Maroc : Qu’est ce qui a manqué au Mouvement du 20 février ? [Analyse]
Dès 2012, Yabiladi analysait les raisons
de la quasi disparition du Mouvement du 20 février, à peine un an après
sa création. Aujourd’hui, l’un de ces militants, Montassir Sakhi, livre
sa propre analyse depuis l’intérieur du Mouvement.
« Le Mouvement [du 20 février] existe toujours comme le montre l’organisation mensuelle des journées militantes nationales (la 30e est prévue pour le 22 septembre) », indique l’AMDH, dans un communiqué rendu publique mercredi 18 septembre, pour la Journée Internationale de la Démocratie du 15 septembre, dimanche dernier. S’il n’est pas mort, le M20 a au moins disparu de la scène politique et médiatique. Dans un mémoire achevé il y a quelques jours Montassir Sakhi, étudiant en Sciences politiques à l’Université Vincennes-Saint-Denis, à Paris, intitulé « Le Mouvement du 20 février marocain : Conditions de naissance et évolution d’un mouvement protestataire », revient notamment sur les raisons de ce qu’il appelle « son essoufflement ».
« Un mouvement doit parler au nom d’un groupe, d’une nation, d’un peuple, d’une catégorie sociale partageant des intérêts, etc. afin de constituer son identité qu’on retrouve dans les revendications ou le discours de ses acteurs. Or, nous l’avons vu dans le cas du M20 (comme celui des mouvements de 2011 en général, les mouvements arabes en particulier) les acteurs ont maintenu une charte de revendication ouverte et vague. Dans le souci de convaincre le plus grand nombre d’adhérents ou encore pour éviter des divisions précoces, le M20 ne s’est pas identifié à un groupe social ou une classe donnée », explique Montassir Sakhi.
Le M20 héritier des opposants à Hassan II
Et pour cause, le mouvement ne s’est pas créé ex-nihilo via Facebook dans un soudain mouvement unificateur. Au contraire, il s’est fondé sur la pluralité des mouvements d’opposition qui existaient en 2011. La thèse majeure du mémoire de Montassir Sakhi est la suivante : le M20 puise ses origines dans l’histoire de l’opposition marocaine à Hassan II, de son effondrement et des nouvelles formes de contestations contemporaines.
Selon son analyse de l’histoire marocaine, l’opposition structurée de gauche au régime de Hassan II, sous les années de plombs, a perdu sa pertinence en 1998, quand l’USFP, arrivée au gouvernement, a échoué à réformer le pays. Elle n’a cependant pas définitivement disparue. « Ces dynamiques se sont accélérées depuis 2007, date qui a connu l’organisation des élections législatives déclarant la faillite du système électoral suite à un absentéisme record », estime Montassir Sakhi.
« Révoltes symboliques »
En 2008, la formation « Espace de Dialogue de la Gauche », est créée à Casablanca par des anciens militants de l’USFP et du PSU. L’étudiant d’aujourd’hui raconte également comment, au côté de plusieurs militants de gauche, notamment les jeunes du Parti Avant-gardiste Démocratique Socialiste (PADS), le Parti Socialiste Unifié (PSU), le Congrès National Ittihadi (CNI) et une tendance militante des jeunes de l’USFP et du Parti pour le Progrès et le Socialisme (PPS), il a participé à la création de l’association Mouvement Nouvel Horizon (MNH). Ces jeunes gens sont, comme l’auteur de l’étude lui-même, les enfants de familles d’anciens militants opposant à Hassan II à l’époque des années de plombs, leurs héritiers, en somme.
En parallèle de ces mouvements politiques en formation apparaissent ce que Montassir Sakhi appelle des « révoltes symboliques » face au pouvoir central. « [...] On cite la prolifération de l’économie informelle, de l’habitat insalubre, des bidonvilles, l’empiètement sur la propriété publique ayant transformé les villes en monstres explosifs. Les autorités sont restées incapables de faire face aux milliers de vendeurs ambulants et aux activités commerciales et aux marchés informels dans les grandes villes et les avenues centrales par exemple », rappelle-t-il. Le mouvement des diplômés chômeurs ont « transformé l’avenue Mohamed V de Rabat en un lieu de mobilisations permanentes. L’investissement de la rue va devenir depuis lors une pratique courante », explique-t-il.
Dénonciation désorganisée
« La peur des « années de plomb » a cédé la place à des formes de dénonciation inorganisée, un refus de la « hogra », du pouvoir, des représentants de l’Etat, notamment la police », conclut Montassir Sakhi. Sûr ce terrain historique et social naîtra le M20 dans le contexte des révolutions arabes, sans pour autant parvenir à former un groupe fort et unifié. Trop hétérogène, il reste également coupé de la plus grande partie de la population. « L’adhésion au mouvement ne peut être considérable tant que les organisations syndicales, les partis politiques et les associations qui composent et soutiennent le mouvement sont coupés des populations », explique l’auteur du mémoire.
Il lui manque un soutien essentiel pour prendre une véritable force : « les marginaux », selon le mot employé par Montassir Sakhi. « Le M20, en créant de nouveaux espaces (les assemblées générales, des grandes manifestations dans l’ensemble du territoire national, des groupes de débat sur internet), n’a pas réussi à intégrer tous les groupes sociaux dominés – les marginaux en particulier – [...] », reconnait Montassir Sakhi.
Coupé des marginaux
L’auteur du mémoire les définit ainsi : « Ces populations provenant de campagnes pauvres et victimes de sécheresse et de l’absence de services publics (notamment en matière de santé, d’enseignement, d’électricité et d’eau potable), viennent s’installer dans des bidonvilles contenants des milliers de familles ou encore construisent des villes entières insalubres (l’exemple de la ville de Salé ou encore Sidi Taybi – à proximité de Kénitra – est frappant). Ces populations sont généralement au chômage, sous-employées, ou vivent des emplois informels précaires. »
Alors que les jeunes du M20 sont issus de familles d’anciens militants et possèdent un capital culturel conséquent, les marginaux n’ont pas les « moyens de se constituer [...] en forces homogènes pour le changement », souligne-t-il. Incapables de former des organisations de luttes. « Combien de militants [du M20] s’étonnent quand leurs appels à manifester ne trouvent pas d’échos chez cette catégorie, se rappelle le jeune étudiant. L’étonnement est d’autant plus grand quand ils trouvent que les Baltagis sont recrutés en particulier de cette catégorie. »
« Seuls les organisations islamistes ont commencé à concurrencer le régime au sein des quartiers populaires qui constituent la base des marginaux », remarque Montassir Sakhi. L’organisation islamiste Al Adl Wal Ihssane a ainsi été la principale pourvoyeuse de manifestants tout au long de 2011. Quand elle décide de se retirer des manifestations du M20, début 2012, elle signe la fin progressive des manifestations.
Source : yabiladi.com
« Le Mouvement [du 20 février] existe toujours comme le montre l’organisation mensuelle des journées militantes nationales (la 30e est prévue pour le 22 septembre) », indique l’AMDH, dans un communiqué rendu publique mercredi 18 septembre, pour la Journée Internationale de la Démocratie du 15 septembre, dimanche dernier. S’il n’est pas mort, le M20 a au moins disparu de la scène politique et médiatique. Dans un mémoire achevé il y a quelques jours Montassir Sakhi, étudiant en Sciences politiques à l’Université Vincennes-Saint-Denis, à Paris, intitulé « Le Mouvement du 20 février marocain : Conditions de naissance et évolution d’un mouvement protestataire », revient notamment sur les raisons de ce qu’il appelle « son essoufflement ».
« Un mouvement doit parler au nom d’un groupe, d’une nation, d’un peuple, d’une catégorie sociale partageant des intérêts, etc. afin de constituer son identité qu’on retrouve dans les revendications ou le discours de ses acteurs. Or, nous l’avons vu dans le cas du M20 (comme celui des mouvements de 2011 en général, les mouvements arabes en particulier) les acteurs ont maintenu une charte de revendication ouverte et vague. Dans le souci de convaincre le plus grand nombre d’adhérents ou encore pour éviter des divisions précoces, le M20 ne s’est pas identifié à un groupe social ou une classe donnée », explique Montassir Sakhi.
