- Par : Par Fahd Iraqi et Mehdi Michbal, Telquel, 14/6/2013
Mohammed VI en 2006 (AFP)
Le conglomérat de
Mohammed VI est plus riche qu’il ne l’a jamais été. Ses bénéfices
explosent et son endettement s'allège d'année en année. Par quel miracle
? Enquête.
Vendredi 24 mai.
C’est jour d’assemblée générale au siège de la SNI. Hassan Bouhemou,
président du holding, n’est pas là. Il délègue la présidence de cette
réunion des actionnaires à Abdelaziz Abarro, PDG de Managem et aussi
administrateur du groupe. C’est qu’il n’y a pas d’enjeu particulier pour
cette assemblée. Au menu, l’approbation des comptes à fin 2012. Des
comptes qui renvoient l’image d’un conglomérat encore plus performant et
rentable que jamais. Le business royal a en effet prospéré ces
dernières années, dans une discrétion quasi absolue, loin des radars de
la communauté financière d’où il a disparu depuis que les holdings ONA
et SNI (avant leur fusion) se sont retirés de la Bourse.
Stars
incontestables de la corbeille casablancaise, la paire a laissé un
énorme vide sur la place. Les traders en parlent toujours sur un ton
nostalgique. “Il y a un avant et un après ONA”, lance l’un d’entre eux,
faisant référence à la dissolution de l’Omnium – entré en Bourse en 1935
– après son absorption par ce qui est devenu sa maison mère. Ce
mariage, attendu par la communauté boursière depuis juillet 1999, n’a
été finalement annoncé qu’en mars 2010 (voir frise). Une annonce qui, à
l’époque, avait pris tout le monde de court, y compris les actionnaires
des deux holdings (cf. TelQuel n°418). Au-delà du rapprochement entre
les deux entités, le groupe royal avait également dévoilé un plan de
réorganisation qui prévoyait leur retrait de la cote, mais aussi la
cession partielle de certaines participations. Trois ans après ce big
bang boursier, l’heure est venue d’établir un bilan d’étape de ce
processus, de récapituler les réalisations et de pointer les revirements
stratégiques intervenus entre-temps.
La Bourse, ça peut attendre
Pour
mieux faire passer la pilule du retrait de la Bourse de deux big caps
(près de 50 milliards de capitalisation), les managers de la SNI
promettaient de procéder à des cessions des filiales agro-alimentaires
par Offres publiques de vente (OPV) pour dynamiser le marché boursier.
“La cession au marché du contrôle d’entreprises majeures (…) et
l’augmentation des flottants qui en découle donnera aux investisseurs
institutionnels une plus grande influence sur les sociétés cotées, et
renforcera par là même l’attractivité de la place boursière marocaine
pour les investisseurs nationaux et surtout internationaux, qui sont
d’autant plus sensibles à la profondeur des flottants en Bourse qu’ils
souhaitent être en mesure de céder leurs titres à n’importe quel moment,
sans que leur propre sortie ne pèse sur le cours et impacte
négativement leur rendement”, pouvait-on lire dans le dossier de presse
distribué à l’époque. Trois ans plus tard, la corbeille casablancaise
n’a enregistrée aucune OPV signée SNI. Celles-ci n’ont pas été pour
autant abandonnées, mais juste reportées à en croire le management du
holding royal. “Les conditions de marché influent évidemment sur le
planning, explique Aymane Taud, directeur à la SNI. Nous réaliserons
toutes les OPV au moment opportun, lorsque le marché boursier nous
semblera porteur”. Et d’ajouter : “Nous espérons que ces OPV relanceront
le marché, qui vit actuellement une période de léthargie”.
Un
discours qui ne convainc que très peu les opérateurs du marché.
Plusieurs professionnels nous livrent, sous couvert d’anonymat, la même
analyse : “Si la SNI veut vraiment dynamiser la Bourse, elle n’a qu’à
procéder à ces opérations aujourd’hui. Vendre aux conditions actuelles
du marché créerait de l’animation et contribuerait forcément à un retour
de la confiance et des investisseurs sur la place. Mais, visiblement,
le holding se soucie plus de ses plus-values potentielles que de l’état
de la Bourse”. Comprenez, la SNI cherche légitimement à bien vendre.
D’ailleurs, jusque-là, ça lui réussit bien !
