démission du gouvernement, la libération de tous les prisonniers politiques, la reconnaissance de la langue Amazigh comme langue officielle.
Ils se souviennent tous de cette journée avec émotion. « J’étais avec Nizar Bennamate, un membre fondateur du mouvement. Nous étions les premiers à être arrivés à l’endroit du rassemblement à Bab El Had », dit Abdallah Aballagh, l’un des initiateurs du Mouvement des jeunes du 20-Février. « J’avais peur au début, peur que les gens ne viennent pas, poursuit-il. À 9 h 15, il y avait près de cent personnes. On a commencé à chanter et je ne sais pas comment, d’un coup, nous sommes devenus des milliers. Nous avons pleuré de joie parce que notre peuple ne nous a pas laissés seuls. »
Aujourd’hui, les militants de ce mouvement estiment que leurs revendications n’ont pas été satisfaites, malgré l’adoption il y a deux ans et demi d’une nouvelle constitution et les élections anticipées qui ont amené aux affaires un parti politiquement vierge, le Parti islamiste justice et développement (PJD).
La contestation persiste à travers le pays, mais avec une moindre intensité. Cette semaine, une quarantaine de villes ont célébré la « fête du peuple », le 3e anniversaire du mouvement. Les Marocains de l’étranger se sont mobilisés à Cologne, Lille, Paris et Bruxelles. Jeudi 20 février, plusieurs centaines de personnes se sont réunies devant le parlement à Rabat (voir vidéo ci-dessous). Dimanche après-midi, une marche a eu lieu de Bab El Had, point de départ habituel, jusqu’au parlement.
Trois ans après la première manifestation, Aballagh, étudiant et militant d’Attac Maroc, continue de revendiquer un changement qui tarde à venir. « La rue, c’est ma place, et je ne peux aider mon peuple qu’en étant dans l’opposition de la rue. Mes revendications n’ont pas changé. Pour moi, la plus importante, c’est une constitution démocratique qui instaure une réelle séparation des pouvoirs. »
Malgré son affaiblissement, ce mouvement semble toujours inquiéter les autorités. Déjà, le 13 février, la conférence de presse du rappeur et militant Lhaqed, qui sort un nouvel album, a été interdite. À Marrakech, un sit-in a été réprimé jeudi dernier. À Agadir, alors qu’ils appelaient à manifester ce dimanche pour la première fois depuis un an, des militants ont été arrêtés pendant qu’ils distribuaient des tracts samedi soir. Hier, les forces de l’ordre y ont fait usage de la force pour les disperser. À Taza et Sefrou, elles ont fait en sorte que les manifestants ne puissent pas se regrouper.
Le 20 février 2011, ils étaient des dizaines de milliers à Rabat à répondre à cet appel lancé sur Facebook et Youtube par un groupe de jeunes alors inconnus du public. Ils étaient une vingtaine au départ, des « indépendants », déçus des partis politiques, des membres de l’Association marocaine des droits humains (AMDH) et d’Attac Maroc, des proches des partis de la gauche radicale. Leurs principales revendications: une constitution démocratique et populaire, la dissolution du parlement, la démission du gouvernement, la libération de tous les prisonniers politiques, la reconnaissance de la langue Amazigh comme langue officielle.
Abadallah Aballagh en février 2011 © DR
« Liberté, dignité, justice sociale », « À bas le despotisme », « À bas la corruption », scandaient les manifestants. Malgré les pressions, la propagande – on les accuse alors d’être « homosexuels », « impies », « membres du front Polisario » –
ainsi que les rumeurs d’annulation de la journée de mobilisation, les
Jeunes du 20-Février ont réussi l’impensable : réunir des manifestants
aux origines sociales et aux engagements divers autour des mêmes
revendications, et surtout instaurer un réel rapport de force avec le
palais royal.Le 9 mars 2011, moins de trois semaines après le déclenchement de cette vague de protestations sans précédent, le roi Mohammed VI annonce une révision de la constitution dans un discours qualifié d’historique. Le mois suivant, 190 détenus politiques sont libérés. Une réponse politique habile qui permet à l’opinion publique de croire que les manifestants ont été écoutés. Mais le mouvement boycotte la commission de révision de la constitution, dont les membres ont été désignés unilatéralement par le roi, et la contestation s’intensifie à travers le pays jusqu’à la fin avril. Le dimanche 24 avril, plus d’une centaine de villes se mobilisent.
Pendant plusieurs semaines, le mouvement a monopolisé l’actualité politique. Dans le même temps, à travers la répression et les réformes annoncées, le pouvoir a stoppé net l’espoir d’un réel élargissement du mouvement. Le 1er juillet, la nouvelle constitution, véritable plébiscite pour la monarchie, est approuvée par plus de 98 % des votants. En novembre, des élections anticipées sont remportées par le Parti islamiste justice et développement (PJD), qui s’est approprié les revendications du mouvement. Il avait axé sa campagne sur la lutte contre la corruption, l’une de ses revendications principales.
