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samedi 28 septembre 2013

Interview : Khalid Jamai sur l’affaire Anouzla

Khalid Jamai, journaliste

Khalid Jamai a bien voulu répondre aux questions de Lakome sur l’affaire Ali Anouzla. Pour lui, cette poursuite est hautement politique et témoigne d’un acharnement qui ne date pas d’hier contre la presse libre au Maroc.
Selon vous, pourquoi le journaliste Ali Anouzla fait objet de poursuite dans le cadre de la loi anti-terroriste ?
Il est erroné de croire que c’est Ali Anouzla qui est visé par cette arrestation. L’objectif est de fermer le site Lakome.  Lakome est une équation qui réunit deux expériences gênantes pour le régime marocain : Le journal Hebdo et Al Jarida Al Oula respectivement dirigée par Abou Bakr Jamai et Ali Anouzla. On se souvient tous comment le pouvoir avait usé de toutes sortes de stratagèmes pour juguler ces deux organes de presse.
Lakome constitue, avec d’autres sites d’information électroniques ce dernier carré de résistance de la liberté d’expression au Maroc. Je pense aussi que la version francophone du site gêne les autorités car son contenu touche les représentations diplomatiques et un public étranger habitués aux dépêches et aux communiqués officiels.
Pensez-vous que la ligne éditoriale de Lakome constitue une menace pour le régime marocain ?
Absolument. Lakome mène des investigations sur des problématiques gênantes pour l’entourage du roi Mohammed VI. Je pense notamment à l’enquête sur les carrières de sable pour laquelle aucun communiqué officiel, ni de la part du Cabinet royal, ni du ministère de l’équipement n’est venu démentir les conclusions de cette enquête. C’est aussi Lakome qui a révélé l’affaire du DanielGate.
Pensez-vous qu’Ali Anouzla a fait de l’apologie du terrorisme en informant les Marocains de l’existence d’une vidéo d’Aqmi qui menace le roi du Maroc ?
Je pense plutôt que la vidéo est un prétexte, car les autorités en croyant arrêter Anouzla pensaient faire cesser le site Lakome de fonctionner.
Certains parlent d’acharnement contre la presse indépendante, partagez-vous cet avis ?
Parfaitement. Les censeurs d’aujourd’hui sont en parfaite harmonie avec ce qu’avaient commencé leurs prédécesseurs quelques années auparavant en fermant un certain nombre d’organes de presse comme Demain, Le Journal Hebdo, Assahifa ou Al Jarida Al Oula. C’est la même logique liberticide contre la liberté de la presse qui continue. Le génie qui a orchestré ce procès contre Anouzla est le même esprit qui a pondu l’incident diplomatique avec l’Espagne sur le rocher Leila et qui a failli coûté une guerre entre le Maroc et L’Espagne au point que Colin Powel écrivit dans ces mémoires "ces Marocains qui m’ont fait perdre 24 heures de ma vie !".
La décision de poursuite contre Anouzla aurait alors un caractère politique ?
Je dirai même qu’il s’agit d’une décision hautement politique qui a été prise au cabinet royal, sinon plus haut. Personne ne pourra me faire croire que  le Chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane ou son ministre de la Justice et des libertés, Mustapha Ramid ont pu prendre pareille décision. Je pense qu’ils ont été les derniers à être informés des poursuites engagées contre Ali, mais ceci n’exonère en rien leur responsabilité dans cette histoire, en tant que membres du gouvernement. Ramid est Chef du parquet. Le fait pour lui de ne pas avoir initié les poursuites n’exclut pas sa responsabilité. Je pense aussi que c’est une affaire qui a été montée au niveau de la Direction des Affaires pénales et des Grâces, connue pour se charger de ce genre de dossier et surtout pour ses liens avec certains cercles influents du pouvoir.
Le ministère public n’a-t-il pas pensé aux conséquences désastreuses d’une telle affaire sur l’image du Maroc d’autant qu’un très large mouvement de solidarité à l’intérieur et à l’extérieur du Maroc s’est constitué en faveur du journaliste Ali Anouzla ?
Mon sentiment est que les autorités marocaines sont conscientes d’enfreindre la loi dans cette affaire. Elles sont dans une logique de répression aveugle qui ne se soucie guère d’une reddition des comptes. Par contre, elles ont sous-estimé les effets d’une telle arrestation. Aujourd’hui, 50 des organisations de défense des droits de l’homme et de libertés de la presse les plus réputées dans le monde s’indignent contre une telle décision. Des tribus sahraouies dont Ali Anouzla est originaire et dont une partie se trouve à Guelmim et l’autre en Mauritanie se sont soulevées contre cette injustice. C’est dire la portée internationale d’une telle décision non réfléchie.
Pensez-vous que le Maroc a eu raison de poursuivre El Pais pour avoir fait un papier sur la vidéo d’AQMI ?
Le ridicule ne tue plus au Maroc ! Je me demande pourquoi Ramid n’attaque pas le site Youtube, tant qu’il y est ! Ou les sites américains qui ont relayé l’information. Mais je ne pense pas que les autorités vont aller  au bout de leur logique liberticide. Jusqu’à maintenant aucune plainte officielle n’a été enregistrée contre le quotidien espagnol. Mais l’intelligence de ce gouvernement n’arrête pas d’égrener des perles. Monsieur El Khalfi, ministre de la communication et porte-parole du gouvernement nous justifie la plainte contre El Pais par le fait que la vidéo incriminée  a été diffusé en langue arabe. Et là j’ai une question à poser à monsieur le ministre : si la vidéo comportait des expressions diffamatoires à l’égard du roi du Maroc, en anglais ou dans une autre langue, celle-ci aurait été tolérée ?
Le timing de l’arrestation d’Ali Anouzla a-t-il une signification pour vous ?
Je pense que le Makhzen veut nous montrer comment il compte appliquer le contenu de la nouvelle charte de la réforme de la justice et remet ainsi en question la crédibilité de son contenu.
De plus, cette arrestation a été précédé d’une série d’encarts publiés ici et là contre Lakome pour préparer l’opinion publique à une telle décision. Ces articles rappellent la méthode adoptée contre le Journal Hebdo lorsqu’il fut accusé de "5ème colonne", de média pro-polisario ou hostile à l’intégrité territoriale.
Que pensez-vous de la réaction de certains partis politiques concernant cette affaire ?
Ils  restent fidèles à leur vocation. Je vous rappelle le rôle joué par Nabil Benabdellah lorsqu’il était ministre de la Communication ainsi que son acolyte Khalid Nassiri durant l’affaire du Journal Hebdo. On assiste au même modus operandi. On se souvient comment ces deux-là avaient écumé les plateaux de télévisions pour préparer la mise à mort de ce qui restait de la presse libre au Maroc. Le PJD ainsi que les autres partis (MP, RNI, etc…) ont publié des communiqués dans lesquels ils expriment leur solidarité avec ceux qui ont donné l’ordre de poursuivre Ali. La messe est dite. Ces partis partagent une caractéristique qui leur est consubstantielle : ils vont toujours au delà du désir du pouvoir ! 
Votre pronostic sur l’avenir de la presse indépendante ?
Je pense que l’ensemble du peuple marocain et pas seulement la presse sont dans une sorte de « liberté provisoire » qui menace tous les esprits libres et qui se dresse en épouvantail contre toute appréciation critique des centres de décision au Maroc.

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