Le magazine promotionnel de l'AlgérieN° 70 - Jan 2014 |
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Par Brahim Mokhar, ministre de la Coopération sahraoui, à El-Djazaïr.com
Entretien réalisé dans les camps de réfugiés sahraouis de Tindouf par: Meriem Ali MARINA
El
Djazaïr.com : Le six novembre signifie le début d’une invasion
marocaine des territoires du Sahara occidental. Trente-huit ans après,
quelle est la situation actuelle du peuple sahraoui et de la question
sahraouie d’une manière générale ?
Brahim Mokhar :
Sans nul doute. Le six novembre rappelle le début du mal du peuple
sahraoui au lendemain de la marche verte ordonnée par Hassan II, alors
roi du Maroc, un assoiffé du pouvoir et d’expansionnisme et après que
l’Espagne eut trahi, vendu les Sahraouis au Maroc et la Mauritanie. Et
là, un petit rappel historique s’impose. Le peuple sahraoui a cette date
en mémoire car ce fut également le transfert d’un colonialisme européen
vers un colonialisme arabo-musulman africain. Dès lors, nous n’avons
cessé de défendre notre droit à la décolonisation. La lutte de tous les
Sahraouis a contraint la Mauritanie à signer avec le Front Polisario un
accord de paix le 5 août 1979 à Alger. Cette lutte est par la suite
dirigée vers le Maroc colonialiste que nous avons battu. La guerre entre
les deux parties aura duré seize ans. En 1991, l’ONU, qui croyait que
le moment pour la paix était venu, nous a sommés à un cessez-le feu.
L’ONU croyait aussi qu’une solution pacifique serait trouvée à travers
un référendum juste, équitable et transparent.
El
Djazaïr.com : Mais depuis cette date, rien de concret ni de palpable.
Sur le terrain, la Minurso est un mécanisme onusien qui n’arrive
toujours pas à organiser ce référendum, ni encore moins protéger les
populations des territoires occupés….
Brahim Mokhar :
Exact. Nul besoin de rappeler que l’objectif principal et pour lequel
la Minurso a été créée est celui, comme son nom l’indique,
l’organisation d’un référendum au Sahara occidental et rien d’autre car
l’ONU croyait pouvoir organiser ce référendum en février 1992.
Malheureusement, la faiblesse des Nations unies, le manque d’intérêts
vis-à-vis des souffrances des Sahraouis par les grandes nations mais
surtout les manœuvres marocaines ont fait que la tenue de ce référendum
soit retardée. Il y a eu un processus de négociations entamé depuis dix
ans déjà mais qui n’a pas abouti non plus. Aujourd’hui, le processus des
négociations est quasiment bloqué pour cause de l’intransigeance du
Maroc. Lequel Maroc soutenu par une France qui fait tout pour que son
enfant gâté sorte gagnant de cette entreprise coloniale. C’est la France
qui a bloqué toutes les résolutions qui devaient faire obliger le Maroc
à accepter et à mettre en œuvre les résolutions du Conseil de sécurité.
C’est
aussi la France qui a bloqué en avril dernier une résolution du même
Conseil de sécurité portant sur la création au sein de la Minurso d’un
mécanisme de protection des droits de l’Homme dans les territoires
occupés. Autrement dit : le combat des Sahraouis n’est pas seulement
contre l’occupant direct qui est le Maroc mais aussi son allié, la
France et surtout contre ce mutisme de l’Espagne officielle.
El Djazaïr.com : Selon vous, pourquoi la France agit-elle de la sorte ?
Brahim Mokhar : Il existe un jeu malsain d’intérêts entre les deux pays. Ce n’est un secret pour personne.
El
Djazaïr.com : Vous avez récemment affirmé que le processus de
négociation est bloqué. Doit-on s’attendre à ne plus voir le Polisario
assis autour d’une même table avec le Maroc, du moins pour le moment ?
Brahim
Mokhar : La récente résolution 20/99 du Conseil de sécurité de l’ONU
avait demandé à Christopher Ross d’entreprendre encore une fois des
efforts pour la mise en œuvre des résolutions onusiennes pour un
référendum au Sahara occidental. Cependant, depuis avril 2013, on n’a
constaté aucune évolution. Et tout dépend de ce que pourra apporter la
visite de l’envoyé personnel du Secrétaire général de l’ONU pour le
Sahara occidental pour décider de la suite à donner à notre lutte pour
le recouvrement de l’indépendance nationale. Mais d’ici là, nous pouvons
affirmer une fois de plus que les populations sahraouies sont
frustrées. La direction du Polisario subit d’énormes pressions de la
part de sa base qui tient à mettre un terme à une occupation illégale de
ses terres et aussi à notre collaboration avec l’ONU. Notre jeunesse,
particulièrement, pense que les Nations unies n’ont pas les capacités de
résoudre le problème. Notre jeunesse estime aussi que le moment est
venu pour une deuxième lutte pour la libération du Sahara occidental.
El Djazaïr.com : Peut-on comprendre par là que la reprise des armes n’est pas exclue ?
