Tribunal militaire : conforme ou pas conforme ?
- Écrit par Christophe Guguen, Lakome, 4/3/2013
Juger des civils devant le tribunal militaire est contraire à la
constitution et aux engagements internationaux du Maroc, reconnaît le CNDH dans
un rapport salué ce week-end par Mohammed VI mais passé sous silence lors du
procès Gdim Izik.
Le roi Mohammed VI « s'est félicité de l'esprit de la démarche et de la
teneur » des rapports thématiques présentés récemment par le Conseil
national des droits de l'homme (CNDH), indique un communiqué du cabinet royal publié ce week-end.
Parmi ces rapports présentés au souverain, figure une proposition de réforme
du tribunal militaire qui doit permettre, selon le cabinet royal, « la mise
en conformité des textes actuellement en vigueur avec les dispositions de la
nouvelle Constitution et les engagements internationaux du Royaume. Le rapport
préconise notamment que les civils ne soient plus poursuivis devant le tribunal
militaire et que la compétence de ce dernier soit rétrécie.»
Cette annonce intervient deux semaines à peine après le verdict du tribunal
militaire de Rabat dans le procès Gdim Izik, où 25 civils sahraouis ont été
condamnés à des peines allant de deux ans de prison à la perpétuité.
Le rapport du CNDH a pourtant été élaboré avant le début du procès. Selon le
communiqué du cabinet royal, il a été adopté lors de la 4e session ordinaire du
CNDH, le 14 février dernier, soit trois jours avant le verdict. Aucune annonce
n'avait été faite à ce moment-là.
Droit à un procès équitable
Ce rapport du CNDH fait suite à plusieurs demandes de l'ONU, dont celle du
Comité sur la torture qui appelle le Maroc dans son rapport périodique 2011/2012
à « modifier sa législation afin que toutes les personnes civiles soient
jugées exclusivement par des juridictions civiles ». Il repose sur un
principe fondamental, inscrit dans les traités internationaux ratifiés par le
Maroc et dans la nouvelle constitution : le droit de tout individu à un procès
équitable et impartial.
Ce droit peut difficilement être garanti par le tribunal permanent militaire
des FAR, sachant que ses magistrats ne sont pas tenus de justifier les verdicts
rendus (aucun jugement écrit n'a été publié à l'issue du procès Gdim Izik,
malgré les lourdes peines prononcées) et qu'il est impossible pour les personnes
condamnées de faire appel de cette décision ; seul un pourvoi en cassation est
prévu par le code de justice militaire.
Vu l'importance et la portée symbolique du procès Gdim Izik, une question se
pose alors : pourquoi avoir maintenu le jugement de civils sahraouis par le
tribunal militaire si cette procédure n'est conforme ni à la nouvelle
constitution ni aux engagements internationaux du royaume ?
Critiquées par l'ONU et les organisations non-gouvernementales, les autorités
marocaines s'étaient justifiées en invoquant les dispositions de l'actuel code
de justice militaire (qui date de 1956). Pendant la semaine d'audience, des
experts en tout genre s'étaient relayés dans les médias nationaux pour tenter de
démontrer la pertinence du choix du tribunal militaire et l'exemplarité du
procès (exemples ici, ici et ici).
Une épine dans le pied
Il faut dire que la pression internationale s'était accentuée sur le Maroc
l'année passée pour juger – ou libérer – les détenus sahraouis incarcérés depuis
fin 2010 à Salé. Le procès avait déjà été reporté à plusieurs reprises, sans
explications officielles, depuis la fin de l'instruction en novembre 2011.
L'incarcération prolongée des 24 sahraouis était devenue une épine dans le pied
pour la diplomatie marocaine. Certaines échéances à venir - la publication du rapport Mendez en mars suivi du débat sur la Minurso en avril
- s'annonçaient compliquées à gérer pour Rabat.
Les autorités marocaines ont choisi de les juger devant le tribunal militaire
au mois de février. Selon Juan Mendez, "Le fait que l'affaire soit devant un
tribunal militaire plutôt que civil contribue au manque de transparence et au
refus d'enquêter sur les allégations de mauvais traitements." L'accusation
reposait quasi-exclusivement sur les aveux des prévenus, obtenus pendant leur
détention et sous la torture selon certains d'entre eux. Le verdict est tombé
après une semaine d'audiences ; les juges n'ont pas motivé leurs décisions.
L'Etat a ainsi « soldé » l'épisode Gdim Izik rapidement : au-delà de la
condamnation des 25 sahraouis, aucune responsabilité politique, administrative
et sécuritaire n'a été recherchée par la justice malgré les conclusions du rapport parlementaire de 2011 et les appels répétés de l'ONU,
à l'instar de Juan Mendez qui demande dans son rapport présenté ce lundi à
Genève l'ouverture "d'enquêtes sérieuses et impartiales pour établir les
faits exacts dans cette affaire ». Les autorités vont-elles être obligées
de faire marche arrière ?
URL Source : http://fr.lakome.com/index.php/politique/465-tribunal-militaire-la-reforme-re-devient-indispensable
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