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vendredi 29 novembre 2013

Déclaration lors de la conférence de presse du Groupe de travail sur la détention arbitraire à l'issue de sa visite au Maroc*

Conférence de presse du Groupe de travail sur la détention arbitraire à l'issue de sa visite au Maroc* 
(9-18 décembre 2013)


Rabat, 18 Décembre 2013
Le Groupe de travail sur la détention arbitraire a été représenté pendant sa visite au Maroc par son Président-Rapporteur, M. Mads Andenas (Norvège); par son ancien Président M. El Hadji Malick Sow (Sénégal) et par M. Roberto Garretón (Chili). Ils ont été accompagnés par des membres du Secrétariat du Groupe de Travail au Bureau du Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations Unies et par des interprètes de l’Office des Nations Unies à Genève.
Le Groupe de travail tient à exprimer sa gratitude au Gouvernement pour la coopération dont il a bénéficié pendant sa visite, en particulier au Bureau du Délégué Interministériel aux droits de l’homme, qui a co-organisé le programme officiel de la visite.

Le Groupe de travail a pu s’entretenir en effet en toute confidentialité avec des détenus des prisons de Salé 1 et Salé 2, de Tanger et de Tétouan ainsi que du Centre de rééducation pour mineurs et de la prison d’Ain Sebaâ (« Oukacha ») de Casablanca. Il a visité la Brigade Nationale de Police Judiciaire Al Maârif à Casablanca, des commissariats locaux et la zone de transit de l’Aéroport international Mohamed V. Il s’est aussi rendu au Centre de Sauvegarde de l’Enfance de Témara et au Centre Hospitalier Universitaire psychiatrique Ar-Ramzi de Salé. En outre, le Groupe de travail a effectué des visites inopinées dans certains commissariats de police. Il a aussi visité la prison de Laâyoune.
Le Groupe de travail a été reçu par des hauts dignitaires et des représentants des Pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Par ailleurs, le Groupe de travail a eu quelques séances de travail avec des avocats, des associations de victimes et de nombreuses organisations de la société civile.
A Laâyoune, le Groupe a rencontré le Wali et des représentants des autorités concernées des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.
Le Groupe de travail salue les efforts importants et constants du Gouvernement pour asseoir et consolider une culture de droits de l’homme au Maroc. Il encourage cette dynamique. Il souhaite que cette politique soit de nature à prévenir et à réprimer toute sorte de violation qui instituerait une détention arbitraire.
La Constitution de 2011 consacre la primauté du droit international des droits de l’homme sur le droit interne. Elle a introduit des changements encourageants d’un point de vue normatif. Le Groupe de travail rappelle au Gouvernement que tous les projets de loi en cours d’élaboration doivent de ce point de vue se conformer rigoureusement à toutes les conventions internationales dont le Royaume du Maroc est partie.
Le Conseil national des droits de l'homme (CNDH) et ses démembrements apportent une contribution significative à la promotion et à la protection des droits de l’homme. Le Groupe de travail encourage le Gouvernement et les organisations de la société civile à continuer de s’engager en faveur du renforcement de cette institution et à lui donner toutes les moyens nécessaires à son bon fonctionnement.

Cependant, le Groupe a aussi quelques sujets de préoccupation.

La Loi anti-terroriste, adoptée à la suite des attentats de Casablanca de 2003, qui est toujours en vigueur, est le cadre légal de nombreuses violations des droits de l’homme. Cette loi doit être modifiée pour rendre les incriminations plus précises, réduire les délais de garde à vue et instituer une procédure qui garantit un procès équitable.
Le Groupe de travail est préoccupé par l’importance considérable donnée aux aveux dans les procès-verbaux d’enquêtes préliminaires. Le Groupe a été informé, à travers des entretiens avec des détenus, que des aveux ont été obtenus sous l’effet de la torture et qui constituent dans la plupart des cas le fondement de la condamnation.

Les cas de M. Mohamed Dihani (Avis du Groupe de travail No. 19/2013), de M. Abdessamad Bettar (Avis No. 3/2013) et de Mohamed Hajib (Avis No. 40/2012) qui ont été condamnés sur la seule base de procès-verbaux établis par la police au cours d’une garde à vue durant laquelle ils étaient soumis à des actes de torture, confirmant cette thèse. C’est aussi sur la base d’aveux obtenus sous la torture que M. Ali Aarrass (Avis No. 25/2013) a été condamné en novembre 2011 à 15 ans de prison ferme.
A ce sujet, le Groupe de travail affirme que les aveux faits sans la présence d’un avocat et en l'absence de toute garantie juridique ne peuvent pas être admissibles comme moyen de preuve dans une procédure pénale, surtout si les aveux ont été obtenus pendant la période de garde à vue.
Aussi, le Groupe de travail regrette l’absence d’enquêtes systématiques sur les allégations de torture de nombreux détenus et le maintien en détention de plusieurs personnes condamnées uniquement sur la base d’aveux obtenus sous la contrainte.
Le Groupe de travail recommande qu’il serait nécessaire et courageux de réexaminer les sentences des centaines de détenus condamnés à la suite de procès inéquitables fondés le plus souvent sur des aveux obtenus sous la torture et les mauvais traitements.
Le Groupe de travail estime que la ratification du Protocole facultatif à la Convention contre la torture sera pertinente pour mettre un terme à cette pratique odieuse. Il encourage les autorités à achever le processus de ratification.
L’accès à un avocat dès la première heure de la garde à vue est une garantie fondamentale d’un procès équitable. L’article 66 du Code de procédure pénal qui ne prévoit pas l’accès à un avocat qu’avant l’expiration de la moitié du délai initial de garde à vue, qui la subordonne à l’autorisation du procureur générale et qui la limite à une durée de 30 minutes sans lui donner l’accès au dossier, constitue une violation des dispositions de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
En tout état de cause, le Groupe de travail a constaté que l’avocat n’intervient pas pendant la période de la garde à vue. Dans le même ordre d’idée, le Groupe de travail regrette que les avocats qui sont commis d’office devant les juridictions d’instruction ou de jugement, ne soient pas rémunérés faute d’une disposition législative ou réglementaire dans ce domaine. Ce qui n’est pas de nature à garantir une défense adéquate.
A l’occasion de ses visites au niveau des préfectures de police, le Groupe de travail a constaté certaines irrégularités et négligences dans la bonne tenue des registres. Par exemple, les mentions des informations sur les dates d’entrée et de sortie de la garde à vue sont d’une importance capitale s’agissant de privation de liberté.
Le Groupe de travail a observé des recours excessifs à la détention provisoire concernant près de la moitié des personnes privés de liberté.
Selon l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la liberté doit être le principe et la détention l’exception. D’après les statistiques obtenues, en moyenne 45 pour cent des personnes privées de liberté sont détenues avant le jugement. Cette situation s’explique dans une grande partie par l’absence de recours aux mesures alternatives à la détention, ce qui explique en grande partie la surpopulation carcérale constatée par le Groupe de travail.
Le Groupe de travail a trouvé un nombre significatif de mineurs dans des prisons ordinaires. Les conditions de détention pour les mineurs sont difficiles, notamment en raison de la surpopulation. Le Groupe de travail a constaté que des mineurs de 14 ans se trouvaient dans la même cellule que des jeunes hommes de 24 ans.
Le Groupe recommande au Gouvernement, conformément à la Convention relative aux droits de l'enfant, de veiller à ce que dans le cas des mineurs délinquants, l’emprisonnement demeure une mesure exceptionnelle et que le placement en centre de protection des enfants soit envisagé à titre prioritaire.
Le Royaume du Maroc est partie à la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés de 1951 et à son Protocole de 1967. Tout en reconnaissant la situation difficile à laquelle font face les autorités en ce qui concerne le flux de migrants en situation irrégulière, surtout dans le nord du pays, le Groupe de travail tient à exprimer ses préoccupations concernant ce groupe particulièrement vulnérable.
En effet, le Groupe de travail a reçu des allégations de violence portant sur les rafles et sur la détention des migrants et des demandeurs d’asile, particulièrement dans le Nord du pays. Un nombre croissant d’étrangers auraient été arrêtés lors des contrôles d’identité depuis 2009.
Le Groupe a aussi été informé que le Gouvernement s’attelait à l’heure actuelle à l’élaboration d’une politique migratoire fondée sur le respect des droits de l’homme. Trois projets de loi sont en cours d’élaboration: le premier sur les migrants en situation irrégulière, le deuxième sur les demandeurs d’asile et les réfugiés, et le troisième sur la traite des personnes.
Le Groupe de travail encourage le Gouvernement à accélérer ce processus et prend note que de nombreux migrants en situation irrégulière ont été régularisés.
Le Groupe de travail est préoccupé par la compétence très large accordée au tribunal militaire, lequel peut juger des civils dans certaines circonstances. Il est aussi concerné par le fait que ce tribunal ne fonctionne pas conformément à l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Le Groupe s’inquiète de la situation des 22 personnes actuellement détenues à la prison de Salé 1 après avoir été condamnées par un tribunal militaire suite aux événements liés à la fermeture du camp Gdeim Izik en novembre 2010.
Le Groupe de travail réitère que la compétence du tribunal militaire devrait se limiter uniquement à juger des militaires et des délits exclusivement militaires.
Le Groupe de travail remercie encore une fois le Gouvernement, les institutions de droits de l’homme et les organisations de la société civile pour leur coopération.
Le Groupe de travail demande au Gouvernement d’assurer la mise en œuvre des récents développements positifs et de procéder sans retard à l'examen de son cadre législatif pénal afin de le mettre en conformité avec les normes internationales des droits de l'homme.
Le Groupe de travail présentera son rapport sur sa visite au Conseil des droits de l'homme à Genève en septembre 2014.
* Le Groupe de travail s’est rendu à Laâyoune, Sahara occidental, les 15 et 16 décembre 2013. Il s’y est rendu en tant que titulaire de mandat indépendant et sa visite ne doit pas être interprétée comme l’expression d’une quelconque opinion politique concernant le statut actuel ou futur du territoire non autonome du Sahara occidental. Le droit à l’autodétermination s’applique au territoire en vertu des principes énoncés dans les résolutions 1514 (XV) et 1541 (XV) de l’Assemblée générale.

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