Le M20 héritier des opposants à Hassan II
Et pour cause, le mouvement ne s’est pas créé ex-nihilo via Facebook dans un soudain mouvement unificateur. Au contraire, il s’est fondé sur la pluralité des mouvements d’opposition qui existaient en 2011. La thèse majeure du mémoire de Montassir Sakhi est la suivante : le M20 puise ses origines dans l’histoire de l’opposition marocaine à Hassan II, de son effondrement et des nouvelles formes de contestations contemporaines.
Selon son analyse de l’histoire marocaine, l’opposition structurée de gauche au régime de Hassan II, sous les années de plombs, a perdu sa pertinence en 1998, quand l’USFP, arrivée au gouvernement, a échoué à réformer le pays. Elle n’a cependant pas définitivement disparue. « Ces dynamiques se sont accélérées depuis 2007, date qui a connu l’organisation des élections législatives déclarant la faillite du système électoral suite à un absentéisme record », estime Montassir Sakhi.
« Révoltes symboliques »
En 2008, la formation « Espace de Dialogue de la Gauche », est créée à Casablanca par des anciens militants de l’USFP et du PSU. L’étudiant d’aujourd’hui raconte également comment, au côté de plusieurs militants de gauche, notamment les jeunes du Parti Avant-gardiste Démocratique Socialiste (PADS), le Parti Socialiste Unifié (PSU), le Congrès National Ittihadi (CNI) et une tendance militante des jeunes de l’USFP et du Parti pour le Progrès et le Socialisme (PPS), il a participé à la création de l’association Mouvement Nouvel Horizon (MNH). Ces jeunes gens sont, comme l’auteur de l’étude lui-même, les enfants de familles d’anciens militants opposant à Hassan II à l’époque des années de plombs, leurs héritiers, en somme.
En parallèle de ces mouvements politiques en formation apparaissent ce que Montassir Sakhi appelle des « révoltes symboliques » face au pouvoir central. « [...] On cite la prolifération de l’économie informelle, de l’habitat insalubre, des bidonvilles, l’empiètement sur la propriété publique ayant transformé les villes en monstres explosifs. Les autorités sont restées incapables de faire face aux milliers de vendeurs ambulants et aux activités commerciales et aux marchés informels dans les grandes villes et les avenues centrales par exemple », rappelle-t-il. Le mouvement des diplômés chômeurs ont « transformé l’avenue Mohamed V de Rabat en un lieu de mobilisations permanentes. L’investissement de la rue va devenir depuis lors une pratique courante », explique-t-il.
Dénonciation désorganisée
« La peur des « années de plomb » a cédé la place à des formes de dénonciation inorganisée, un refus de la « hogra », du pouvoir, des représentants de l’Etat, notamment la police », conclut Montassir Sakhi. Sûr ce terrain historique et social naîtra le M20 dans le contexte des révolutions arabes, sans pour autant parvenir à former un groupe fort et unifié. Trop hétérogène, il reste également coupé de la plus grande partie de la population. « L’adhésion au mouvement ne peut être considérable tant que les organisations syndicales, les partis politiques et les associations qui composent et soutiennent le mouvement sont coupés des populations », explique l’auteur du mémoire.
Il lui manque un soutien essentiel pour prendre une véritable force : « les marginaux », selon le mot employé par Montassir Sakhi. « Le M20, en créant de nouveaux espaces (les assemblées générales, des grandes manifestations dans l’ensemble du territoire national, des groupes de débat sur internet), n’a pas réussi à intégrer tous les groupes sociaux dominés – les marginaux en particulier – [...] », reconnait Montassir Sakhi.
Coupé des marginaux
L’auteur du mémoire les définit ainsi : « Ces populations provenant de campagnes pauvres et victimes de sécheresse et de l’absence de services publics (notamment en matière de santé, d’enseignement, d’électricité et d’eau potable), viennent s’installer dans des bidonvilles contenants des milliers de familles ou encore construisent des villes entières insalubres (l’exemple de la ville de Salé ou encore Sidi Taybi – à proximité de Kénitra – est frappant). Ces populations sont généralement au chômage, sous-employées, ou vivent des emplois informels précaires. »
Alors que les jeunes du M20 sont issus de familles d’anciens militants et possèdent un capital culturel conséquent, les marginaux n’ont pas les « moyens de se constituer [...] en forces homogènes pour le changement », souligne-t-il. Incapables de former des organisations de luttes. « Combien de militants [du M20] s’étonnent quand leurs appels à manifester ne trouvent pas d’échos chez cette catégorie, se rappelle le jeune étudiant. L’étonnement est d’autant plus grand quand ils trouvent que les Baltagis sont recrutés en particulier de cette catégorie. »
« Seuls les organisations islamistes ont commencé à concurrencer le régime au sein des quartiers populaires qui constituent la base des marginaux », remarque Montassir Sakhi. L’organisation islamiste Al Adl Wal Ihssane a ainsi été la principale pourvoyeuse de manifestants tout au long de 2011. Quand elle décide de se retirer des manifestations du M20, début 2012, elle signe la fin progressive des manifestations.
Source : yabiladi.com
Maroc : Qu’est ce qui a manqué au Mouvement du 20 février ? [Analyse]
Dès 2012, Yabiladi analysait les raisons de la quasi disparition du Mouvement du 20 février, à peine un an après sa création. Aujourd’hui, l’un de ces militants, Montassir Sakhi, livre sa propre analyse depuis l’intérieur du Mouvement.
« Le Mouvement [du 20 février] existe toujours comme le montre l’organisation mensuelle des journées militantes nationales (la 30e est prévue pour le 22 septembre) », indique l’AMDH, dans un communiqué rendu publique mercredi 18 septembre, pour la Journée Internationale de la Démocratie du 15 septembre, dimanche dernier. S’il n’est pas mort, le M20 a au moins disparu de la scène politique et médiatique. Dans un mémoire achevé il y a quelques jours Montassir Sakhi, étudiant en Sciences politiques à l’Université Vincennes-Saint-Denis, à Paris, intitulé « Le Mouvement du 20 février marocain : Conditions de naissance et évolution d’un mouvement protestataire », revient notamment sur les raisons de ce qu’il appelle « son essoufflement ».
« Un mouvement doit parler au nom d’un groupe, d’une nation, d’un peuple, d’une catégorie sociale partageant des intérêts, etc. afin de constituer son identité qu’on retrouve dans les revendications ou le discours de ses acteurs. Or, nous l’avons vu dans le cas du M20 (comme celui des mouvements de 2011 en général, les mouvements arabes en particulier) les acteurs ont maintenu une charte de revendication ouverte et vague. Dans le souci de convaincre le plus grand nombre d’adhérents ou encore pour éviter des divisions précoces, le M20 ne s’est pas identifié à un groupe social ou une classe donnée », explique Montassir Sakhi.
Le M20 héritier des opposants à Hassan II
Et pour cause, le mouvement ne s’est pas créé ex-nihilo via Facebook dans un soudain mouvement unificateur. Au contraire, il s’est fondé sur la pluralité des mouvements d’opposition qui existaient en 2011. La thèse majeure du mémoire de Montassir Sakhi est la suivante : le M20 puise ses origines dans l’histoire de l’opposition marocaine à Hassan II, de son effondrement et des nouvelles formes de contestations contemporaines.
Selon son analyse de l’histoire marocaine, l’opposition structurée de gauche au régime de Hassan II, sous les années de plombs, a perdu sa pertinence en 1998, quand l’USFP, arrivée au gouvernement, a échoué à réformer le pays. Elle n’a cependant pas définitivement disparue. « Ces dynamiques se sont accélérées depuis 2007, date qui a connu l’organisation des élections législatives déclarant la faillite du système électoral suite à un absentéisme record », estime Montassir Sakhi.
« Révoltes symboliques »
En 2008, la formation « Espace de Dialogue de la Gauche », est créée à Casablanca par des anciens militants de l’USFP et du PSU. L’étudiant d’aujourd’hui raconte également comment, au côté de plusieurs militants de gauche, notamment les jeunes du Parti Avant-gardiste Démocratique Socialiste (PADS), le Parti Socialiste Unifié (PSU), le Congrès National Ittihadi (CNI) et une tendance militante des jeunes de l’USFP et du Parti pour le Progrès et le Socialisme (PPS), il a participé à la création de l’association Mouvement Nouvel Horizon (MNH). Ces jeunes gens sont, comme l’auteur de l’étude lui-même, les enfants de familles d’anciens militants opposant à Hassan II à l’époque des années de plombs, leurs héritiers, en somme.
En parallèle de ces mouvements politiques en formation apparaissent ce que Montassir Sakhi appelle des « révoltes symboliques » face au pouvoir central. « [...] On cite la prolifération de l’économie informelle, de l’habitat insalubre, des bidonvilles, l’empiètement sur la propriété publique ayant transformé les villes en monstres explosifs. Les autorités sont restées incapables de faire face aux milliers de vendeurs ambulants et aux activités commerciales et aux marchés informels dans les grandes villes et les avenues centrales par exemple », rappelle-t-il. Le mouvement des diplômés chômeurs ont « transformé l’avenue Mohamed V de Rabat en un lieu de mobilisations permanentes. L’investissement de la rue va devenir depuis lors une pratique courante », explique-t-il.
Dénonciation désorganisée
« La peur des « années de plomb » a cédé la place à des formes de dénonciation inorganisée, un refus de la « hogra », du pouvoir, des représentants de l’Etat, notamment la police », conclut Montassir Sakhi. Sûr ce terrain historique et social naîtra le M20 dans le contexte des révolutions arabes, sans pour autant parvenir à former un groupe fort et unifié. Trop hétérogène, il reste également coupé de la plus grande partie de la population. « L’adhésion au mouvement ne peut être considérable tant que les organisations syndicales, les partis politiques et les associations qui composent et soutiennent le mouvement sont coupés des populations », explique l’auteur du mémoire.
Il lui manque un soutien essentiel pour prendre une véritable force : « les marginaux », selon le mot employé par Montassir Sakhi. « Le M20, en créant de nouveaux espaces (les assemblées générales, des grandes manifestations dans l’ensemble du territoire national, des groupes de débat sur internet), n’a pas réussi à intégrer tous les groupes sociaux dominés – les marginaux en particulier – [...] », reconnait Montassir Sakhi.
Coupé des marginaux
L’auteur du mémoire les définit ainsi : « Ces populations provenant de campagnes pauvres et victimes de sécheresse et de l’absence de services publics (notamment en matière de santé, d’enseignement, d’électricité et d’eau potable), viennent s’installer dans des bidonvilles contenants des milliers de familles ou encore construisent des villes entières insalubres (l’exemple de la ville de Salé ou encore Sidi Taybi – à proximité de Kénitra – est frappant). Ces populations sont généralement au chômage, sous-employées, ou vivent des emplois informels précaires. »
Alors que les jeunes du M20 sont issus de familles d’anciens militants et possèdent un capital culturel conséquent, les marginaux n’ont pas les « moyens de se constituer [...] en forces homogènes pour le changement », souligne-t-il. Incapables de former des organisations de luttes. « Combien de militants [du M20] s’étonnent quand leurs appels à manifester ne trouvent pas d’échos chez cette catégorie, se rappelle le jeune étudiant. L’étonnement est d’autant plus grand quand ils trouvent que les Baltagis sont recrutés en particulier de cette catégorie. »
« Seuls les organisations islamistes ont commencé à concurrencer le régime au sein des quartiers populaires qui constituent la base des marginaux », remarque Montassir Sakhi. L’organisation islamiste Al Adl Wal Ihssane a ainsi été la principale pourvoyeuse de manifestants tout au long de 2011. Quand elle décide de se retirer des manifestations du M20, début 2012, elle signe la fin progressive des manifestations.
SUIVRE YABILADI
Maroc : Qu’est ce qui a manqué au Mouvement du 20 février ? [Analyse]
Dès 2012, Yabiladi analysait les raisons de la quasi disparition du Mouvement du 20 février, à peine un an après sa création. Aujourd’hui, l’un de ces militants, Montassir Sakhi, livre sa propre analyse depuis l’intérieur du Mouvement.
« Le Mouvement [du 20 février] existe toujours comme le montre l’organisation mensuelle des journées militantes nationales (la 30e est prévue pour le 22 septembre) », indique l’AMDH, dans un communiqué rendu publique mercredi 18 septembre, pour la Journée Internationale de la Démocratie du 15 septembre, dimanche dernier. S’il n’est pas mort, le M20 a au moins disparu de la scène politique et médiatique. Dans un mémoire achevé il y a quelques jours Montassir Sakhi, étudiant en Sciences politiques à l’Université Vincennes-Saint-Denis, à Paris, intitulé « Le Mouvement du 20 février marocain : Conditions de naissance et évolution d’un mouvement protestataire », revient notamment sur les raisons de ce qu’il appelle « son essoufflement ».