Déjà 8 milliards de plus-values
Le
désengagement de Bimo et la cession d’une partie de la participation
dans Centrale Laitière ainsi que dans Cosumar ont permis au holding
royal de réaliser des produits de cession de 9,7 milliards de dirhams en
2013, sans compter la vente de Lesieur réalisée l’année dernière pour
1,7 milliard de dirhams. Selon les managers du groupe royal, ces
différentes opérations ont pu dégager des plus-values de l’ordre de 8
milliards de dirhams. Un jackpot “imposable à un taux d’IS de 30%”,
aime-t-on rappeler à la SNI. Ainsi, quelque 2,4 milliards de dirhams
devraient tomber dans les caisses du fisc. A cela s’ajoute le différé
d’impôt sur la plus-value (théorique) réalisée au moment de la fusion
lors du transfert du portefeuille de l’ONA à la SNI. Car si le holding
avait pu bénéficier en 2010 d’une disposition de la Loi de Finances
favorisant les fusions, maintenant que des cessions ont été réalisées
c’est l’heure de passer à la caisse.
La
manne qui restera à la SNI est malgré tout stratosphérique. Et elle
tombe à point. Le holding devrait rembourser pour quelque 6 milliards de
dettes au cours de 2013, dont 4,8 milliards de dirhams de titres
obligataires. “80% du montant des cessions sera consacré au
remboursement de la dette”, affirme notre interlocuteur à la SNI. En
fait, le holding royal est une structure depuis toujours très endettée.
Et elle a dû aggraver son cas pour financer les deux OPR réalisées en
2010. Conséquence, les dettes financières ont culminé à plus de 24
milliards de dirhams avant de se stabiliser ces dernières années. Mais
l’endettement devrait être ramené à 15 milliards de dirhams dès fin
2013. “Notre objectif est de le faire baisser au-dessous des 10
milliards de dirhams”, avance Aymane Taud. Pour cela, la société compte
sur la poursuite du programme de désengagement dans l’agro-alimentaire.
La cession du reliquat des actions encore détenues dans Cosumar,
Centrale Laitière et Lesieur devrait rapporter au bas mot 7,5 milliards
de dirhams. Une cession de 10 à 15% d’Attijariwafa devrait également
augmenter la cagnotte d’environ 9 milliards. Et encore, ces montants
sont calculés sur la base des cours actuels de ces sociétés cotées dans
un marché agonisant. Or, les professionnels du marché ne se font pas
d’illusion. “Vous pouvez être certains que le marché connaîtra une
envolée des cours bien avant la réalisation des futures OPV sur les
filiales de la SNI”, commente l’un des plus anciens traders de la place.
“Il y a beaucoup de brokers qui guettent les premiers mouvements sur la
Bourse des investisseurs institutionnels apparentés ou partenaires de
la SNI. Pour eux, ce sera le signe avant-coureur que le processus
préparatif des OPV a commencé”, poursuit-il. En d’autres termes, quand
le groupe royal décidera de passer à l’acte, le marché tremblera.
“La fortune ou le pouvoir !”
Annoncé
en 2010, le désengagement des filiales agro-alimentaires a pris une
tournure différente. Alors que le groupe déclarait initialement son
intention de rester un “sleeping partner” dans ces sociétés, avec un
niveau de participation ne dépassant pas les 30%, il est aujourd’hui
question de sortir complètement des métiers de l’agro-alimentaire. Ce
revirement stratégique est intervenu au lendemain de l’éclatement du
Printemps arabe et du Mouvement du 20 février. A cette époque, chaque
semaine, les manifestants battaient le pavé dans les rues des
principales villes du royaume pour appeler à plus de démocratie et de
justice sociale. Un des slogans favoris des protestataires était le
désengagement du roi des affaires. “La fortune ou le pouvoir !”,
scandaient les manifestants qui défilaient le dimanche avec des
banderoles grand format présentant le groupe royal comme une pieuvre
tenant dans ses tentacules les pans stratégiques de l’économie.
Serait-ce cela qui a incité les managers de la fortune royale à se
désengager complètement du secteur agro-alimentaire ? Pour les
responsables du holding, il ne faut rien voir de politique dans cette
nouvelle approche. “Dès l’annonce de la réorganisation et des cessions
en mars 2010, nous avons constaté un fort appétit manifesté par
plusieurs opérateurs industriels désireux de prendre une position
capitalistique forte”, rassure Karim Chbani, investment manager de la
SNI.
Néanmoins, pour certains
économistes, ce désengagement de l’agro-alimentaire était devenu
incontournable, de par la nature de l’actionnariat de la SNI. “La
présence du roi dans ce secteur fortement exposé est devenu un lourd
fardeau à porter politiquement, nous explique Najib Akesbi. Au-delà des
facteurs socio-économiques comme la cherté de la vie ou la Caisse de
compensation, la position dominante voire monopolistique dans le sucre,
l’huile ou encore les produits laitiers est devenue intenable. Par
exemple, il a souvent fait l’objet de critiques lors de discussions pour
l’accord agricole avec l’Union Européenne”. Surtout que ces filiales
ont fait leur temps dans le portefeuille du groupe. Elles n’ont plus les
mêmes marges de progression d’antan et leurs réserves financières ont
déjà été distribuées sous forme de dividendes exceptionnels. Comprenez,
il valait mieux faire d’une pierre deux coups : réaliser des plus-values
conséquentes et en tirer un avantage politique en “se dédouanant” de
sociétés dont les produits pèsent dans le panier de la ménagère.
