- Écrit par Ali Anouzla, Lakome, 5/4/2013
L'économie nationale n'est pas en bon état, cela est une vérité
désormais admise par tous. Finies les années d'opulence, bonjour les
vaches maigres. Toutes les récentes déclarations disent et confirment
cela.
Commençons par la dernière sortie du wali de Bank al-Maghrib,
Abdellatif Jouahri, qui a tiré la sonnette d'alarme, annonçant
l'imminence de la catastrophe. Poursuivons avec les propos de Mohand
Laenser, Secrétaire général du MP et ministre de l'Intérieur du
gouvernement qu'il critique, qui a appelé les Marocains à se serrer la
ceinture encore plus qu'elle ne l'est déjà pour toutes celles et ceux
qui habitent dans les coins les plus reculés du pays. Et terminons ce
rapide tour d'horizon par les saillies de Hamid Chabat, SG de l'Istiqlal
et premier partenaire du parti qui conduit le gouvernement, qui a dit,
le plus sincèrement et le plus directement du monde, que « le Maroc est
en danger », avant d'entreprendre d'élaborer un nouveau programme pour
le gouvernement auquel il appartient, ce qui constitue un précédent dans
le monde, un parti membre d'un gouvernement appuyé sur son programme
voté par le parlement, qui présente un autre programme au même
gouvernement, dont il est pourtant l'un des piliers !
Avant toutes ces déclarations, une petite information avait filtré,
sans que personne n'y prête vraiment attention. En mars dernier, la
patronne du FMI, Christine Lagarde, avait visité l'Algérie et devait se
rendre au Maroc, avant qu'elle n'annule ce déplacement à la dernière
minute, sans raison connue. Et au lieu que Rabat ne publie un
commentaire quelconque sur cette annulation, l'agence officielle
d'informations a préféré s'en prendre à l'Algérie en mettent en exergue
la fragilité et les mauvaises performances de son économie, comme si au
Maroc, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes !
Pour sa part, Lagarde n'a pas non plus apporté d'explications sur sa
décision de ne pas se rendre au Maroc, mais les connaisseurs de la chose
économique savent, eux, que les experts du FMI ne voient pas d'un bon
œil notre situation, et sont même assez irrités contre la gestion par le
Maroc de son économie, une économie qui traverse une crise non déclarée
officiellement.
Voici
quelques jours, des bruits ont circulé sur un rapport confidentiel
présenté par Nizar Baraka, le ministre des Finances, devant les leaders
de la majorité formant le gouvernement. D'après ce que l'on sait de
cette réunion tenue secrète et de ce rapport demeuré encore plus secret
et qui dessine une image obscure de notre économie, tous les indicateurs
économiques seraient au rouge, cette couleur qui augure d'une explosion
imminente. Le ministre a ainsi dit que le déficit public tourne autour
de 7,1%, que la masse salariale du public engloutit le tiers du budget,
soit environ 96 milliards de DH, et que la très budgétivore Caisse de
compensation, gourmande comme les feux de l'enfer, demande encore et
toujours plus de milliards de DH. En 2012, cette Caisse avait avalé 55
milliards de DH, soit plus que le ministère de l'Education, le ministère
qui dépense pour
.+tant le plus (49 milliards pour 2013). Et cette année,
il est prévu que la Compensation passe à 60 milliards de DH, annulant
tous les effets de la décision du gouvernement d'augmenter les prix des
hydrocarbures, car les 5 milliards gagnés avec cette augmentation seront
engloutie dans le trou noir de la Compensation.
Les discussions autour de la réforme de la Caisse de compensation
sont devenues une source d'inspiration pour tous, chacun y allant de sa
propre partition. Le chef du gouvernement et son parti veulent en faire
un Cheval de Troie grâce auquel ils réaliseront leurs grandes conquêtes ;
leurs alliés de la majorité se dissimulent derrière la Caisse parce
qu'ils considèrent que ce système compensatoire des prix est le seul à
pouvoir éviter des augmentations de prix et des troubles qu'elles
pourraient occasionner. L'opposition parlementaire – et derrière elle
les différents lobbies et le pouvoir – tiennent la compensation pour une
vache à lait dont ils refusent absolument de se passer.
Cette Caisse est devenue comme une bête sacrificielle, promue comme
telle par les grands-prêtres de l'économie pour satisfaire les dieux et
contenter la population qui la tient pour sacrée. On entend aujourd'hui
tout un ensemble de thèses la concernant, ou plutôt des discussions
byzantines entre ses défenseurs qui militent pour son maintien, ceux qui
mettent en garde contre toute tentative de la toucher ou la réformer et
ceux qui piaffent d'impatience pour la liquider et « distribuer cette
chaire sacrée » aux pauvres, aux partisans et aux différents suiveurs
qui deviendront plus tard des voix électorales... Et la situation
restera telle que avant qu'une sorte de messie apparaisse, énervé,
irrité, remonté, un messie qui détruira tout de son bâton, brûlera la
bête et tous ceux qui en font commerce...
Et pourtant... les choses sont aussi claires que de l'eau de roche :
l'argent de la Compensation, qui va grossir des comptes déjà bien
fournis, doit revenir dans les caisses de l'Etat, car une grande partie
de cet argent va en effet vers de grandes entreprises et autres riches
et nantis du pays qui n'en ont pas nécessairement besoin. Récupérer ces
fonds est une action qui doit se faire légalement, en demandant à ces
personnes physiques et morales de restituer ce qui leur a été versé en
subventions, en appliquant un impôt sur la fortune et sur les hauts
revenus, comme cela est en vigueur dans les pays du monde.