Brahim Mokhar :
Tout dépend des Nations unies. Si l’ONU nous envoie des signes positifs
qu’elle est en mesure de mettre en application ses propres résolutions,
nous sommes toujours pour une solution pacifique permettant, sans
condition aucune, au peuple sahraoui de s’autodéterminer à travers un
référendum libre et juste supervisé par les Nations unies et l’Union
africaine. Dans le cas contraire, tous les Sahraouis, à leur tête le
Front Polisario, ne resteront pas les bras croisés. L’indépendance
nationale est notre seul objectif. Pour y parvenir, nous userons de tous
les moyens possibles, y compris le recours une deuxième fois à la lutte
armée. Notre patience a atteint son summum. Vingt-deux ans après un
cessez-le-feu qui n’a rien apporté de plus que les souffrances, nous
estimons légitime de reprendre le chemin des armes. Nous sommes à la
limite. Aucun peuple vivant dans les conditions aussi difficiles que les
Sahraouis n’aura attendu toute cette période. Un cessez-le-feu plus
long qu’une guerre (1976-1991), c’est du jamais-vu.
El
Djazaïr.com : Un blocus médiatique est imposé sur les territoires
occupés et les Sahraouis sont soumis quotidiennement à toutes sortes
d’intimidations et à toutes formes de violences. Selon les rapports qui
vous parviennent, peut-on avoir un aperçu de la situation des droits de
l’Homme de l’autre côté du mur ?
Brahim Mokhar :
La situation s’est beaucoup détériorée au cours de l’année 2013 et ce
n’est pas nous qui le disons. Des rapports de différentes ONG, rendus
publics, l’attestent bel et bien. Le Maroc renforce sa présence avec
plus d’éléments de la police et de militaires. Plus de place dans les
prisons. Les militants de la cause sahraouie, qu’ils soient femmes,
hommes ou enfants, y sont jetés quotidiennement. C’est une situation
purement coloniale d’un Maroc qui est en train de compter ses derniers
instants d’occupation, car aucune pratique inhumaine n’a dissuadé les
Sahraouis de dénoncer cette présence coloniale. Bien au contraire, à
chaque fois que les violations multiples des droits humains
s’amplifient, la résistance est redoublée. Le message est clair : le
Sahara occidental n’est et ne sera jamais marocain. Inéluctablement, tôt
ou tard, le Maroc s’assoira malgré lui à la table des négociations sous
la pression de ce qui se passe justement dans les territoires occupés.
El
Djazaïr.com : On ne peut évoquer les violations des droits humains dans
les territoires occupés, sans revenir trois ans en arrière et rappeler
ce qui s’est passé un certains 8 novembre 2010 non loin de la capitale
El-Ayoun occupée, à Gdeim Izik. Certains des animateurs avaient été
condamnés à de lourdes peines par des tribunaux militaires ; des
informations concernant les disparus ?
Brahim Mokhar :
Difficile d’avancer un chiffre exact mais une chose est sûre, il y en
avait beaucoup. La sauvagerie avec laquelle avait été démantelé ce camp,
renseigne sur l’atrocité de l’occupant marocain et de ses forces de
sécurité.
El Djazaïr.com : Le Maroc accuse souvent le Polisario de groupe terroriste…
Brahim Mokhar :
Cela ne nous surprend nullement. Le Maroc, pour dénigrer notre image,
est prêt à tout. Le Polisario est partie prenante dans la lutte des pays
du Sahel dans leur lutte contre le terrorisme dont l’un des groupes, le
Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), est
une pure création des services secrets marocains. Nous avons à maintes
fois apporté des preuves concrètes quant à ce lien direct existant entre
les deux parties. Le Mujao a été crée, entre autres, pour ternir
l’image du Polisario. L’enlèvement des trois coopérants étrangers dans
les camps des réfugiés en octobre 2010 en est une preuve formelle.
El
Djazaïr.com : On assiste ces derniers temps, de par le monde, à une
prise de conscience de la cause sahraouie. Cependant, la presse arabe ne
s’y intéresse que rarement. Pourquoi cet oubli selon vous ?
Brahim Mokhar : A
mon avis, c’est parce que les Arabes n’ont aucun rôle à jouer dans la
politique mondiale. D’autre part, la plus grande majorité de ces pays
est dirigée par des monarques qui ne cachent pas souvent leur affinité
avec le royaume marocain. Cette solidarité entre les Palais a fait que
la presse arabe ne s’intéresse pas au conflit du Sahara occidental.
El Djazaïr.com : L’Algérie n’échappe pas à la propagande marocaine.
Brahim Mokhar :
Juste. Les Marocains sont jaloux de la puissance de l’Algérie mais
aussi de son rôle prédominant sur la scène régionale et internationale.
Le Maroc n’admet surtout pas le fait que l’Algérie s’est toujours
montrée solidaire avec les Sahraouis. Aussi, les Algériens ne devraient
pas s’étonner de cette campagne de dénigrement de la part d’un Maroc
connu pour avoir toujours nagé dans des eaux troubles.
El
Djazaïr.com : D’autre part, les Marocains ne cessent de faire justement
le lien entre le soutien de l’Algérie à la cause sahraouie et la
fermeture des frontières terrestres entre les deux pays. Un commentaire à
ce propos ?
Brahim Mokhar : Je dirai
tout simplement que le Maroc a tort. La fermeture des frontières n’a
rien à voir avec le conflit au Sahara occidental du moment qu’elles sont
fermées depuis 1994 alors que l’occupation illégale des territoires
sahraouis date de près de quarante ans. Les Marocains pourront peut-être
nous dire pourquoi le conflit n’avait pas été résolu avant cette date.
L’Algérie a procédé à la fermeture des frontières pour des raisons
évidentes que le Maroc connaît très bien. Il tente juste de créer la
confusion. Mais le baratin marocain n’est plus un secret pour quiconque.
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