Le roi toujours businessman
Dès
l’annonce de la première opération de cession, la presse économique
s’emballe. “Le roi se retire des affaires !”, titre un quotidien
spécialisé à fort tirage. Or, il n’en est rien. Car si le holding royal
est en train de lâcher l’agro-alimentaire, il maintient sa présence dans
des secteurs stratégiques. Entre la banque, les mines, les énergies
renouvelables, l’immobilier, les télécoms ou encore la grande
distribution, la SNI se positionne sur des métiers à fort potentiel.
D’ailleurs, la sortie de Lesieur du périmètre du groupe à fin 2012 n’a
quasiment pas entamé la performance financière du holding. Ses comptes
consolidés laissent apparaître des chiffres pharaoniques : un total
bilan de 117 milliards de dirhams, un chiffre d’affaires de 53 milliards
et un résultat consolidé dépassant les 5 milliards. La SNI fait
beaucoup mieux que les prévisions avancées lors de l’annonce de la
fusion. En témoigne les dividendes distribués, qui s’établissent à 580
millions de dirhams (voir tableau). Et le meilleur reste à venir avec
l’allègement futur de la dette et des charges financières afférentes.
Avec
son poids économique significatif, la présence du roi dans le business
reste une question qui se pose avec acuité. Certains y voient une
manière de stimuler l’investissement dans l’économie du royaume. “S’il
n’y avait pas le holding royal, pensez-vous qu’on aurait des entreprises
marocaines capables de concurrencer des multinationales dans des
secteurs capitalistiques comme les énergies renouvelables ?”, nous
lançait il y a quelques mois un proche du top management de la SNI.
L’argument peut être recevable. Le rôle socio-économique du holding est
certain : outre les dizaines de milliers d’emplois qu’offrent ses
filiales, les opérations que le groupe réalise sont tellement
importantes qu’elles pèsent sur les indicateurs macro-économiques. A
titre d’illustration, les trois cessions à des investisseurs étrangers
réalisées en 2013 ont été salvatrices pour la balance de paiement et les
réserves de change du royaume. Elles ont rapporté une manne en devises
dépassant le milliard de dollars, soit plus que le montant que cherche à
emprunter le ministère des Finances sur le marché international. Autre
indicateur, “SNI et filiales ont payé en 2012 pour 4.2 MMDH d’impôt sur
les sociétés, soit 10.2% des recettes globales de l’IS collectées alors
que la valeur ajoutée produite par le groupe ne représente que 2.3% du
PIB du royaume”, soulignent les cadres de la holding.
Mais
la thèse d’une SNI locomotive de l’économie, ou d’un groupe royal coach
de champions nationaux, ne fait pas l’unanimité chez les observateurs.
“Il faudrait se demander si la présence du groupe royal dans certains
secteurs d’activités ne dissuade pas des entrepreneurs privés d’investir
ces pans où ils risquent de concurrencer le roi”, lance l’économiste
Najib Akesbi. Pourtant, la présence de la SNI dans Centrale Laitière n’a
pas empêché des coopératives comme Jaouda de poursuivre leur
développement et d’augmenter leurs parts de marché. Idem dans le secteur
des huiles où le groupe Belhassan a pendant de longues années
concurrencer le groupe royal sans se plaindre. La même logique peut
prévaloir dans la grande distribution où des sociétés comme Label’Vie
continuent de faire leur bonhomme de chemin malgré l’agressivité
concurrentielle de Marjane. “En tout cas, le risque de conflit d’intérêt
est énorme quand on cumule business et politique, surtout de la part
d’un roi qui règne et gouverne, rétorque Akesbi. Il n’y qu’à voir toutes
les interprétations que l’on fait de la défiscalisation de
l’agriculture. Nombreux sont ceux qui croient que c’est parce que le roi
est le plus grand exploitant agricole que ce secteur est privilégié
fiscalement”. Ces interférences entre politique et affaires ont été
évoquées publiquement il y a quelques années par Miloud Chaabi,
président d’Ynna Holding, qui avait ouvertement appelé au retrait du roi
des affaires. L’homme a depuis vécu bien des mésaventures. Et le
message semble avoir été reçu 5/5 par nos capitaines d’industrie. Aucun
d’entre eux ne s’aventure à jouer aux têtes brûlées en mettant cette
question au cœur des débats.
Lire plus sur ce sujet :
http://telquel-online.com/En-couverture/SNI-Le-nouveau-visage-du-business-royal/573#.UbwR_QjNuQh.facebook
ok
http://telquel-online.com/En-couverture/SNI-Le-nouveau-visage-du-business-royal/573#.UbwR_QjNuQh.facebook
ok
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire