Propos recueillis par David Doucet et Jean-Marie Durand, 24/11/2013
Réforme pénale, droit de vote des étrangers, montée du Front national et de la parole raciste, situation dans les prisons françaises et crise sociale : entretien avec Robert Badinter, garde des Sceaux de 1981 à 1986.
“La peur ronge notre société”, disiez-vous récemment. A quoi tient cette peur selon vous ? Peut-on la conjurer ?
Robert Badinter - Il y a une angoisse permanente chez nos concitoyens ; cette peur, constante, s’explique par la présence de 4,8 millions de chômeurs, à temps complet ou partiel. Dans beaucoup de foyers, on redoute de perdre son emploi, de n’en plus retrouver, on s’inquiète pour l’avenir des enfants, pour le sort du conjoint. Si vous regardez l’histoire de la République depuis 1977, toutes les élections nationales ont été perdues par le parti au pouvoir, le chômage ne cessant de progresser. J’appelle cela la loi de l’insomnie : vous êtes fiévreux, vous ne dormez pas, vous passez la nuit à vous retourner, du côté gauche puis du côté droit, toujours en vain. Le corps social français est atteint de la maladie du chômage. Vous avez donc l’inquiétude, et pire encore, une mélancolie profonde. “Cela ira encore plus mal demain qu’aujourd’hui.” C’est le sentiment de fond de la société française.
Cette peur semble alimenter d’autres délires irrationnels, comme la libération de la parole raciste…
Il faut relativiser cette réalité à l’échelle de l’histoire. Quand j’entends certains de mes amis souligner l’augmentation des insultes antisémites et racistes, je me souviens de mon enfance. Je me revois encore dans les années 1937-1939, quand j’allais au lycée, découvrant les insultes sur les murs : “Mort aux Juifs, mort à Blum”. Même les violences verbales odieuses d’aujourd’hui ne sont pas comparables aux discours d’avant-guerre, sans parler de l’Occupation. Cela ne veut pas dire qu’on peut les négliger. Au contraire, il faut les condamner fermement.
Comment avez-vous réagi aux attaques racistes dont Christiane Taubira a fait l’objet ?
L’assimiler à une guenon comme l’a fait le journal Minute est une infamie. C’est du racisme à l’état pur. Il faut que le parquet poursuive et que la condamnation soit à la hauteur de l’atteinte. Mais il faut s’interroger sur les ressorts cachés de ce propos. Est-ce un coup médiatique pour qu’on parle d’un journal que beaucoup croyaient mort ? Ou est-ce le signe d’un racisme latent au sein de notre société ? Quand des enfants brandissent des bananes et insultent madame Taubira, je vois le retour d’un racisme colonialiste que l’on croyait disparu.
Mais n’avez-vous pas le sentiment d’un repli identitaire ?
Je suis un Européen convaincu : la transition entre “je suis français” et “je suis un Français européen” ne s’est malheureusement pas accomplie pour beaucoup de nos concitoyens. Or, nous avons grandi dans une culture nationale sans passer au niveau d’un Etat fédéral, les Etats-Unis d’Europe.
Nous n’avons plus la même conscience intense d’être français que nos parents, mais nous n’avons pas acquis le sentiment d’être des citoyens européens.
Comment percevez-vous l’évolution d’une formule dont vous êtes l’auteur : la ” lepénisation des esprits” ?
J’ai formulé cette expression lors du vote des lois sur la nationalité, sécuritaires, antiimmigration, en 1997. Quinze ans plus tard, je continue à penser de la même façon, que lier comme on l’a fait immigration et insécurité ne fait que nourrir le Front national. Le FN joue sur les deux tableaux : la peur et la xénophobie, hélas très ancrée dans l’histoire de la République. Au moment de la crise des années 30, la France était déjà marquée par une montée virulente de la xénophobie.
La droite, depuis Sarkozy et son fameux discours de Grenoble, jusqu’à Copé qui veut revenir sur le droit du sol, a-t-elle selon vous contribué à l’accélération de cette lepénisation des esprits ?
Si le dessein de Sarkozy était de la combattre, les propos et les moyens utilisés ont contribué à la renforcer dans le public. Ces années ont été marquées par une explosion législative de lois sécuritaires. A cet égard aussi, les leçons de l’histoire sont éclairantes. La décennie 1920-1930 fut une période d’accueil d’étrangers massive, pour compenser la disparition des hommes pendant la guerre de 14-18. Avec la crise économique des années 30, le rejet de l’étranger est apparu, la peur du chômage s’est installée, nourrissant la pulsion xénophobe. On vit aujourd’hui le même processus. Espérer apaiser le pays en prenant des mesures législatives qu’on annonce comme décisives alors qu’il n’en sera rien, est un leurre. Loin de désamorcer l’angoisse, on la nourrit d’autant plus.