Au fil des mois, l’actualité du mouvement est progressivement devenue essentiellement celle de la détention politique. D’après l’AMDH, au moins 2 000 personnes ont été arrêtées depuis le début de la contestation. Plusieurs dizaines sont actuellement incarcérées, officiellement pour des délits de droit commun.
Divisions
Sans cesse déclaré mort depuis deux ans, le mouvement s’est pourtant maintenu. Une victoire en soi, pour les initiateurs. Le rythme des manifestations a ralenti mais elles n’ont jamais cessé. Les cortèges sont plus clairsemés. Certains ne voient plus l’intérêt de manifester, face à un pouvoir qui a, d’après eux, gagné la partie. Mais ce n’est que partie remise, « en attendant » une conjoncture plus favorable.Cette semaine, de nombreux militants ont néanmoins repris le flambeau pour se retrouver, « se rappeler les bons souvenirs » et réaffirmer leurs revendications.
Appareil photo à la main, Adil Yousfi, un membre actif de l’AMDH, immortalise chaque événement depuis le début de la contestation. « Bien sûr que oui, je sors manifester ! Je sors parce qu’aucun des objectifs du mouvement n’a été réalisé. Je sors contre la corruption, la dictature, et pour le pouvoir au peuple. »
C’est paradoxalement ce même constat d’échec qui pousse un cercle de manifestants à continuer à croire qu’un réel changement ne peut provenir que de la rue marocaine.
Pour Youness, de la coordination casablancaise, manifester demeure une évidence, surtout ce dimanche, où il ira exprimer sa « colère ». « Je suis févriériste ! Je sors manifester parce que je pense que la rue est le seul moyen de changer les choses au Maroc parce que les autres moyens, le parlement, les associations, les partis, sont inutiles, ils sont récupérés par le régime. Rien n'a changé dans le pays, la corruption et le despotisme existent encore, les élections ne servent à rien. »
En dehors de la rue, les militants ne se réunissent quasiment plus. Les débats politiques qui ont animé l’année 2011 n’ont plus lieu. La coordination de Casablanca, l’une des plus actives, a été désertée par la plupart, lassés des conflits internes. Plus rien ne s’y décide, mis à part certaines questions logistiques comme l’endroit ou le trajet des rassemblements. À Rabat, les militants continuent de se rencontrer mais ils sont peu nombreux, parfois seulement une vingtaine.
Les soutiens au mouvement aussi se sont effrités. Au printemps 2011, près d’une centaine d’organisations l’appuyaient officiellement, dont trois partis politiques à l’extrême gauche de l’échiquier politique marocain : le Parti de l’avant-garde démocratique et socialiste (PADS), le Parti socialiste unifié (PSU), Annahj Addimocrati. Avec l’AMDH, Attac Maroc, ainsi que les syndicats de l’UMT et la CDT, ils ont fourni une aide logistique aux militants, les laissant par exemple utiliser leurs sièges.
Depuis, une bonne partie ont fait marche arrière. D’après les militants, seuls l’AMDH, Attac Maroc, Annahj Addimocrati, et certains courants au sein des syndicats, sont encore présents. L’association islamiste Al Adl Wal Ihsane s’est retirée dès la fin 2011, après la victoire du PJD aux législatives.
Hassan Akrouid, membre fondateur du mouvement, assidu des assemblées générales, a perdu son enthousiasme. « Je manifeste mais c’est devenu une routine. Le mouvement sans réel soutien populaire, ça na pas de sens. » Selon lui, le Maroc continue d’être « une dictature » et le pouvoir a « contourné les revendications du mouvement ». Mais il s’explique cette absence de dynamique de changement aussi par les contradictions politiques et idéologiques au sein du mouvement, par une division de la gauche, affaiblie, et par l’absence de soutien des syndicats.
La structure du mouvement, ouvert à tous, sans leader ni mécanisme de décision, a rapidement laissé apparaître de profondes divisions. De l’aveu même de ses initiateurs, il s’est profondément transformé en s’élargissant. Quelques membres fondateurs, qui ont du mal à se reconnaître dans ce qu’il est devenu, partent et reviennent au gré des événements.
Dès le départ, des discussions animées ont opposé partisans de la gauche et de l’association islamiste Al Adl Wal Ihsane au sujet de la liberté de croyance, de l’égalité entre les hommes et les femmes. « Il y avait des clashs à un moment à propos de l'égalité hommes-femmes, raconte Tahani Brahma, étudiante et membre de l’AMDH. Les adlistes ne voulaient pas scander des slogans pour l'égalité entre hommes et femmes, mais nous, on descendait avec ! »
Récupérations
L’histoire du mouvement, c’est aussi une série de récupérations politiques. Après le succès de la première journée de manifestation nationale en février 2011, des jeunes de toutes tendances politiques ont afflué vers les coordinations locales du mouvement.Des oppositions se sont ensuite déclarées au sujet de la plateforme de revendications, basée sur les discussions des internautes sur Facebook, et publiée dès le 15 février 2011. Très rapidement, un nouvel objectif a émergé, déjà discuté auparavant sur les groupes Facebook : la monarchie parlementaire. Il ne figurait pas parmi les revendications officielles du mouvement. Ses défenseurs affirment qu’il fallait définir le rôle de la monarchie.
Mais ceux qui ont rédigé la plateforme considèrent que ce débat, qui, pour eux, ne concernait pas le mouvement, a été « imposé » par les jeunes issus des partis politiques de gauche tels que le PSU, le PADS et l’USFP.
« Nous avons analysé les revendications et rédigé la plateforme qui a déplu à beaucoup de partis politiques qui ont voulu nous instrumentaliser et ont voulu la changer, se souvient Aballagh. Nous ne voulions pas définir de projet politique. C’était le rôle de l’intelligentsia politique. Nous étions un mouvement qui devait faire pression sur le système. Nous réclamions une constitution qui donne la souveraineté au peuple : une constitution démocratique. Les nouveaux arrivants ont été envoyés par leur parti politique afin d'essayer d’imposer au mouvement le point de vue de leur parti. Tous ceux-là étaient d’accord sur le titre de "monarchie parlementaire", même s'ils n’étaient toutefois pas d’accord entre eux sur ce que ça représentait vraiment. »
Le rôle des médias pour mettre en avant cette revendication de monarchie parlementaire a été prépondérant, soulignent plusieurs militants, « pour qu’on paraisse comme une minorité radicale contre le roi ». Akrouid, qui a aussi participé aux négociations lors de la rédaction des revendications, accuse : « Les partis réformistes et les médias, ce sont eux qui ont mis une ligne rouge pour ne pas demander plus dans une période où la conjoncture était favorable. »
Alors même qu'il fustigeait le Mouvement 20-Février, le PJD est, selon de nombreux observateurs, le parti qui a tiré le meilleur profit de la vague de protestation, son secrétaire général, Abdelilah Benkirane, devenant même, plus tard, le chef du gouvernement marocain. Si le parti n’était pas officiellement présent lors des manifestations, le mouvement Baraka, issu de la jeunesse du PJD, y a participé très tôt, avec des slogans ayant comme principale cible le Parti authenticité et modernité (PAM), son adversaire politique.
« Ils ont changé les objectifs du mouvement. On s’est mis à parler du PAM comme du diable mais le PJD aussi est le diable, affirme Aballagh. Nous somme sortis pour nous opposer à la corruption d’où qu’elle vienne. On voulait une séparation des pouvoirs et que les corrompus soient jugés, que ce soit un voleur avec une barbe ou un short. La guerre dans laquelle le PJD nous a fait entrer contre le PAM, c’était une guerre dont il allait tirer profit. »
La protestation initiée voilà trois ans a néanmoins donné un souffle nouveau à la lutte des diplômés chômeurs et aux mouvements estudiantins. Elle a inspiré de nombreux mouvements sociaux à Taza, Marrakech, Beni Bouayach, entre autres, où les manifestants scandent les mêmes slogans.
« Le 20 février est venu pour remuer la rue et le peuple pour qu’il acquière une conscience politique et sociale, lance Akrouid. Ça, le mouvement l’a fait bien mieux que les partis politiques ! »
Militant du mouvement de la première heure, Nabil Belkbir est impliqué dans un nouveau projet, l’Union des étudiants pour le changement du système éducatif (UECSE), créée en 2012 et présente dans de nombreuses villes comme Tanger ou Fès. « J’ai découvert le militantisme avec le Mouvement 20-Février et c’est ça qui a fait que je suis avec l’UECSE. Maintenant, on est habitués à avoir la parole. L’UECSE est une continuité du Mouvement 20-Février, des luttes de l’UNEM. Beaucoup d’étudiants ont appris le militantisme avec le Mouvement 20-Février puis nous ont rejoints, explique Belkbir. Le Mouvement du 20-février m’a ouvert les yeux sur l’importance de la lutte pour la démocratie, de la participation active qu’il nous faut avoir dans la vie politique du pays. Il a permis de consolider un réseau de jeunes activistes partout au Maroc. »
Quels sont donc, aujourd’hui, les acquis du Mouvement 20-Février ?
« C’est que nous avons initié un mouvement, répond Aballagh. Le Mouvement 20-Février a réveillé le peuple, il a donné le droit au peuple de rêver ! En même temps, il a secoué le Makhzen et lui a dit : "La situation d’avant le 20 février, on ne l’accepte plus." Le Mouvement 20-Février, c’est le moment où le peuple a commencé à bouger, même doucement. »
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