Conférence de presse du Groupe de travail sur la détention
arbitraire à l'issue de sa visite au Maroc*
(9-18 décembre 2013)
(9-18 décembre 2013)
Rabat, 18 Décembre 2013
Le Groupe de travail sur la détention arbitraire a été représenté
pendant sa visite au Maroc par son Président-Rapporteur, M. Mads Andenas
(Norvège); par son ancien Président M. El Hadji Malick Sow (Sénégal) et
par M. Roberto Garretón (Chili). Ils ont été accompagnés par des
membres du Secrétariat du Groupe de Travail au Bureau du
Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations Unies et par des
interprètes de l’Office des Nations Unies à Genève.
Le Groupe de travail tient à exprimer sa gratitude au Gouvernement
pour la coopération dont il a bénéficié pendant sa visite, en
particulier au Bureau du Délégué Interministériel aux droits de l’homme,
qui a co-organisé le programme officiel de la visite.
Le Groupe de travail a pu s’entretenir en effet en toute
confidentialité avec des détenus des prisons de Salé 1 et Salé 2, de
Tanger et de Tétouan ainsi que du Centre de rééducation pour mineurs et
de la prison d’Ain Sebaâ (« Oukacha ») de Casablanca. Il a visité la
Brigade Nationale de Police Judiciaire Al Maârif à Casablanca, des
commissariats locaux et la zone de transit de l’Aéroport international
Mohamed V. Il s’est aussi rendu au Centre de Sauvegarde de l’Enfance de
Témara et au Centre Hospitalier Universitaire psychiatrique Ar-Ramzi de
Salé. En outre, le Groupe de travail a effectué des visites inopinées
dans certains commissariats de police. Il a aussi visité la prison de
Laâyoune.
Le Groupe de travail a été reçu par des hauts dignitaires et des
représentants des Pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Par
ailleurs, le Groupe de travail a eu quelques séances de travail avec des
avocats, des associations de victimes et de nombreuses organisations de
la société civile.
A Laâyoune, le Groupe a rencontré le Wali et des représentants des
autorités concernées des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.
Le Groupe de travail salue les efforts importants et constants du
Gouvernement pour asseoir et consolider une culture de droits de l’homme
au Maroc. Il encourage cette dynamique. Il souhaite que cette politique
soit de nature à prévenir et à réprimer toute sorte de violation qui
instituerait une détention arbitraire.
La Constitution de 2011 consacre la primauté du droit international
des droits de l’homme sur le droit interne. Elle a introduit des
changements encourageants d’un point de vue normatif. Le Groupe de
travail rappelle au Gouvernement que tous les projets de loi en cours
d’élaboration doivent de ce point de vue se conformer rigoureusement à
toutes les conventions internationales dont le Royaume du Maroc est
partie.
Le Conseil national des droits de l'homme (CNDH) et ses démembrements
apportent une contribution significative à la promotion et à la
protection des droits de l’homme. Le Groupe de travail encourage le
Gouvernement et les organisations de la société civile à continuer de
s’engager en faveur du renforcement de cette institution et à lui donner
toutes les moyens nécessaires à son bon fonctionnement.
Cependant, le Groupe a aussi quelques sujets de préoccupation.
La Loi anti-terroriste, adoptée à la suite des attentats de
Casablanca de 2003, qui est toujours en vigueur, est le cadre légal de
nombreuses violations des droits de l’homme. Cette loi doit être
modifiée pour rendre les incriminations plus précises, réduire les
délais de garde à vue et instituer une procédure qui garantit un procès
équitable.
Le Groupe de travail est préoccupé par l’importance considérable
donnée aux aveux dans les procès-verbaux d’enquêtes préliminaires. Le
Groupe a été informé, à travers des entretiens avec des détenus, que des
aveux ont été obtenus sous l’effet de la torture et qui constituent
dans la plupart des cas le fondement de la condamnation.
Les cas de M. Mohamed Dihani (Avis du Groupe de travail No. 19/2013),
de M. Abdessamad Bettar (Avis No. 3/2013) et de Mohamed Hajib (Avis No.
40/2012) qui ont été condamnés sur la seule base de procès-verbaux
établis par la police au cours d’une garde à vue durant laquelle ils
étaient soumis à des actes de torture, confirmant cette thèse. C’est
aussi sur la base d’aveux obtenus sous la torture que M. Ali Aarrass
(Avis No. 25/2013) a été condamné en novembre 2011 à 15 ans de prison
ferme.
A ce sujet, le Groupe de travail affirme que les aveux faits sans la
présence d’un avocat et en l'absence de toute garantie juridique ne
peuvent pas être admissibles comme moyen de preuve dans une procédure
pénale, surtout si les aveux ont été obtenus pendant la période de garde
à vue.
Aussi, le Groupe de travail regrette l’absence d’enquêtes
systématiques sur les allégations de torture de nombreux détenus et le
maintien en détention de plusieurs personnes condamnées uniquement sur
la base d’aveux obtenus sous la contrainte.
Le Groupe de travail recommande qu’il serait nécessaire et courageux
de réexaminer les sentences des centaines de détenus condamnés à la
suite de procès inéquitables fondés le plus souvent sur des aveux
obtenus sous la torture et les mauvais traitements.
Le Groupe de travail estime que la ratification du Protocole
facultatif à la Convention contre la torture sera pertinente pour mettre
un terme à cette pratique odieuse. Il encourage les autorités à achever
le processus de ratification.
L’accès à un avocat dès la première heure de la garde à vue est une
garantie fondamentale d’un procès équitable. L’article 66 du Code de
procédure pénal qui ne prévoit pas l’accès à un avocat qu’avant
l’expiration de la moitié du délai initial de garde à vue, qui la
subordonne à l’autorisation du procureur générale et qui la limite à une
durée de 30 minutes sans lui donner l’accès au dossier, constitue une
violation des dispositions de l’article 14 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques.
En tout état de cause, le Groupe de travail a constaté que l’avocat
n’intervient pas pendant la période de la garde à vue. Dans le même
ordre d’idée, le Groupe de travail regrette que les avocats qui sont
commis d’office devant les juridictions d’instruction ou de jugement, ne
soient pas rémunérés faute d’une disposition législative ou
réglementaire dans ce domaine. Ce qui n’est pas de nature à garantir une
défense adéquate.
A l’occasion de ses visites au niveau des préfectures de police, le
Groupe de travail a constaté certaines irrégularités et négligences dans
la bonne tenue des registres. Par exemple, les mentions des
informations sur les dates d’entrée et de sortie de la garde à vue sont
d’une importance capitale s’agissant de privation de liberté.
Le
Groupe de travail a observé des recours excessifs à la détention
provisoire concernant près de la moitié des personnes privés de liberté.
Selon l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques, la liberté doit être le principe et la détention
l’exception. D’après les statistiques obtenues, en moyenne 45 pour cent
des personnes privées de liberté sont détenues avant le jugement. Cette
situation s’explique dans une grande partie par l’absence de recours aux
mesures alternatives à la détention, ce qui explique en grande partie
la surpopulation carcérale constatée par le Groupe de travail.
Le Groupe de travail a trouvé un nombre significatif de mineurs dans
des prisons ordinaires. Les conditions de détention pour les mineurs
sont difficiles, notamment en raison de la surpopulation. Le Groupe de
travail a constaté que des mineurs de 14 ans se trouvaient dans la même
cellule que des jeunes hommes de 24 ans.
Le Groupe recommande au Gouvernement, conformément à la Convention
relative aux droits de l'enfant, de veiller à ce que dans le cas des
mineurs délinquants, l’emprisonnement demeure une mesure exceptionnelle
et que le placement en centre de protection des enfants soit envisagé à
titre prioritaire.
Le Royaume du Maroc est partie à la Convention des Nations Unies
relative au statut des réfugiés de 1951 et à son Protocole de 1967. Tout
en reconnaissant la situation difficile à laquelle font face les
autorités en ce qui concerne le flux de migrants en situation
irrégulière, surtout dans le nord du pays, le Groupe de travail tient à
exprimer ses préoccupations concernant ce groupe particulièrement
vulnérable.
En effet, le Groupe de travail a reçu des allégations de violence
portant sur les rafles et sur la détention des migrants et des
demandeurs d’asile, particulièrement dans le Nord du pays. Un nombre
croissant d’étrangers auraient été arrêtés lors des contrôles d’identité
depuis 2009.
Le Groupe a aussi été informé que le Gouvernement s’attelait à
l’heure actuelle à l’élaboration d’une politique migratoire fondée sur
le respect des droits de l’homme. Trois projets de loi sont en cours
d’élaboration: le premier sur les migrants en situation irrégulière, le
deuxième sur les demandeurs d’asile et les réfugiés, et le troisième sur
la traite des personnes.
Le Groupe de travail encourage le Gouvernement à accélérer ce
processus et prend note que de nombreux migrants en situation
irrégulière ont été régularisés.
Le Groupe de travail est préoccupé par la compétence très large
accordée au tribunal militaire, lequel peut juger des civils dans
certaines circonstances. Il est aussi concerné par le fait que ce
tribunal ne fonctionne pas conformément à l’article 14 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques.
Le Groupe s’inquiète de la situation des 22 personnes actuellement
détenues à la prison de Salé 1 après avoir été condamnées par un
tribunal militaire suite aux événements liés à la fermeture du camp
Gdeim Izik en novembre 2010.
Le Groupe de travail réitère que la compétence du tribunal militaire
devrait se limiter uniquement à juger des militaires et des délits
exclusivement militaires.
Le Groupe de travail remercie encore une fois le Gouvernement, les
institutions de droits de l’homme et les organisations de la société
civile pour leur coopération.
Le Groupe de travail demande au Gouvernement d’assurer la mise en
œuvre des récents développements positifs et de procéder sans retard à
l'examen de son cadre législatif pénal afin de le mettre en conformité
avec les normes internationales des droits de l'homme.
Le Groupe de travail présentera son rapport sur sa visite au Conseil des droits de l'homme à Genève en septembre 2014.
* Le
Groupe de travail s’est rendu à Laâyoune, Sahara occidental, les 15 et
16 décembre 2013. Il s’y est rendu en tant que titulaire de mandat
indépendant et sa visite ne doit pas être interprétée comme l’expression
d’une quelconque opinion politique concernant le statut actuel ou futur
du territoire non autonome du Sahara occidental. Le droit à
l’autodétermination s’applique au territoire en vertu des principes
énoncés dans les résolutions 1514 (XV) et 1541 (XV) de l’Assemblée
générale.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire