Le journaliste marocain indépendant Ali Anouzla est envoyé en prison accusé d’encourager le terrorisme
“Nous sommes toujours en désaccord avec la loi” antiterroriste. Moustapha Ramid, 54 ans, alors président du groupe parlementaire du Parti de la Justice et du Développement (PJD, islamiste modéré), répétait sans cesse cette phrase le mercredi 21 mai 2003 dans son bureau à Casablanca. « Nous assistons à une régression politique», ajoutait-il. C’est ce jour-là que je l’ai connu. Je l’ai interviewé pour El País.Moustapha Ramid
Cinq jours auparavant Casablanca avait été ensanglantée par le plus brutal attentant qu’ait subit le Maroc : 45 morts, dont douze terroristes. Le gouvernement de Driss Jettou voulait faire approuver au Parlement une nouvelle loi bien plus répressive. Le PJD s’y opposait même si finalement, craignant de se faire mettre hors la loi, il a voté en sa faveur.
A peine
sorti de son bureau Ramid m’a appelé pour me demander d’y revenir. Il m’a alors
présenté à Eva María Montfort, une espagnole convertie à l’islam qui avait
épousé Bouchaib Maghder, un marocain pieux résident en Espagne. Maghder avait
été arrêté à Tanger en janvier 2003. Il fût condamné pour terrorisme en juillet de cette
année dans le cadre des grands procès collectifs qui ont eu lieu après les
attentats.
« Son dossier est vide ; il n’y a pas la moindre preuve solide contre
lui », insistait Ramid. Il disait d’ailleurs la même chose de la plupart
des clients qui peuplaient sa salle d’attente, presque tous des parents de
présumés terroristes islamistes que Ramid a défendu comme avocat, un métier qu’il
exerçait quand il n’était pas au Parlement. « Vous devez parler d’Eva et
de son mari dans votre journal », répétait-il.
Depuis
cette première rencontre je l’ai revu plusieurs fois lors de mes séjours au
Maroc. A part les prisonniers islamistes Ramid défendait aussi les journalistes
indépendants victimes, selon lui, d’un code de la presse
« liberticide ». Déjà en janvier 2001 il s’était était allé
manifester sa solidarité avec Aboubakr Jamai, directeur de l’hebdomadaire Le
Journal qui venait d’être interdit. Jamai faisait une grève de la faim pour
obtenir un récépissé et pouvoir sortir une nouvelle publication.
Ramid est devenu ministre en janvier 2012
et il a alors changé son fusil d’épaule. C’est en vertu de la loi
antiterroriste qu’il avait tant décriée qu’un procureur a ordonné, le mardi 17
septembre, à la police judiciaire l’arrestation d’Ali Anouzla, directeur du
site d’information indépendant Lakome qui avait mis en ligne la première vidéo
consacrée au Maroc d’Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI). Il signalait
d’ailleurs que le document, fort intéressant, était de la pure propagande
terroriste.
Depuis sa parution Lakome avait eu bon
nombre de scoops qui dérangent notamment sur la grâce royale octroyée en
juillet au pédophile espagnol Daniel Galvan. Fahd Iraqi, éditorialiste de l’hebdomadaire
Tel Quel, interprète comme beaucoup d’autres
au Maroc le « scandale Anouzla » comme une « vendetta des
faucons du régime contre une plume qui fait grincer des dents ».
Mardi soir, après une longue garde à vue,
Anouzla a été envoyé à la prison de Salé accusé par le juge d'instruction d’apologie du
terrorisme, incitation à l’exécution d’actes terroristes et assistance
matérielle aux terroristes. Rien que cela ! Le ministère public est au
Maroc bien plus dépendant du ministre de la Justice qu’il ne l’est dans la
plupart des pays européens. Ramid a-t-il rejoint les faucons ?
J’avais,
moi-aussi, mis sur mon blog la vidéo car AQMI y parlait d’émigration des
Marocains vers l’Espagne la déconseillant aux jeunes Marocains. J’ajoutais,
dans le « papier » qui accompagnait le document, que le Maroc était
le pays le plus épargné d’Afrique du Nord par les terroristes et cela grâce à
l’efficacité de ses forces de sécurité et à ce que la monarchie marocaine,
comme toutes les autres monarchies arabes, jouit d’une légitimité que n’ont pas
les républiques balayées par le « printemps-arabe ».
Malgré cela Ramid a annoncé, le mardi 17
septembre, qu’il allait faire un procès à mon journal en Espagne. Pourquoi n’en
fait-il autant avec tous les sites américains, à commencer par SITE, qui ont
eux aussi mis la vidéo en lignes ?
Ramid est ministre de Justice mais un de ces
anciens clients, Bouchaib Maghder, est toujours en prison. D’autres prisonniers
islamistes ont été graciés par le roi avant ou après sa nomination comme
ministre, mais pas Maghder. Et pourtant Ramid disait en 2003, comme d’autres
avocats, qu’il était le plus innocent de ceux qui allaient passer devant le
juge.
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