Que faites-vous de la responsabilité de la gauche de gouvernement face à cette impossibilité de conjurer la peur ? Le discours de Manuel Valls ne vous dérange-t-il pas ?
Manuel Valls est ministre de l’Intérieur. Il existe un principe de gouvernement : l’Etat de droit ne peut pas être l’Etat de faiblesse. Sinon, la confiance dans la République disparaît. On ne peut pas reprocher au ministre de l’Intérieur de vouloir faire appliquer la loi avec fermeté. A lui de veiller à ce que cette mise en oeuvre se fasse avec humanité et dans le respect de la dignité des personnes.
Il n’y aurait donc pas selon vous une distorsion si forte à gauche entre une position incarnée par Manuel Valls et une autre par Christiane Taubira ?
Je suis sensible au talent oratoire de madame Taubira. C’est une femme qui tient très haut la flamme de l’éloquence dans une époque qui en est peu soucieuse. Cela me touche. Son expression colorée s’inscrit dans la lignée des grands orateurs de jadis, Gaston Monnerville (président du Sénat de 1958 à 1968 – ndlr) ou Aimé Césaire. Madame Taubira est une femme de conviction. Quant aux attaques politiques dont elle fait l’objet de la part de la droite sécuritaire, il suffit de s’interroger : en quoi la réforme pénale, qui n’est pas encore votée, peut nuire à l’action de la police ? En quoi le mariage entre personnes de même sexe compromet l’ordre public ou porte préjudice à quiconque ? Quant aux circulaires adressées aux parquets qui rappellent à juste titre qu’il faut incarcérer le moins possible pour prévenir la récidive, notamment des jeunes délinquants, au regard des conditions d’incarcération aujourd’hui dans les maisons d’arrêt, il y a consensus à cet égard dans le monde judiciaire.
Peut-on résister au populisme pénal qui caractérisa en grande partie la politique judiciaire sous Sarkozy ?
J’ai écrit un livre, La Prison républicaine, qui analyse l’évolution de la prison sous la IIIe République. Regardez (il désigne un tableau de Gérard Fromanger accroché au mur de son bureau, représentant le philosophe Michel Foucault) : j’avais dit à Michel Foucault au moment de la parution de son oeuvre admirable, Surveiller et punir, qu’il fallait étudier au-delà des textes et des discours, la réalité de la prison. Une prison, c’est un ensemble complexe qui rassemble des hommes, des murs, des lois, des financements et une opinion publique. Or, la France entretient avec la prison une relation complexe et constante. Nous savons tous que la prison engendre, par sa promiscuité, la récidive. Mais on néglige la réalité : celui qui est en prison est voué à en sortir. L’enjeu de la période de détention, c’est faire en sorte que le détenu se réinsère dans la société des hommes libres. C’est aussi simple et difficile que cela. Cela implique une politique carcérale courageuse, je suis convaincu que madame Taubira s’y consacrera en priorité.
L’avènement de François Mitterrand s’est accompagné d’une multitude de réformes sociétales, dont l’abolition de la peine de mort. Pourquoi François Hollande n’a t-il pas réussi à faire de même ?
Les temps sont différents. Quand nous sommes arrivés au pouvoir en 1981, il y avait vingt-trois ans que la gauche ne l’avait pas exercé. Il y avait eu dans la société des changements profonds de mentalité et notamment du fait de l’événement majeur que représentait à cet égard Mai 68.
Il y avait une très grande frustration de réformes à gauche. Et en particulier, s’agissant de l’abolition de la peine de mort, il régnait dans la décennie 1970-1980 une intensité passionnelle autour de cette question. Je rappelle qu’une forte majorité de Français (64 %) y étaient hostiles. Mais à gauche, l’abolition était une exigence morale essentielle. Aujourd’hui, pour la plupart des Français, la question majeure, c’est le chômage. La priorité de l’action de François Hollande est donc légitimement tournée vers l’économie et le social.
Le droit de vote des étrangers était une réforme attendue par une grande partie de la gauche. N’est-ce pas un rendez-vous manqué pour François Hollande ?
