- Écrit par Lakome, 27/9/2013
Khalid Jamai a bien voulu
répondre aux questions de Lakome sur l’affaire Ali Anouzla. Pour lui,
cette poursuite est hautement politique et témoigne d’un acharnement qui
ne date pas d’hier contre la presse libre au Maroc.
Selon vous, pourquoi le journaliste Ali Anouzla fait objet de poursuite dans le cadre de la loi anti-terroriste ?
Il est erroné de croire que c’est Ali
Anouzla qui est visé par cette arrestation. L’objectif est de fermer le
site Lakome. Lakome est une équation qui réunit deux expériences
gênantes pour le régime marocain : Le journal Hebdo et Al Jarida Al Oula
respectivement dirigée par Abou Bakr Jamai et Ali Anouzla. On se
souvient tous comment le pouvoir avait usé de toutes sortes de
stratagèmes pour juguler ces deux organes de presse.
Lakome constitue, avec d’autres sites
d’information électroniques ce dernier carré de résistance de la liberté
d’expression au Maroc. Je pense aussi que la version francophone du
site gêne les autorités car son contenu touche les représentations
diplomatiques et un public étranger habitués aux dépêches et aux
communiqués officiels.
Pensez-vous que la ligne éditoriale de Lakome constitue une menace pour le régime marocain ?
Absolument. Lakome mène des
investigations sur des problématiques gênantes pour l’entourage du roi
Mohammed VI. Je pense notamment à l’enquête sur les carrières de sable
pour laquelle aucun communiqué officiel, ni de la part du Cabinet
royal, ni du ministère de l’équipement n’est venu démentir les
conclusions de cette enquête. C’est aussi Lakome qui a révélé l’affaire
du DanielGate.
Pensez-vous qu’Ali Anouzla a
fait de l’apologie du terrorisme en informant les Marocains de
l’existence d’une vidéo d’Aqmi qui menace le roi du Maroc ?
Je pense plutôt que la vidéo est un
prétexte, car les autorités en croyant arrêter Anouzla pensaient faire
cesser le site Lakome de fonctionner.
Certains parlent d’acharnement contre la presse indépendante, partagez-vous cet avis ?
Parfaitement. Les censeurs d’aujourd’hui
sont en parfaite harmonie avec ce qu’avaient commencé leurs
prédécesseurs quelques années auparavant en fermant un certain nombre
d’organes de presse comme Demain, Le Journal Hebdo, Assahifa ou Al
Jarida Al Oula. C’est la même logique liberticide contre la liberté de
la presse qui continue. Le génie qui a orchestré ce procès contre
Anouzla est le même esprit qui a pondu l’incident diplomatique avec
l’Espagne sur le rocher Leila et qui a failli coûté une guerre entre le
Maroc et L’Espagne au point que Colin Powel écrivit dans ces mémoires "ces Marocains qui m’ont fait perdre 24 heures de ma vie !".
La décision de poursuite contre Anouzla aurait alors un caractère politique ?
Je dirai même qu’il s’agit d’une
décision hautement politique qui a été prise au cabinet royal, sinon
plus haut. Personne ne pourra me faire croire que le Chef du
gouvernement, Abdelilah Benkirane ou son ministre de la Justice et des
libertés, Mustapha Ramid ont pu prendre pareille décision. Je pense
qu’ils ont été les derniers à être informés des poursuites engagées
contre Ali, mais ceci n’exonère en rien leur responsabilité dans cette
histoire, en tant que membres du gouvernement. Ramid est Chef du
parquet. Le fait pour lui de ne pas avoir initié les poursuites n’exclut
pas sa responsabilité. Je pense aussi que c’est une affaire qui a été
montée au niveau de la Direction des Affaires pénales et des Grâces,
connue pour se charger de ce genre de dossier et surtout pour ses liens
avec certains cercles influents du pouvoir.
Le ministère public n’a-t-il pas
pensé aux conséquences désastreuses d’une telle affaire sur l’image du
Maroc d’autant qu’un très large mouvement de solidarité à l’intérieur et
à l’extérieur du Maroc s’est constitué en faveur du journaliste Ali
Anouzla ?
Mon sentiment est que les autorités
marocaines sont conscientes d’enfreindre la loi dans cette affaire.
Elles sont dans une logique de répression aveugle qui ne se soucie guère
d’une reddition des comptes. Par contre, elles ont sous-estimé les
effets d’une telle arrestation. Aujourd’hui, 50 des organisations de
défense des droits de l’homme et de libertés de la presse les plus
réputées dans le monde s’indignent contre une telle décision. Des tribus
sahraouies dont Ali Anouzla est originaire et dont une partie se trouve
à Guelmim et l’autre en Mauritanie se sont soulevées contre cette
injustice. C’est dire la portée internationale d’une telle décision non
réfléchie.
Pensez-vous que le Maroc a eu raison de poursuivre El Pais pour avoir fait un papier sur la vidéo d’AQMI ?
Le ridicule ne tue plus au Maroc ! Je me
demande pourquoi Ramid n’attaque pas le site Youtube, tant qu’il y
est ! Ou les sites américains qui ont relayé l’information. Mais je ne
pense pas que les autorités vont aller au bout de leur logique
liberticide. Jusqu’à maintenant aucune plainte officielle n’a été
enregistrée contre le quotidien espagnol. Mais l’intelligence de ce
gouvernement n’arrête pas d’égrener des perles. Monsieur El Khalfi,
ministre de la communication et porte-parole du gouvernement nous
justifie la plainte contre El Pais par le fait que la vidéo incriminée
a été diffusé en langue arabe. Et là j’ai une question à poser à
monsieur le ministre : si la vidéo comportait des expressions
diffamatoires à l’égard du roi du Maroc, en anglais ou dans une autre
langue, celle-ci aurait été tolérée ?
Le timing de l’arrestation d’Ali Anouzla a-t-il une signification pour vous ?
Je pense que le Makhzen veut nous
montrer comment il compte appliquer le contenu de la nouvelle charte de
la réforme de la justice et remet ainsi en question la crédibilité de
son contenu.
De plus, cette arrestation a été précédé
d’une série d’encarts publiés ici et là contre Lakome pour préparer
l’opinion publique à une telle décision. Ces articles rappellent la
méthode adoptée contre le Journal Hebdo lorsqu’il fut accusé de "5ème colonne", de média pro-polisario ou hostile à l’intégrité territoriale.
Que pensez-vous de la réaction de certains partis politiques concernant cette affaire ?
Ils restent fidèles à leur vocation. Je
vous rappelle le rôle joué par Nabil Benabdellah lorsqu’il était
ministre de la Communication ainsi que son acolyte Khalid Nassiri durant
l’affaire du Journal Hebdo. On assiste au même modus operandi. On se
souvient comment ces deux-là avaient écumé les plateaux de télévisions
pour préparer la mise à mort de ce qui restait de la presse libre au
Maroc. Le PJD ainsi que les autres partis (MP, RNI, etc…) ont publié des
communiqués dans lesquels ils expriment leur solidarité avec ceux qui
ont donné l’ordre de poursuivre Ali. La messe est dite. Ces partis
partagent une caractéristique qui leur est consubstantielle : ils vont
toujours au delà du désir du pouvoir !
Votre pronostic sur l’avenir de la presse indépendante ?
Je pense que l’ensemble du peuple
marocain et pas seulement la presse sont dans une sorte de « liberté
provisoire » qui menace tous les esprits libres et qui se dresse en
épouvantail contre toute appréciation critique des centres de décision
au Maroc.
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