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lundi 8 avril 2013

Il faut dire la vérité aux Marocains !

L'économie nationale n'est pas en bon état, cela est une vérité désormais admise par tous. Finies les années d'opulence, bonjour les vaches maigres. Toutes les récentes déclarations disent et confirment cela.
 Commençons par la dernière sortie du wali de Bank al-Maghrib, Abdellatif Jouahri, qui a tiré la sonnette d'alarme, annonçant l'imminence de la catastrophe. Poursuivons avec les propos de Mohand Laenser, Secrétaire général du MP et ministre de l'Intérieur du gouvernement qu'il critique, qui a appelé les Marocains à se serrer la ceinture encore plus qu'elle ne l'est déjà pour toutes celles et ceux qui habitent dans les coins les plus reculés du pays. Et terminons ce rapide tour d'horizon par les saillies de Hamid Chabat, SG de l'Istiqlal et premier partenaire du parti qui conduit le gouvernement, qui a dit, le plus sincèrement et le plus directement du monde, que « le Maroc est en danger », avant d'entreprendre d'élaborer un nouveau programme pour le gouvernement auquel il appartient, ce qui constitue un précédent dans le monde, un parti membre d'un gouvernement appuyé sur son programme voté par le parlement, qui présente un autre programme au même gouvernement, dont il est pourtant l'un des piliers !
Avant toutes ces déclarations, une petite information avait filtré, sans que personne n'y prête vraiment attention. En mars dernier, la patronne du FMI, Christine Lagarde, avait visité l'Algérie et devait se rendre au Maroc, avant qu'elle n'annule ce déplacement à la dernière minute, sans raison connue. Et au lieu que Rabat ne publie un commentaire quelconque sur cette annulation, l'agence officielle d'informations a préféré s'en prendre à l'Algérie en mettent en exergue la fragilité et les mauvaises performances de son économie, comme si au Maroc, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes !
Pour sa part, Lagarde n'a pas non plus apporté d'explications sur sa décision de ne pas se rendre au Maroc, mais les connaisseurs de la chose économique savent, eux, que les experts du FMI ne voient pas d'un bon œil notre situation, et sont même assez irrités contre la gestion par le Maroc de son économie, une économie qui traverse une crise non déclarée officiellement.
    Ali Anouzla
Voici quelques jours, des bruits ont circulé sur un rapport confidentiel présenté par Nizar Baraka, le ministre des Finances, devant les leaders de la majorité formant le gouvernement. D'après ce que l'on sait de cette réunion tenue secrète et de ce rapport demeuré encore plus secret et qui dessine une image obscure de notre économie, tous les indicateurs économiques seraient au rouge, cette couleur qui augure d'une explosion imminente. Le ministre a ainsi dit que le déficit public tourne autour de 7,1%, que la masse salariale du public engloutit le tiers du budget, soit environ 96 milliards de DH, et que la très budgétivore Caisse de compensation, gourmande comme les feux de l'enfer, demande encore et toujours plus de milliards de DH. En 2012, cette Caisse avait avalé 55 milliards de DH, soit plus que le ministère de l'Education, le ministère qui dépense pour



.+tant le plus (49 milliards pour 2013). Et cette année, il est prévu que la Compensation passe à 60 milliards de DH, annulant tous les effets de la décision du gouvernement d'augmenter les prix des hydrocarbures, car les 5 milliards gagnés avec cette augmentation seront engloutie dans le trou noir de la Compensation. Les discussions autour de la réforme de la Caisse de compensation sont devenues une source d'inspiration pour tous, chacun y allant de sa propre partition. Le chef du gouvernement et son parti veulent en faire un Cheval de Troie grâce auquel ils réaliseront leurs grandes conquêtes ; leurs alliés de la majorité se dissimulent derrière la Caisse parce qu'ils considèrent que ce système compensatoire des prix est le seul à pouvoir éviter des augmentations de prix et des troubles qu'elles pourraient occasionner. L'opposition parlementaire – et derrière elle les différents lobbies et le pouvoir – tiennent la compensation pour une vache à lait dont ils refusent absolument de se passer.
Cette Caisse est devenue comme une bête sacrificielle, promue comme telle par les grands-prêtres de l'économie pour satisfaire les dieux et contenter la population qui la tient pour sacrée. On entend aujourd'hui tout un ensemble de thèses la concernant, ou plutôt des discussions byzantines entre ses défenseurs qui militent pour son maintien, ceux qui mettent en garde contre toute tentative de la toucher ou la réformer et ceux qui piaffent d'impatience pour la liquider et « distribuer cette chaire sacrée » aux pauvres, aux partisans et aux différents suiveurs qui deviendront plus tard des voix électorales... Et la situation restera telle que avant qu'une sorte de messie apparaisse, énervé, irrité, remonté, un messie qui détruira tout de son bâton, brûlera la bête et tous ceux qui en font commerce...
Et pourtant... les choses sont aussi claires que de l'eau de roche : l'argent de la Compensation, qui va grossir des comptes déjà bien fournis, doit revenir dans les caisses de l'Etat, car une grande partie de cet argent va en effet vers de grandes entreprises et autres riches et nantis du pays qui n'en ont pas nécessairement besoin. Récupérer ces fonds est une action qui doit se faire légalement, en demandant à ces personnes physiques et morales de restituer ce qui leur a été versé en subventions, en appliquant un impôt sur la fortune et sur les hauts revenus, comme cela est en vigueur dans les pays du monde.
Déjà, de son temps, le gouvernement Abderrahmane el Youssoufi avait essayé de faire cela, et le ministre des Affaires générales de cette époque, Ahmed Lahlimi, avait demandé à lever toute aide apportée au prix du sucre et à récupérer ce qui avait été accordé antérieurement aux grosses entreprises. Tollé général et persistant jusqu'à l'abandon de son idée par le ministre.
Mais on ne peut réduire les problèmes économiques du Maroc à cette Caisse de compensation, à ce trou sans fin qu'on ne peut ni combler ni colmater. Pour comprendre la situation actuelle de notre économie et comment elle en est arrivée à cet état qui alimente les sujets de discussion dans les salons feutrés de Rabat, il faut remettre les choses dans leur contexte historique.
La Caisse de compensation avait été initialement créée pour acheter une paix sociale fragile et pour faire taire les catégories les plus défavorisées. Et la lourde et sourde crise qui frappe aujourd'hui le Maroc revient à une accumulation d'années de mauvaise gouvernance. Mais les gouvernements qui se sont succédé ces dix dernières années n'ont jamais osé dire la vérité aux populations. Des organismes financiers internationaux ont même reconnu tout récemment que tous les chiffres exposés sur l'économie marocaine sont et étaient tronqués. Mais la bonne santé de l'économie mondiale et la forte croissance lors de la première décade du siècle avaient permis de masquer les dures réalités et les tares économiques marocaines, à travers les transferts des MRE, les arrivées massives de touristes et les investissements réalisés grâce à la politique d'ouverture économique des premières années du règne du roi Mohammed VI... avant que ces investissements ne se heurtent à la concurrence du palais, que leurs promoteurs bouclent leurs valises et s'en aillent ailleurs, ou au moins réduisent leur enthousiasme à investir encore.
En plus de cela, il faut souligner que l'économie marocaine s'est créé une bulle dans laquelle elle semblait prospérer, la bulle immobilière qui a enrichi les spéculateurs et nouveaux milliardaires et qui a attiré des hommes d'affaires nationaux venus d'autres secteurs vers la promotion/spéculation ; des gens du textile, par exemple, qui ont failli dans leurs entreprises, incapables qu'ils ont été de soutenir la compétition internationale mais très habiles à transformer leur argent en sources de financement pour des investissements immobiliers sans risques et sans peine, ni économiques ni sociaux... avec cette spéculation, la corruption est apparue dans le secteur, y a prospéré avant de devenir une pratique institutionnelle, comme cela avait été indiqué par un télégramme Wikileaks, et de s'étendre de l'administration pour concerner toutes les institutions, jusques-y compris celle de souveraineté, sans exception aucune.
Les choses étaient claires, le scénario était encore plus clair, et la crise frappait aux portes, mais malgré cela, les gouvernements successifs ont opté pour un discours lénifiant et « mensonger » tendant à dire et à redire que nous n'étions pas concernés par cette crise qui a pourtant mis à genoux des économies autrement plus solides et des sociétés autrement plus développées...
Le Maroc aujourd'hui paie le prix de toutes ces « connivences », et celui de ne pas avoir dit la vérité, toute la vérité aux Marocains. Plus grave encore, le pays paie le prix d'une absence de mise à niveau politique avant même une restructuration économique, une mise à niveau qui aurait instauré une véritable séparation des pouvoirs, qui serait passée par une réelle indépendance de la justice, qui aurait résolument mis un terme à cette corruption rampante et qui aurait aussi supprimé toute possibilité de confusion entre le pouvoir politique et le pouvoir économique.
Mais rien de tout cela ne s'est produit. Et même quand les populations étaient sorties dans les rues pour demander ces mises à niveau qui tardaient à être réalisées, le pouvoir avait préféré corrompre les fonctionnaires et les membres des forces de sécurité en concédant des augmentations de salaires importantes. Cela avait été le cas avec le gouvernement de Driss Jettou quand les salaires des policiers et assimilés avaient été relevés et leurs effectifs aussi, et cela avait été le cas aussi, d'une manière plutôt légère, quand avec le début des contestations, le gouvernement el Fassi avait décidé d'alourdir la charge de la masse salariale publique de 13 milliards de DH par an, dans une collusion pure et parfaite entre les syndicats et le pouvoir pour étouffer les protestations populaires...
Le problème au Maroc a été et est toujours de nature politique, avant même qu'il ne soit économique ; la crise qui menace de faire exploser ce qui peut exploser est la conséquence de l'aggravation et de la crispation de ce problème politique... c'est le problème du maintien de l'absolutisme et de l'autoritarisme, payés sur les deniers de l'Etat pour acheter une paix sociale illusoire et aussi pour gagner du temps... une paix sociale fondée sur l'achat des consciences des élites politiques, culturelles, médiatiques, appuyée sur la corruption des fonctionnaires, basée sur la répression des protestataires et autres manifestants, en plus, bien entendu, de la marginalisation encore plus, toujours plus, des populations éloignées... tout cela est le résultat de cette politique consistant à taire la réalité, la réalité d'une crise qui risque fort d'éclater et de tout emmener sur son passage...
Lire l'éditorial, en arabe, sur lakome.com

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