Chers amis lecteurs de solidmar,

Solidmar est fatigué ! Trop nourri ! En 8 ans d’existence il s’est goinfré de près de 14 000 articles et n’arrive plus à publier correctement les actualités. RDV sur son jumeau solidmar !

Pages

samedi 15 juin 2013

Barack Obama peut-il fermer Guantanamo?


par
Rédacteur en chef adjoint, Tolerance.ca, membre de Tolerance.ca
Barack H. Obama s'est engagé de nouveau à fermer la prison de Guantanamo. Mais, à un peu plus d’un an des élections de mi-mandat, a-t-il vraiment, cette fois, les moyens de son ambition? La question mérite d’être posée.
C’était une promesse de campagne en 2008. Fermer la prison du camp de Guantanamo situé sur l’île de Cuba. Une promesse restée depuis lettre morte. Preuve s’il en est besoin de la forte opposition au pays à sa fermeture et de l’absence de stratégie présidentielle en ce sens.

"Ce n’est pas tenable"
Le 30 avril dernier, Barack H. Obama a tenu une conférence de presse à la Maison-Blanche. À cette occasion, il est revenu à la charge. Il a d’abord annoncé la couleur: «Il faut fermer Guantanamo»! Et d’expliquer: «C'est important pour nous de comprendre que Guantanamo n'est pas nécessaire pour la sécurité de l'Amérique. Cela coûte cher (entre 90 et 118 millions de dollars par année, NDLR). C'est inefficace». Sans oublier le fait que cette prison non seulement «entrave la coopération antiterroriste», mais représente également un outil de choix de «recrutement pour les extrémistes».
L’autorisation d’ouverture de ce ''trou noir" juridico-légal par le gouvernement Bush en 2002 répondait principalement à deux objectifs. D’abord, regrouper les "combattants ennemis illégaux" (une catégorie contraire à toutes les conventions internationales existantes en matière du droit de la guerre) sur un même site et les soumettre à des traitements dégradants, dont la torture, pour, entre autres, leur extorquer des renseignements susceptibles de prévenir de nouvelles attaques terroristes contre les États-Unis. Mais, cette approche souffre d’au moins deux biais. D’un côté, le recours à la torture est en soi immoral et ne peut en aucun cas être légitimé. De l’autre, obtenir des renseignements sous la torture pose la question de leur fiabilité. D’ailleurs, cela tombe sous le coup du sens qu’un homme torturé serait prêt à confesser tout ce que son bourreau lui demanderait… 
Le deuxième objectif de l’administration Bush était de faire peur à quiconque qui voudrait rejoindre les combattants du réseau terroriste international et l’en dissuader. Mais, cette stratégie d’humiliation s’est révélée contreproductive pour les États-Unis au point de leur faire perdre la sympathie mondiale acquise au lendemain des attentats terroristes du 11 septembre 2001. Rappelons-nous le fameux édito du Monde «Nous Sommes tous Américains!» Cette stratégie a donc non seulement terni gravement leur image dans le monde, mais également nui à leur politique étrangère et radicalisé une partie de l’opinion publique dans le monde musulman. Une aubaine pour les terroristes d’Al-Qaïda.
À ces raisons financière et stratégique s’ajoute, du point de vue de Barack H. Obama, un argument à teneur juridique et qui touche à l’identité américaine: «L'idée de maintenir pour toujours un groupe de personnes qui n'ont pas été jugées, c'est contraire à ce que nous sommes, contraire à nos intérêts et cela doit cesser».
Tout en disant comprendre la charge émotive entourant cette affaire, le président Obama a appelé la population à faire preuve de sagesse car autrement la situation ne pourrait que s’aggraver.
Cette mise en garde est en fait adressée aux membres du Congrès dans le contexte de la grève de la faim déclenchée, en désespoir de cause, par une centaine de détenus à Guantanamo et qui dure depuis un peu plus de douze semaines. Avec le risque de mourir. Ce à quoi se refuse un président visiblement inquiet: «Je ne veux pas que ces personnes meurent». D’où son engagement à s’atteler à la tâche de convaincre le Congrès de lever les restrictions qui empêchent le transfert des prisonniers sur le sol américain et donc la fermeture de cette prison: «Je vais à nouveau discuter avec le Congrès et plaider que ce n'est pas quelque chose qui est dans le meilleur intérêt du peuple américain. Ce n'est pas tenable».
Pour éviter le pire, le Pentagone a pris des moyens drastiques. Le personnel médical sur la base a alimenté, de force et de manière dégradante, une vingtaine de grévistes qui dépérissaient à vue d’œil. Une pratique dénoncée par le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme de l’ONU.

Obama a-t-il les moyens de son ambition?
Tout le monde se rappelle cette journée historique du 22 janvier 2009 où le premier président noir des États-Unis avait signé un décret ordonnant la fermeture de la prison de Guantanamo dans un délai d’un an et gelé pour une durée de 120 jours le fonctionnement des tribunaux militaires d'exception. (1) Une annonce saluée alors par la gauche démocrate et le reste du monde. Mais, la satisfaction était de courte durée. M. Obama n’avait pas bien mesuré le rapport de force au Congrès et encore moins bien apprécié la dimension émotionnelle de cette question. D’ailleurs, la coalition d’opposition à son projet comprenait également des élus démocrates. Aussi, il ne pouvait se permettre de s’aliéner l’appui d’élus conservateurs modérés, lui qui en avait besoin pour faire passer son projet-phare de réforme de la santé et ses autres projets de réforme dans les domaines de l’économie, de la finance et de la fiscalité, et donc arriver à faire sortir son pays de sa pire crise économique depuis la dépression des années 1930. Dans ce contexte, il a estimé ne pas avoir le choix et a dû reculer sur sa promesse de campagne de fermer Guantanamo.
Mais, rester sur une défaite dans ce dossier ou laisser mourir nombre de prisonniers grévistes ne sont de bon conseil pour un président qui aimerait laisser un héritage derrière lui et qui n’a plus beaucoup de temps pour le faire. Il lui fallait donc retourner à la charge et montrer à la gauche de son parti qu’il ne manque pas de courage politique face à la droite. Tout en récoltant les louanges du reste du monde.
Mais a-t-il cette fois les moyens de son ambition? Pourra-t-il réussir cette fois alors que son option ne bénéficie nullement d’un fort appui populaire? Pourrait-il se permettre de dépenser un capital politique dans ce dossier alors qu’un enjeu majeur, celui de la réforme des lois sur l’immigration, est encore plus important pour l’avenir de son parti et pour son propre héritage présidentiel?
Mais avant d’examiner la marge de manœuvre du président américain, faisons un bref survol des effectifs de la population carcérale.
Dans le sillage de la lutte contre Al-Qaïda, le président George W. Bush avait autorisé en 2002 l’ouverture de la prison de Guantanamo. Durant ses onze années d'existence, les effectifs des détenus ont baissé de 779 à 166 personnes. 604 prisonniers sont déportés dans leurs pays d’origine ou envoyés dans un des 36 pays tiers qui ont accepté de les accueillir. Si 120 tentatives de pendaison ont été déjouées, neuf détenus ont en revanche réussi leur coup...
Les prisonniers encore sur place se répartissent entre trois groupes. D’abord, 89 personnes sont jugées «libérables» et donc «transférables» dans leurs pays d’origine. Ensuite, 60 personnes ne pourront jamais être jugées soit parce que leurs aveux ont été extorqués sous la torture ou il n’y a pas de preuve de leur implication dans une attaque quelconque contre les États-Unis. Enfin, le reste des prisonniers devront demeurer en «détention illimitée», conformément à un décret signé en décembre 2011 par le président Obama. Même si la plupart des détenus n’ont été ni inculpés ni jugés, ils demeurent tous captifs du camp tropical à cause de l'opposition du Congrès.
Devant ces blocages, le désespoir a gagné la population carcérale. D’où sa grève de la faim et qui ne cesse de prendre de l’ampleur.
Si le Congrès est jusqu’à maintenant resté sourd aux appels à amender la législation et à permettre la fermeture de ce "trou noir", qu’en est-il du président? Peut-il fermer ce lieu de non-droit et rétablir la règle du droit?
Son casse-tête est à la fois juridique, politique et diplomatique.
Mais, d’abord et avant tout, il devrait lever les zones d’ombre sur ce qu’il aimerait faire de chacun des prisonniers, une fois Guantanamo fermée. Voudrait-il se contenter de déplacer le problème du réduit cubain à une localité située sur le territoire américain? Ou régler cette question épineuse conformément à la tradition juridique américaine?
Il devrait ensuite convaincre le Congrès d’annuler les restrictions qui empêchent en fait la fermeture de Guantanamo et donc le retour de nombre de prisonniers dans leurs pays d’origine ou dans des pays d’accueil et le transfert sur le sol américain de ceux considérés comme «non libérables» pour les juger par des courts fédérales.
En parallèle, il devrait charger son Département d’État d’engager des négociations avec nombre de pays pour qu’ils accueillent tous ceux jugés «libérables» et qui pourtant ne peuvent pas, pour toute sorte de raisons, être de retour chez eux. Sans oublier le nécessaire accompagnement financier et social des démarches de dé-radicalisation et de réinsertion dans le circuit professionnel de ceux qui seraient de retour chez eux. Mais pour donner le signal clair dans ce sens, il faudrait commencer par nommer de nouveau, cette fois au sein du Conseil de sécurité nationale, un fonctionnaire de haut rang ou un expert pour se charger de cette tâche complexe.
Il devrait enfin faire preuve de leadership en cas de ferme opposition du Congrès et se servir cette fois de son pouvoir exécutif pour mener à bien cette entreprise de fermeture de ce "trou noir" juridico-légal.
**

Le maintien de la prison de Guantanamo est contraire à l'image et à l'intérêt national américain. Si nombre de Républicains restent campés sur leur position idéologique là-dessus, c'est  notamment pour consolider leur position au sein de la frange ultraconservatrice de leur base. La même frange qui a contribué à la défaite du candidat du GOP lors de la récente élection présidentielle. Dans ce contexte, le président Obama n'aura pas autre choix que de faire preuve de leadership pour mener à terme cette entreprise de fermeture de Guantanamo. Sinon à quoi servirait un pouvoir exécutif dont l'étendue réelle était jusqu'aux attentats du 11 septembre 2001 inexplorée? Pourrait-il reculer deux fois sur la même question?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire