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samedi 30 novembre 2013

Le Makhzen et ses journalistes



Ali Lmrabet, 28/11/2013
Un de mes amis m’a appelé l’autre jour pour me signaler le décès de quelqu’un. Cet appel m’a étonné. Pourquoi devrais-je connaître cette nouvelle ? Je ne suis pas une société de pompes funèbres, on n’a pas de section nécrologique à Demain et je ne me réjouis pas particulièrement de la mort d’autrui. « C’est un responsable de la MAP », a insisté mon ami. J’ai alors pensé à Khalil Hachimi Idrissi, le directeur général de la MAP.
Le premier aboyeur du Makhzen, a-t-il passé l’arme à gauche ?, me suis-je demandé. Mais non, a répliqué mon ami. Celui-là, même le Chitane n’en voudrait pas, a-t-il ajouté. Pour s’attirer les bonnes grâces du diable, Hachimi serait capable de lui offrir ses services contre le bon dieu. Et vice versa. Mais sa mort non plus n’est pas un motif de réjouissance.

Mais qui est le mort ?, ai-je lâché, impatient.
C’est Mansour Madani, répondit-il. Première réaction : connais pas ! Mais si !, a insisté mon ami. J’allais lui redire que je ne connaissais vraiment pas ce monsieur, Allah irehmou !, quand je me suis soudain rappelé. Et tout d’un coup, des souvenirs ont submergé mon cerveau. Oui, bien sûr…
Et oui, comme le temps passe, dixit Robert Brasillach.
Mansour Madani a fait partie de ce « commando » de la MAP qui m’a collé une plainte en Espagne, en 2005, pour « atteinte à l’honneur », formule juridique espagnole pour désigner la « diffamation ». Avec son autre collègue du bureau de la MAP à Madrid, Saïd Idda Hassan, ils m’avaient poursuivi pour les avoir « diffamé » dans un article que j’avais écrit dans le quotidien El Mundo en 2005. Dans ce papier, j’assurais que la MAP était une dépendance de la DGED (Direction générale des études et de la documentation) et j’avais expliqué aux lecteurs espagnols  que durant leur labeur d’information les agents de cette officine rédigeaient deux dépêches, la première étant publique et ayant vocation à être diffusée sur le fil, et la seconde ayant d’autre finalité, plus discrète. Cette dernière s’appelle une NI (Note d’information), et elle est destinée aux hautes sphères de l’Etat ainsi qu’aux services secrets marocains.
Dans la NI, l’agencier raconte fidèlement tout ce qu’il a vu et entendu autour de lui. Sans aucune forme de censure ou d’autocensure, en sachant que ses dires ne seront jamais diffusés. En somme un travail assez éloigné de notre noble métier.
Pour avoir révélé cette vérité première, le Makhzen s’est mis en branle contre moi, utilisant, comme à la bonne époque de Driss Basri, la machine de l’Etat, la presse aux ordres, multipliant les communiqués de répudiation et les télégrammes de dénonciation. Une affaire d’Etat en somme.
A l’époque, face à ce déferlement, j’avais appelé l’un des membres de ce « commando » à Madrid, Saïd Ida Hassan, que je connaissais vaguement, pour lui demander des explications. Pour lui dire aussi deux choses. Premièrement, ni lui ni Mansour Madani n’étaient visés par mon article, et deuxièmement celui qui était le mieux placé pour déposer plainte contre moi était l’ancien directeur du bureau de la MAP à Madrid, Mohamed Boundi, puisque eux, Saïd Ida Hassan et Mansour Madani, étaient arrivés en Espagne après les fais relatés dans mon article.
M. Boundi a toujours été d’une correction exquise avec moi. Quand je prononçais une conférence en Espagne, il venait prendre des notes, assis souvent dans la première rangée de l’assistance, sans se cacher et sans jouer aux gros bras, comme commencera à faire plus tard Ida Hassan. Il n’applaudissait jamais mes interventions, mais à la fin de chaque conférence il passait pour me saluer, sans rien ajouter. Boundi était un professionnel de l’information, sans haine,  joie ou état d’âme. Il faisait froidement son boulot sans s’attirer les faveurs ou les défaveurs de quiconque.
Mais revenons à la conversation téléphonique avec Ida Hassan. Après lui avoir rappelé le refus de son prédécesseur, Boundi, de porter plainte contre moi, je lui ai conseillé, à lui et à Mansour Madani, de ne pas se laisser manipuler par leurs chefs à Rabat. Je me rappelle lui avoir dit quelque chose du genre : « Ne vous lancez pas dans cette harira, cela ne vous concerne pas. Dans cette arène, il n’y a que le Makhzen et moi « .

Mohamed Khabachi (Photo Map)
Mohamed Khabachi (Photo Map)
police…, pardon, du Syndicat national de la presse marocaine (SNPM), à hurler partout que son honneur et sa dignité avaient été bafoués, qu’il irait « jusqu’au bout », jurant, alors que personne ne le lui avait demandé, que les autorités marocaines n’étaient pas derrière cette plainte. Ben voyons ! 

En fait, je le saurais rapidement, c’est Mohamed Khabachi, le directeur général de la MAP de l’époque, qui a poussé Saïd Ida Hassan et Mansour Madani dans cette aventure judiciaire. Je l’ai su parce que Khabachi, qui s‘est depuis recyclé chez les flics du ministère de l’intérieur, a donné une longue interview au quotidien Aujourd’hui le Makhzen, dirigé alors par l’actuel patron de la MAP, Khalil Hachimi Idrissi, et dans laquelle il s’en prenait vivement à moi.
Un fait rarissime dans les annales de la presse au Maroc, puisque jamais de mémoire de journaliste, le patron de cette agence de désinformation n’était sorti de son cocon pour dire autre chose que glorifier le régime, chanter ses réalisations et ses hommes.
Entretemps, avec la complicité du SNPM et de son éternel dirigeant, Younes Mjahed, une campagne médiatique parfaitement orchestrée fut lancée contre moi, déformant les décisions des tribunaux espagnols (selon la MAP et ses affidés, comme ce cybertorchon du Makhzen, Bladi.net, je perdais mes procès alors que je les gagnais…), et poussant le bouchon jusqu’à s’en prendre à ma famille qui n’avait rien à voir dans cette histoire.
Je me rappelle un appel indigné du directeur d’Al Assahifa Al Ousbouiya, Mohamed Hafid, m’annonçant qu’une dépêche de la MAP, généreusement distribuée au Maroc, s’en prenait à mon épouse.
Et j’en passe des dizaines de dépêches rédigées par le bureau de la MAP à Madrid annonçant telle action, portant telle accusation, jouant avec les mots et tergiversant telle information.
Enfin, ce qui devait arriver arriva. Après une première condamnation en première instance, contre le critère du procureur qui ne voyait aucun délit dans mon article, dans ses attendus la Audiencia provincial de Madrid (cour d’appel) cassa le premier procès et signala en l’écrivant noir sur blanc et s’appuyant sur les preuves que j’avais apportées à la cour, que la MAP était bel et bien une dépendance de la DGED et que ses agenciers devaient être assimilés à des fonctionnaires de l’Etat marocain.
La cour condamna également Saïd Ida Hassan et Mansour Madani à payer les frais de justice pour avoir intenté un procès en sachant sciemment qu’il n’y avait aucun délit, aucune diffamation.
Quelques mois plus tard, je faisais condamner conjointement par le tribunal d’Alméria Ida Hassan et la MAP à 12 000 euros de dommages et intérêts après une brutale incursion de ce triste sire dans l’université d’Alméria. Le bonhomme était venu exprès de Madrid, avait parcouru 600 kilomètres jusqu’à cette ville andalouse, pour tenter de saboter une de mes conférences.
C’était la première fois de son histoire que la MAP était condamnée.
Résultat, pour la MAP et la DGED du gentil et pieux copain du roi, Mohamed Yassine Mansouri, c’en était trop. Ce n’était plus une défaite, c’était la Bérézina. Non seulement je sortais vainqueur d’un procès intenté par un Etat tout puissant qui avait mis tous ses moyens pour me casser, mais cette « guérilla judiciaire », comme l’a écrit justement la lettre d’information française Maghreb confidentiel, s’était retournée contre l’Etat marocain après des pertes de l’ordre d’un million de dirhams en frais d’avocats et de justice.
Alors, pour ne pas aggraver leurs cas puisque j’allais déposer une deuxième plainte contre les deux journalistes pour procès abusif, le défunt Mansour Madani fut discrètement exfiltré en France où il fut nommé chef du bureau parisien, et le pauvre Saïd Ida Hassan, le plus excité des deux, fut remercié par la MAP. Celui qui avait crié au début de l’affaire qu’il irait « jusqu’au bout » fut brutalement licencié, jeté à la rue comme un malpropre pour avoir insisté un peu trop auprès de ses patrons pour obtenir le règlement des frais de justice et des avocats engagés dans cette « guérilla ». Il avait pourtant affirmé que c’était une affaire personnelle qui n’avait rien à avoir avec l’Etat marocain…
Je me permets de rappeler ces faits pour deux raisons. Il faut mettre sur le papier ces souvenirs avant que le temps et l’âge ne les effacent irrémédiablement. Puis pour réitérer que le Makhzen se sert toujours de pauvres bougres pour ses basses manoeuvres, et quand les résultats de ses turpitudes ne lui sont pas favorables, il les jette comme un mouchoir usé.

Mansour Madani est mort. Allah irehmou ! Je ne garde aucune rancune envers les morts. Seuls les vivants m’intéressent. 

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