« Un mouvement doit parler au nom d’un groupe, d’une nation, d’un peuple, d’une catégorie sociale partageant des intérêts, etc. afin de constituer son identité qu’on retrouve dans les revendications ou le discours de ses acteurs. Or, nous l’avons vu dans le cas du M20 (comme celui des mouvements de 2011 en général, les mouvements arabes en particulier) les acteurs ont maintenu une charte de revendication ouverte et vague. Dans le souci de convaincre le plus grand nombre d’adhérents ou encore pour éviter des divisions précoces, le M20 ne s’est pas identifié à un groupe social ou une classe donnée », explique Montassir Sakhi.
Le M20 héritier des opposants à Hassan II
Et pour cause, le mouvement ne s’est pas créé ex-nihilo via Facebook dans un soudain mouvement unificateur. Au contraire, il s’est fondé sur la pluralité des mouvements d’opposition qui existaient en 2011. La thèse majeure du mémoire de Montassir Sakhi est la suivante : le M20 puise ses origines dans l’histoire de l’opposition marocaine à Hassan II, de son effondrement et des nouvelles formes de contestations contemporaines.
Selon son analyse de l’histoire marocaine, l’opposition structurée de gauche au régime de Hassan II, sous les années de plombs, a perdu sa pertinence en 1998, quand l’USFP, arrivée au gouvernement, a échoué à réformer le pays. Elle n’a cependant pas définitivement disparue. « Ces dynamiques se sont accélérées depuis 2007, date qui a connu l’organisation des élections législatives déclarant la faillite du système électoral suite à un absentéisme record », estime Montassir Sakhi.
« Révoltes symboliques »
En 2008, la formation « Espace de Dialogue de la Gauche », est créée à Casablanca par des anciens militants de l’USFP et du PSU. L’étudiant d’aujourd’hui raconte également comment, au côté de plusieurs militants de gauche, notamment les jeunes du Parti Avant-gardiste Démocratique Socialiste (PADS), le Parti Socialiste Unifié (PSU), le Congrès National Ittihadi (CNI) et une tendance militante des jeunes de l’USFP et du Parti pour le Progrès et le Socialisme (PPS), il a participé à la création de l’association Mouvement Nouvel Horizon (MNH). Ces jeunes gens sont, comme l’auteur de l’étude lui-même, les enfants de familles d’anciens militants opposant à Hassan II à l’époque des années de plombs, leurs héritiers, en somme.
En parallèle de ces mouvements politiques en formation apparaissent ce que Montassir Sakhi appelle des « révoltes symboliques » face au pouvoir central. « [...] On cite la prolifération de l’économie informelle, de l’habitat insalubre, des bidonvilles, l’empiètement sur la propriété publique ayant transformé les villes en monstres explosifs. Les autorités sont restées incapables de faire face aux milliers de vendeurs ambulants et aux activités commerciales et aux marchés informels dans les grandes villes et les avenues centrales par exemple », rappelle-t-il. Le mouvement des diplômés chômeurs ont « transformé l’avenue Mohamed V de Rabat en un lieu de mobilisations permanentes. L’investissement de la rue va devenir depuis lors une pratique courante », explique-t-il.
Dénonciation désorganisée
« La peur des « années de plomb » a cédé la place à des formes de dénonciation inorganisée, un refus de la « hogra », du pouvoir, des représentants de l’Etat, notamment la police », conclut Montassir Sakhi. Sûr ce terrain historique et social naîtra le M20 dans le contexte des révolutions arabes, sans pour autant parvenir à former un groupe fort et unifié. Trop hétérogène, il reste également coupé de la plus grande partie de la population. « L’adhésion au mouvement ne peut être considérable tant que les organisations syndicales, les partis politiques et les associations qui composent et soutiennent le mouvement sont coupés des populations », explique l’auteur du mémoire.
Il lui manque un soutien essentiel pour prendre une véritable force : « les marginaux », selon le mot employé par Montassir Sakhi. « Le M20, en créant de nouveaux espaces (les assemblées générales, des grandes manifestations dans l’ensemble du territoire national, des groupes de débat sur internet), n’a pas réussi à intégrer tous les groupes sociaux dominés – les marginaux en particulier – [...] », reconnait Montassir Sakhi.
Coupé des marginaux
L’auteur du mémoire les définit ainsi : « Ces populations provenant de campagnes pauvres et victimes de sécheresse et de l’absence de services publics (notamment en matière de santé, d’enseignement, d’électricité et d’eau potable), viennent s’installer dans des bidonvilles contenants des milliers de familles ou encore construisent des villes entières insalubres (l’exemple de la ville de Salé ou encore Sidi Taybi – à proximité de Kénitra – est frappant). Ces populations sont généralement au chômage, sous-employées, ou vivent des emplois informels précaires. »
Alors que les jeunes du M20 sont issus de familles d’anciens militants et possèdent un capital culturel conséquent, les marginaux n’ont pas les « moyens de se constituer [...] en forces homogènes pour le changement », souligne-t-il. Incapables de former des organisations de luttes. « Combien de militants [du M20] s’étonnent quand leurs appels à manifester ne trouvent pas d’échos chez cette catégorie, se rappelle le jeune étudiant. L’étonnement est d’autant plus grand quand ils trouvent que les Baltagis sont recrutés en particulier de cette catégorie. »
« Seuls les organisations islamistes ont commencé à concurrencer le régime au sein des quartiers populaires qui constituent la base des marginaux », remarque Montassir Sakhi. L’organisation islamiste Al Adl Wal Ihssane a ainsi été la principale pourvoyeuse de manifestants tout au long de 2011. Quand elle décide de se retirer des manifestations du M20, début 2012, elle signe la fin progressive des manifestations.
SUIVRE YABILADI
Maroc : Qu’est ce qui a manqué au Mouvement du 20 février ? [Analyse]
Dès 2012, Yabiladi analysait les raisons de la quasi disparition du Mouvement du 20 février, à peine un an après sa création. Aujourd’hui, l’un de ces militants, Montassir Sakhi, livre sa propre analyse depuis l’intérieur du Mouvement.
« Le Mouvement [du 20 février] existe toujours comme le montre l’organisation mensuelle des journées militantes nationales (la 30e est prévue pour le 22 septembre) », indique l’AMDH, dans un communiqué rendu publique mercredi 18 septembre, pour la Journée Internationale de la Démocratie du 15 septembre, dimanche dernier. S’il n’est pas mort, le M20 a au moins disparu de la scène politique et médiatique. Dans un mémoire achevé il y a quelques jours Montassir Sakhi, étudiant en Sciences politiques à l’Université Vincennes-Saint-Denis, à Paris, intitulé « Le Mouvement du 20 février marocain : Conditions de naissance et évolution d’un mouvement protestataire », revient notamment sur les raisons de ce qu’il appelle « son essoufflement ».
« Un mouvement doit parler au nom d’un groupe, d’une nation, d’un peuple, d’une catégorie sociale partageant des intérêts, etc. afin de constituer son identité qu’on retrouve dans les revendications ou le discours de ses acteurs. Or, nous l’avons vu dans le cas du M20 (comme celui des mouvements de 2011 en général, les mouvements arabes en particulier) les acteurs ont maintenu une charte de revendication ouverte et vague. Dans le souci de convaincre le plus grand nombre d’adhérents ou encore pour éviter des divisions précoces, le M20 ne s’est pas identifié à un groupe social ou une classe donnée », explique Montassir Sakhi.
Le M20 héritier des opposants à Hassan II
Et pour cause, le mouvement ne s’est pas créé ex-nihilo via Facebook dans un soudain mouvement unificateur. Au contraire, il s’est fondé sur la pluralité des mouvements d’opposition qui existaient en 2011. La thèse majeure du mémoire de Montassir Sakhi est la suivante : le M20 puise ses origines dans l’histoire de l’opposition marocaine à Hassan II, de son effondrement et des nouvelles formes de contestations contemporaines.
Selon son analyse de l’histoire marocaine, l’opposition structurée de gauche au régime de Hassan II, sous les années de plombs, a perdu sa pertinence en 1998, quand l’USFP, arrivée au gouvernement, a échoué à réformer le pays. Elle n’a cependant pas définitivement disparue. « Ces dynamiques se sont accélérées depuis 2007, date qui a connu l’organisation des élections législatives déclarant la faillite du système électoral suite à un absentéisme record », estime Montassir Sakhi.
« Révoltes symboliques »
En 2008, la formation « Espace de Dialogue de la Gauche », est créée à Casablanca par des anciens militants de l’USFP et du PSU. L’étudiant d’aujourd’hui raconte également comment, au côté de plusieurs militants de gauche, notamment les jeunes du Parti Avant-gardiste Démocratique Socialiste (PADS), le Parti Socialiste Unifié (PSU), le Congrès National Ittihadi (CNI) et une tendance militante des jeunes de l’USFP et du Parti pour le Progrès et le Socialisme (PPS), il a participé à la création de l’association Mouvement Nouvel Horizon (MNH). Ces jeunes gens sont, comme l’auteur de l’étude lui-même, les enfants de familles d’anciens militants opposant à Hassan II à l’époque des années de plombs, leurs héritiers, en somme.
En parallèle de ces mouvements politiques en formation apparaissent ce que Montassir Sakhi appelle des « révoltes symboliques » face au pouvoir central. « [...] On cite la prolifération de l’économie informelle, de l’habitat insalubre, des bidonvilles, l’empiètement sur la propriété publique ayant transformé les villes en monstres explosifs. Les autorités sont restées incapables de faire face aux milliers de vendeurs ambulants et aux activités commerciales et aux marchés informels dans les grandes villes et les avenues centrales par exemple », rappelle-t-il. Le mouvement des diplômés chômeurs ont « transformé l’avenue Mohamed V de Rabat en un lieu de mobilisations permanentes. L’investissement de la rue va devenir depuis lors une pratique courante », explique-t-il.
Dénonciation désorganisée
« La peur des « années de plomb » a cédé la place à des formes de dénonciation inorganisée, un refus de la « hogra », du pouvoir, des représentants de l’Etat, notamment la police », conclut Montassir Sakhi. Sûr ce terrain historique et social naîtra le M20 dans le contexte des révolutions arabes, sans pour autant parvenir à former un groupe fort et unifié. Trop hétérogène, il reste également coupé de la plus grande partie de la population. « L’adhésion au mouvement ne peut être considérable tant que les organisations syndicales, les partis politiques et les associations qui composent et soutiennent le mouvement sont coupés des populations », explique l’auteur du mémoire.
Il lui manque un soutien essentiel pour prendre une véritable force : « les marginaux », selon le mot employé par Montassir Sakhi. « Le M20, en créant de nouveaux espaces (les assemblées générales, des grandes manifestations dans l’ensemble du territoire national, des groupes de débat sur internet), n’a pas réussi à intégrer tous les groupes sociaux dominés – les marginaux en particulier – [...] », reconnait Montassir Sakhi.
Coupé des marginaux
L’auteur du mémoire les définit ainsi : « Ces populations provenant de campagnes pauvres et victimes de sécheresse et de l’absence de services publics (notamment en matière de santé, d’enseignement, d’électricité et d’eau potable), viennent s’installer dans des bidonvilles contenants des milliers de familles ou encore construisent des villes entières insalubres (l’exemple de la ville de Salé ou encore Sidi Taybi – à proximité de Kénitra – est frappant). Ces populations sont généralement au chômage, sous-employées, ou vivent des emplois informels précaires. »
Alors que les jeunes du M20 sont issus de familles d’anciens militants et possèdent un capital culturel conséquent, les marginaux n’ont pas les « moyens de se constituer [...] en forces homogènes pour le changement », souligne-t-il. Incapables de former des organisations de luttes. « Combien de militants [du M20] s’étonnent quand leurs appels à manifester ne trouvent pas d’échos chez cette catégorie, se rappelle le jeune étudiant. L’étonnement est d’autant plus grand quand ils trouvent que les Baltagis sont recrutés en particulier de cette catégorie. »
« Seuls les organisations islamistes ont commencé à concurrencer le régime au sein des quartiers populaires qui constituent la base des marginaux », remarque Montassir Sakhi. L’organisation islamiste Al Adl Wal Ihssane a ainsi été la principale pourvoyeuse de manifestants tout au long de 2011. Quand elle décide de se retirer des manifestations du M20, début 2012, elle signe la fin progressive des manifestations.
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