Déjà, de son temps, le gouvernement Abderrahmane el Youssoufi avait
essayé de faire cela, et le ministre des Affaires générales de cette
époque, Ahmed Lahlimi, avait demandé à lever toute aide apportée au prix
du sucre et à récupérer ce qui avait été accordé antérieurement aux
grosses entreprises. Tollé général et persistant jusqu'à l'abandon de
son idée par le ministre.
Mais on ne peut réduire les problèmes économiques du Maroc à cette
Caisse de compensation, à ce trou sans fin qu'on ne peut ni combler ni
colmater. Pour comprendre la situation actuelle de notre économie et
comment elle en est arrivée à cet état qui alimente les sujets de
discussion dans les salons feutrés de Rabat, il faut remettre les choses
dans leur contexte historique.
La Caisse de compensation avait été initialement créée pour acheter
une paix sociale fragile et pour faire taire les catégories les plus
défavorisées. Et la lourde et sourde crise qui frappe aujourd'hui le
Maroc revient à une accumulation d'années de mauvaise gouvernance. Mais
les gouvernements qui se sont succédé ces dix dernières années n'ont
jamais osé dire la vérité aux populations. Des organismes financiers
internationaux ont même reconnu tout récemment que tous les chiffres
exposés sur l'économie marocaine sont et étaient tronqués. Mais la bonne
santé de l'économie mondiale et la forte croissance lors de la première
décade du siècle avaient permis de masquer les dures réalités et les
tares économiques marocaines, à travers les transferts des MRE, les
arrivées massives de touristes et les investissements réalisés grâce à
la politique d'ouverture économique des premières années du règne du roi
Mohammed VI... avant que ces investissements ne se heurtent à la
concurrence du palais, que leurs promoteurs bouclent leurs valises et
s'en aillent ailleurs, ou au moins réduisent leur enthousiasme à
investir encore.
En plus de cela, il faut souligner que l'économie marocaine s'est
créé une bulle dans laquelle elle semblait prospérer, la bulle
immobilière qui a enrichi les spéculateurs et nouveaux milliardaires et
qui a attiré des hommes d'affaires nationaux venus d'autres secteurs
vers la promotion/spéculation ; des gens du textile, par exemple, qui
ont failli dans leurs entreprises, incapables qu'ils ont été de soutenir
la compétition internationale mais très habiles à transformer leur
argent en sources de financement pour des investissements immobiliers
sans risques et sans peine, ni économiques ni sociaux... avec cette
spéculation, la corruption est apparue dans le secteur, y a prospéré
avant de devenir une pratique institutionnelle, comme cela avait été
indiqué par un télégramme Wikileaks, et de s'étendre de l'administration
pour concerner toutes les institutions, jusques-y compris celle de
souveraineté, sans exception aucune.
Les choses étaient claires, le scénario était encore plus clair, et
la crise frappait aux portes, mais malgré cela, les gouvernements
successifs ont opté pour un discours lénifiant et « mensonger » tendant à
dire et à redire que nous n'étions pas concernés par cette crise qui a
pourtant mis à genoux des économies autrement plus solides et des
sociétés autrement plus développées...
Le Maroc aujourd'hui paie le prix de toutes ces « connivences », et
celui de ne pas avoir dit la vérité, toute la vérité aux Marocains. Plus
grave encore, le pays paie le prix d'une absence de mise à niveau
politique avant même une restructuration économique, une mise à niveau
qui aurait instauré une véritable séparation des pouvoirs, qui serait
passée par une réelle indépendance de la justice, qui aurait résolument
mis un terme à cette corruption rampante et qui aurait aussi supprimé
toute possibilité de confusion entre le pouvoir politique et le pouvoir
économique.
Mais rien de tout cela ne s'est produit. Et même quand les
populations étaient sorties dans les rues pour demander ces mises à
niveau qui tardaient à être réalisées, le pouvoir avait préféré
corrompre les fonctionnaires et les membres des forces de sécurité en
concédant des augmentations de salaires importantes. Cela avait été le
cas avec le gouvernement de Driss Jettou quand les salaires des
policiers et assimilés avaient été relevés et leurs effectifs aussi, et
cela avait été le cas aussi, d'une manière plutôt légère, quand avec le
début des contestations, le gouvernement el Fassi avait décidé
d'alourdir la charge de la masse salariale publique de 13 milliards de
DH par an, dans une collusion pure et parfaite entre les syndicats et le
pouvoir pour étouffer les protestations populaires...
Le problème au Maroc a été et est toujours de nature politique, avant
même qu'il ne soit économique ; la crise qui menace de faire exploser
ce qui peut exploser est la conséquence de l'aggravation et de la
crispation de ce problème politique... c'est le problème du maintien de
l'absolutisme et de l'autoritarisme, payés sur les deniers de l'Etat
pour acheter une paix sociale illusoire et aussi pour gagner du temps...
une paix sociale fondée sur l'achat des consciences des élites
politiques, culturelles, médiatiques, appuyée sur la corruption des
fonctionnaires, basée sur la répression des protestataires et autres
manifestants, en plus, bien entendu, de la marginalisation encore plus,
toujours plus, des populations éloignées... tout cela est le résultat de
cette politique consistant à taire la réalité, la réalité d'une crise
qui risque fort d'éclater et de tout emmener sur son passage...
Lire l'éditorial, en arabe, sur lakome.com
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