Il faut s’interroger sur les raisons pour lesquelles ça n’a pas été fait. Parce que cette réforme est impossible actuellement. Il faut une révision constitutionnelle pour la mettre en place et François Hollande n’a pas les forces politiques parlementaires nécessaires. Néanmoins, le droit de vote des étrangers aux élections municipales reste à mes yeux absolument légitime. Du moment que l’étranger est en situation régulière, qu’il se conforme à la loi française, qu’il est établi depuis cinq ans dans une commune et qu’il paie ses impôts, il est normal qu’il participe à la vie politique locale. De surcroît, ça sera un grand facteur d’intégration dans la société française.
En 1992, vous aviez vivement réagi lors des huées qui accompagnaient l’arrivée de François Mitterrand lors de la cérémonie de la rafle du Vél d’Hiv. Comment avez-vous perçu les sifflets du 11 novembre, à l’encontre de François Hollande ?
En 1992, il s’agissait de commémorer la rafle du Vél d’Hiv. Je me suis souvenu de la formule de ma grand-mère : “Quand nous parlons des morts, ils nous écoutent.” Une phrase que je n’ai jamais oubliée. Le 11 novembre, ceux dont on parle reposent sous les croix de bois. On peut aimer ou non la politique ou la personnalité du président de la République mais il y a des principes dont on ne doit pas s’écarter. A l’heure des commémorations, le Président, élu au suffrage universel, incarne la nation tout entière. 1 500 000 jeunes hommes sont morts durant la Grande Guerre pour défendre la France. Le souvenir de leur sacrifice impose le silence à tous.
Quel regard portezvous sur l’évolution du Front national ?
Je n’ai pas de fascination pour le FN, je ne passe pas tous les jours au microscope les déclarations de Marine Le Pen ! Son idéologie est connue. Du temps de Front national de papa, les éclats étaient plus vifs, ses liens avec Minute étaient notoires. Aujourd’hui, le ton est plus doux et d’ailleurs Marine Le Pen a condamné le journal. Dont acte. Le FN, comme tout mouvement politique, doit s’adapter ou disparaître. Le style peut changer, le fond demeure le même. Soyons vigilants et résolus. Marine Le Pen souhaite en particulier que la France sorte de l’Union européenne. Ce qui ne pourrait conduire qu’à un désastre économique et financier. C’est l’enjeu considérable des prochaines élections européennes. Elles décideront de l’avenir de notre place à l’intérieur de l’Union. Je souhaite que la gauche s’en souvienne et se mobilise.
Propos recueillis par David Doucet et Jean-Marie Durand
Robert Badinter - Il y a une angoisse permanente chez nos concitoyens ; cette peur, constante, s’explique par la présence de 4,8 millions de chômeurs, à temps complet ou partiel. Dans beaucoup de foyers, on redoute de perdre son emploi, de n’en plus retrouver, on s’inquiète pour l’avenir des enfants, pour le sort du conjoint. Si vous regardez l’histoire de la République depuis 1977, toutes les élections nationales ont été perdues par le parti au pouvoir, le chômage ne cessant de progresser. J’appelle cela la loi de l’insomnie : vous êtes fiévreux, vous ne dormez pas, vous passez la nuit à vous retourner, du côté gauche puis du côté droit, toujours en vain. Le corps social français est atteint de la maladie du chômage. Vous avez donc l’inquiétude, et pire encore, une mélancolie profonde. “Cela ira encore plus mal demain qu’aujourd’hui.” C’est le sentiment de fond de la société française.
Cette peur semble alimenter d’autres délires irrationnels, comme la libération de la parole raciste…
Il faut relativiser cette réalité à l’échelle de l’histoire. Quand j’entends certains de mes amis souligner l’augmentation des insultes antisémites et racistes, je me souviens de mon enfance. Je me revois encore dans les années 1937-1939, quand j’allais au lycée, découvrant les insultes sur les murs : “Mort aux Juifs, mort à Blum”. Même les violences verbales odieuses d’aujourd’hui ne sont pas comparables aux discours d’avant-guerre, sans parler de l’Occupation. Cela ne veut pas dire qu’on peut les négliger. Au contraire, il faut les condamner fermement.
Comment avez-vous réagi aux attaques racistes dont Christiane Taubira a fait l’objet ?
L’assimiler à une guenon comme l’a fait le journal Minute est une infamie. C’est du racisme à l’état pur. Il faut que le parquet poursuive et que la condamnation soit à la hauteur de l’atteinte. Mais il faut s’interroger sur les ressorts cachés de ce propos. Est-ce un coup médiatique pour qu’on parle d’un journal que beaucoup croyaient mort ? Ou est-ce le signe d’un racisme latent au sein de notre société ? Quand des enfants brandissent des bananes et insultent madame Taubira, je vois le retour d’un racisme colonialiste que l’on croyait disparu.
Mais n’avez-vous pas le sentiment d’un repli identitaire ?
Je suis un Européen convaincu : la transition entre “je suis français” et “je suis un Français européen” ne s’est malheureusement pas accomplie pour beaucoup de nos concitoyens. Or, nous avons grandi dans une culture nationale sans passer au niveau d’un Etat fédéral, les Etats-Unis d’Europe.
Nous n’avons plus la même conscience intense d’être français que nos parents, mais nous n’avons pas acquis le sentiment d’être des citoyens européens.
Comment percevez-vous l’évolution d’une formule dont vous êtes l’auteur : la ” lepénisation des esprits” ?
J’ai formulé cette expression lors du vote des lois sur la nationalité, sécuritaires, antiimmigration, en 1997. Quinze ans plus tard, je continue à penser de la même façon, que lier comme on l’a fait immigration et insécurité ne fait que nourrir le Front national. Le FN joue sur les deux tableaux : la peur et la xénophobie, hélas très ancrée dans l’histoire de la République. Au moment de la crise des années 30, la France était déjà marquée par une montée virulente de la xénophobie.
La droite, depuis Sarkozy et son fameux discours de Grenoble, jusqu’à Copé qui veut revenir sur le droit du sol, a-t-elle selon vous contribué à l’accélération de cette lepénisation des esprits ?
Si le dessein de Sarkozy était de la combattre, les propos et les moyens utilisés ont contribué à la renforcer dans le public. Ces années ont été marquées par une explosion législative de lois sécuritaires. A cet égard aussi, les leçons de l’histoire sont éclairantes. La décennie 1920-1930 fut une période d’accueil d’étrangers massive, pour compenser la disparition des hommes pendant la guerre de 14-18. Avec la crise économique des années 30, le rejet de l’étranger est apparu, la peur du chômage s’est installée, nourrissant la pulsion xénophobe. On vit aujourd’hui le même processus. Espérer apaiser le pays en prenant des mesures législatives qu’on annonce comme décisives alors qu’il n’en sera rien, est un leurre. Loin de désamorcer l’angoisse, on la nourrit d’autant plus.
Que faites-vous de la responsabilité de la gauche de gouvernement face à cette impossibilité de conjurer la peur ? Le discours de Manuel Valls ne vous dérange-t-il pas ?
Manuel Valls est ministre de l’Intérieur. Il existe un principe de gouvernement : l’Etat de droit ne peut pas être l’Etat de faiblesse. Sinon, la confiance dans la République disparaît. On ne peut pas reprocher au ministre de l’Intérieur de vouloir faire appliquer la loi avec fermeté. A lui de veiller à ce que cette mise en oeuvre se fasse avec humanité et dans le respect de la dignité des personnes.
Il n’y aurait donc pas selon vous une distorsion si forte à gauche entre une position incarnée par Manuel Valls et une autre par Christiane Taubira ?
Je suis sensible au talent oratoire de madame Taubira. C’est une femme qui tient très haut la flamme de l’éloquence dans une époque qui en est peu soucieuse. Cela me touche. Son expression colorée s’inscrit dans la lignée des grands orateurs de jadis, Gaston Monnerville (président du Sénat de 1958 à 1968 – ndlr) ou Aimé Césaire. Madame Taubira est une femme de conviction. Quant aux attaques politiques dont elle fait l’objet de la part de la droite sécuritaire, il suffit de s’interroger : en quoi la réforme pénale, qui n’est pas encore votée, peut nuire à l’action de la police ? En quoi le mariage entre personnes de même sexe compromet l’ordre public ou porte préjudice à quiconque ? Quant aux circulaires adressées aux parquets qui rappellent à juste titre qu’il faut incarcérer le moins possible pour prévenir la récidive, notamment des jeunes délinquants, au regard des conditions d’incarcération aujourd’hui dans les maisons d’arrêt, il y a consensus à cet égard dans le monde judiciaire.
Peut-on résister au populisme pénal qui caractérisa en grande partie la politique judiciaire sous Sarkozy ?
J’ai écrit un livre, La Prison républicaine, qui analyse l’évolution de la prison sous la IIIe République. Regardez (il désigne un tableau de Gérard Fromanger accroché au mur de son bureau, représentant le philosophe Michel Foucault) : j’avais dit à Michel Foucault au moment de la parution de son oeuvre admirable, Surveiller et punir, qu’il fallait étudier au-delà des textes et des discours, la réalité de la prison. Une prison, c’est un ensemble complexe qui rassemble des hommes, des murs, des lois, des financements et une opinion publique. Or, la France entretient avec la prison une relation complexe et constante. Nous savons tous que la prison engendre, par sa promiscuité, la récidive. Mais on néglige la réalité : celui qui est en prison est voué à en sortir. L’enjeu de la période de détention, c’est faire en sorte que le détenu se réinsère dans la société des hommes libres. C’est aussi simple et difficile que cela. Cela implique une politique carcérale courageuse, je suis convaincu que madame Taubira s’y consacrera en priorité.
L’avènement de François Mitterrand s’est accompagné d’une multitude de réformes sociétales, dont l’abolition de la peine de mort. Pourquoi François Hollande n’a t-il pas réussi à faire de même ?
Les temps sont différents. Quand nous sommes arrivés au pouvoir en 1981, il y avait vingt-trois ans que la gauche ne l’avait pas exercé. Il y avait eu dans la société des changements profonds de mentalité et notamment du fait de l’événement majeur que représentait à cet égard Mai 68.
Il y avait une très grande frustration de réformes à gauche. Et en particulier, s’agissant de l’abolition de la peine de mort, il régnait dans la décennie 1970-1980 une intensité passionnelle autour de cette question. Je rappelle qu’une forte majorité de Français (64 %) y étaient hostiles. Mais à gauche, l’abolition était une exigence morale essentielle. Aujourd’hui, pour la plupart des Français, la question majeure, c’est le chômage. La priorité de l’action de François Hollande est donc légitimement tournée vers l’économie et le social.
Le droit de vote des étrangers était une réforme attendue par une grande partie de la gauche. N’est-ce pas un rendez-vous manqué pour François Hollande ?
Il faut s’interroger sur les raisons pour lesquelles ça n’a pas été fait. Parce que cette réforme est impossible actuellement. Il faut une révision constitutionnelle pour la mettre en place et François Hollande n’a pas les forces politiques parlementaires nécessaires. Néanmoins, le droit de vote des étrangers aux élections municipales reste à mes yeux absolument légitime. Du moment que l’étranger est en situation régulière, qu’il se conforme à la loi française, qu’il est établi depuis cinq ans dans une commune et qu’il paie ses impôts, il est normal qu’il participe à la vie politique locale. De surcroît, ça sera un grand facteur d’intégration dans la société française.
En 1992, vous aviez vivement réagi lors des huées qui accompagnaient l’arrivée de François Mitterrand lors de la cérémonie de la rafle du Vél d’Hiv. Comment avez-vous perçu les sifflets du 11 novembre, à l’encontre de François Hollande ?
En 1992, il s’agissait de commémorer la rafle du Vél d’Hiv. Je me suis souvenu de la formule de ma grand-mère : “Quand nous parlons des morts, ils nous écoutent.” Une phrase que je n’ai jamais oubliée. Le 11 novembre, ceux dont on parle reposent sous les croix de bois. On peut aimer ou non la politique ou la personnalité du président de la République mais il y a des principes dont on ne doit pas s’écarter. A l’heure des commémorations, le Président, élu au suffrage universel, incarne la nation tout entière. 1 500 000 jeunes hommes sont morts durant la Grande Guerre pour défendre la France. Le souvenir de leur sacrifice impose le silence à tous.
Quel regard portezvous sur l’évolution du Front national ?
Je n’ai pas de fascination pour le FN, je ne passe pas tous les jours au microscope les déclarations de Marine Le Pen ! Son idéologie est connue. Du temps de Front national de papa, les éclats étaient plus vifs, ses liens avec Minute étaient notoires. Aujourd’hui, le ton est plus doux et d’ailleurs Marine Le Pen a condamné le journal. Dont acte. Le FN, comme tout mouvement politique, doit s’adapter ou disparaître. Le style peut changer, le fond demeure le même. Soyons vigilants et résolus. Marine Le Pen souhaite en particulier que la France sorte de l’Union européenne. Ce qui ne pourrait conduire qu’à un désastre économique et financier. C’est l’enjeu considérable des prochaines élections européennes. Elles décideront de l’avenir de notre place à l’intérieur de l’Union. Je souhaite que la gauche s’en souvienne et se mobilise.
Propos recueillis par David Doucet et Jean-Marie Durand
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