Ceci
est la traduction du dernier éditorial d'Ali Anouzla, consacré au rôle joué par
l'Arabie saoudite, pour freiner la démocratisation de la région. Le journaliste
revient notamment sur la guerre d'influence entre les Saoud, le Qatar et l'Iran,
ainsi que les relations stratégiques entre Riyad et Washington, dont l'union a
donné «ce fils illégitime et maléfique baptisé Al-Qaida».
Barack
Obama reçu par le roi d'Arabie Saoudite en 2009
De
la Péninsule arabique aux rives de l'Atlantique, les régimes arabes nourrissent
la même crainte de voir, un jour, leurs peuples secouer le joug de la dictature.
Il en est même un qui s'est improvisé base de repli pour tous les autres,
finançant, encourageant et protégeant les tyrans, jusqu'à offrir l'asile aux
fuyards, soigner les malades ou assurer la défense de ceux d'entre eux qui ont
été emprisonnés. J'ai cité l'Arabie Saoudite.
Qatar
vs Arabie saoudite, le combat des titans
Si
le « Printemps arabe » a pris le monde de court, par sa spontanéité, il n'en
demeure pas moins que les manipulations dont on commence tout juste à démêler
l'écheveau, sont allées bon train, dès les premières escarmouches.
C'est
le Qatar, ce minuscule Emirat semblant avoir été enfanté par l'Arabie saoudite,
dans les eaux du golfe persique, qui, le premier, a tenté de formater ces «
révolutions » au profit de ses protégés, les « Frères musulmans ». Pour cela,
Doha s'est essentiellement appuyée sur la force de son impact médiatique, la
présence sur son sol de plusieurs dirigeants spirituels et l'injection de
millions de « Gazodollars », pour venir en aide à ses alliés islamistes en
Egypte, en Tunisie, au Yémen, en Libye et en Syrie.
Une
mainmise insupportable, aux yeux des régimes tribaux de l'Arabie Saoudite, des
Emirats arabes unis et du Koweït, qui y voient une menace existentielle. D'où
l'idée de soutien financier et médiatique appuyé aux Salafistes, menant campagne
électorale en Tunisie et en Egypte, contre les Frères musulmans et leur vieux
rêve d'instauration d'une « Oumma islamyia » (Nation islamique) et d'un nouveau
« Califat ».
Voilà
le décor planté pour un affrontement titanesque entre les deux géants du
« Panislamisme », le Qatar et l'Arabie Saoudite.
« Frères
musulmans » contre Salafistes
Doha
est intervenue médiatiquement, financièrement, et même militairement en Libye et
en Syrie, pour défaire ses propres alliés, les Frères musulmans, tandis que
Riyad s'impliquait militairement, pour mater la révolte populaire au Bahreïn.Le
Royaume wahhabite a également déboursé des milliards de dollars pour faire
avorter la révolution yéménite et pour peser sur les élections démocratiques en
Tunisie et en Egypte et n'a pas hésité à intervenir en Syrie, par milices
interposées. Des milices extrémistes, dont la proverbiale cruauté et les
exactions leur valent d'avoir été listées parmi les organisations
terroristes.
Riyad
a également pesé de tout son poids, pour soutenir le coup d'Etat militaire en
Egypte, commençant par y applaudir, avant de se co-fendre, avec d'autres états
du Golfe, dont les Émirats, d'un chèque de douze (12) milliards de dollars,
comme « aide au changement ».
A
l'indignation générale suscitée par la boucherie de la place « Rabiaa Al
Adaouiya », Riyad a répliqué, en dépêchant à Paris son Ministre des affaires
étrangères, Saoud Al Faysal, avec pour mission de mettre la pression sur les
occidentaux et leur rappeler les ressources financières considérables que son
pays a investies, dans sa ferme détermination à faire de l'Egypte, la
référence universelle, en matière de régime sunnite. Fin de
l'indignation occidentale !
Embrouillamini
à Doha....
Nul
besoin d'effort intellectuel pour comprendre le positionnement de l'Arabie
Saoudite, pour qui l'Iran chiite et les Frères musulmans constituent un péril
mortel. Et tout comme elle s'en est pris aux Frères musulmans en Egypte, Riyad
ne cache pas ses ambitions de formater la révolution syrienne, pour miner
l'emprise iranienne dans la région. Autant de prises de positions qui ont, comme
par enchantement, coïncidé avec le putsch de palais de Doha, un « Putsh blanc »
qui a déposé Khalifa ben Hamad al-Thani, en raison de son soutien aux Frères
musulmans qu'il s'est longtemps évertué à présenter aux Occidentaux comme leur
allié pragmatique. Mais nonobstant le fait qu'il n'est apparu depuis le putsh ni
lors de l'investiture du Prince Tamim Ben Ahmed, ni en public, l'ex numéro deux,
demeure le patron d' « Al Jazeera », la puissante chaîne qatarie, fidèle soutien
à la « Confrérie » en Egypte, en contradiction totale avec les positions du
nouveau Ministre des Affaires étrangères, Khaled Al-Attiya qui a applaudi au
Coup d'Etat, contre le Président Mohamed Morsi.
...et
fin de léthargie saoudienne
Loin
de cet inextricable embrouillamini, plusieurs événements ont secoué la
légendaire léthargie diplomatique de Riyad et poussé l'Arabie à faire basculer
la géopolitique régionale, en faveur de ses intérêts stratégiques : l'élection
en Iran, de Hassan Rohani, un pragmatique qui ne cache pas le désir de
normaliser les relations de son pays avec l'Occident, l'alignement du Hezbollah
sur Téhéran, à propos de la question syrienne, avec le risque accru de
renforcement du « Croissant chiite » et l'arrivée au pouvoir, par les urnes, des
islamistes apparentés aux « Frères musulmans », en Tunisie et en Egypte, au
détriment des courants Salafistes d'obédience saoudienne. Si ces trois
événements inquiètent, à coup sûr, le pouvoir saoudien, c'est dans la guerre de
succession qui fait rage dans les arcanes du Palais qu'il faut chercher
l'essentiel de sa soudaine hyperactivité.
En
effet, le chapitre final de l'histoire des Al Saoud, s'écrit avec l'actuel
prince héritier Salman Bin Abdelaziz, dernier des fils du fondateur du Royaume.
Derrière, une armada de princes ne cachent pas leur ambition de lui succéder un
jour. Bandar Bin Soltan est l'un d'entre eux. Le puissant patron des services de
renseignements est le deuxième homme fort du pays après Khaled Touijri, Chef de
cabinet du Roi Abdallah. Ce dernier est miné par la maladie et sa mort prochaine
mettra fin au règne de Touijri, pour sa non appartenance à la lignée royale. Le
Prince Bandar qui n'ignore rien de ce postulat est déterminé à user de toute son
influence, pour entraîner les américains dans la guerre en Syrie, tout comme il
l'avait fait pour l'Irak du temps de la maladie du roi Fahd Bin Abdelaziz,
convainquant ce dernier de la prétendue existence d'armes de destructions
massives, aux mains de Saddam Hussein.
«Islam
pétrolier»
Si
l'Arabie Saoudite occupe ce rang si particulier dans l'échiquier mondial, elle
le doit avant tout à son pétrole. Mais ce qui renforce considérablement son
pouvoir, c'est la place qu'elle occupe, dans le dispositif militaire américain
au Moyen-Orient et son rôle de plus important allié géostratégique de
l'Amérique, après Israël et ce, en dépit des divergences de valeur entre les
deux pays.
Au
cours de ces décennies, les USA n'ont cessé de jongler entre leurs impératifs
d'approvisionnement en pétrole et leur préoccupation pour la stabilité politique
d'un Moyen-Orient, qui n'en finit plus de s'enfoncer dans une spirale de
violence. Un choix difficile mais pas impossible, pour autant qu'à Washington,
on se décide à soutenir l'instauration de véritables démocraties. Une idée dont
la seule évocation révulse la famille royale saoudienne qui s'acharne à coup de
milliards, à faire échouer toute expérience démocratique, comme elle l'a fait
autrefois au Liban et aujourd'hui au Bahreïn, en Egypte, en Tunisie, au Yémen.
Le soutien aux régimes jordanien et marocain relève de la même préoccupation de
barrer la route à toute velléité de démocratisation.
Et
même lorsque les USA ont essayé d'exporter en Irak leur savoir-faire en matière
de démocratie, l'Arabie Saoudite a joué la carte de la guerre civile meurtrière,
soutenant les sunnites contre les chiites. Le pays a, à ce point fait du
prosélytisme wahhabite son credo, que certains ont baptisé ce dernier « Islam
pétrolier ». Appuyant les pires groupes extrémistes musulmans, comme elle avait
fermé, en son temps, les yeux sur les centaines de saoudiens dans les rangs d'Al
Qaïda, en Afghanistan et en Tchétchénie, elle le fait aujourd'hui pour l'Irak,
la Syrie et le Yémen.
Frères
ennemis
Le
régime saoudien qui se définit lui-même comme un allié de l'Amérique, se fait
son ennemi à la moindre évocation de démocratie en Egypte, en Irak et en
Palestine ou dès lors qu'il s'agit de contrer l'influence grandissante de
l'Iran. De fait, l'axe Washington-Riyad tient plus par les menaces auxquelles
font face les deux alliés, plutôt que par les valeurs qu'ils ne partagent pas.
Ainsi, le régime saoudien n'aurait jamais envoyé ses chars mater la révolte au
Bahreïn s'il n'avait été l'allié des Etats-Unis. Pas plus qu'il n'aurait
participé au sabotage de l'expérience démocratique en Tunisie, applaudi au coup
d'Etat militaire en Egypte ou persuadé le roi du Maroc de revenir sur ses
promesses de réformes.
On
a vu comment le régime saoudien, menacé à ses frontières, lors du printemps
arabe, s'était dépêché d'oublier son contentieux avec le royaume hachémite, pour
soutenir ce dernier et comment il avait oublié l'alignement du Yémen sur Saddam
Hussein, pour appuyer le régime Yéménite.
L'Amérique
aurait-elle à tout le moins fermé les yeux, sinon autorisé pareil
« interventionnisme » s'il avait été le fait de l'Iran ? Assurément non !
C'est
l'alliance américano-saoudienne qui conforte les autorités saoudiennes dans
leurs agissements. Autant le régime saoudien est le plus grand allié des USA
dans la région, autant il s'autorise la liberté de s'opposer à lui lorsqu'il
s'agit de menaces de démocratisation.
L'ex-président
américain, Georges W Bush en août 2002, avec le Prince Bandar, actuel patron des
services de renseignements saoudiens
Al
Qaïda, ce fils illégitime des Etats-Unis et de l'Arabie saoudite
Au
vu de ce qui précède, une question s'impose : jusqu'où l'Amérique compte-t-elle
aller dans son appui au royaume saoudien pour assurer la survie des dictatures,
au risque de nouveaux bains de sang et d'instabilité politique ?
Plutôt
que miser contre l'intérêt des peuples et probablement contre ses propres
intérêts, l'Oncle Sam serait mieux inspiré de miser sur l'éveil politique de la
jeunesse arabe et sur une révision à la baisse des besoins de l'Amérique en
pétrole du Golfe. Il représente tout juste huit (8) pour cent des besoins
américains. Raison supplémentaire pour que Washington révise enfin ses relations
coupables avec le régime saoudien, source idéologique de propagation de la
pensée wahhabite, le plus grand frein à la démocratie dans la région et la plus
grande menace pour la stabilité dans le monde. Pour rappel, c'est de cette union
que naquit ce fils illégitime et maléfique, baptisé « Al Qaida » qui se
reproduit frénétiquement et en dehors de tout cadre légitime, en Irak, au
Yémen, en Afrique du Nord, en Somalie, en Syrie, et au Sahel. Rien ne dit qu'il
n'accouchera pas, demain, d'une monstrueuse créature que nul ne pourra plus
maîtriser.
Les
forces démocratiques seraient bien inspirées de ne pas miser sur les Etats-Unis
et l'Occident. Les deux entités ont tout à perdre, si les révolutions arabes
devaient l'emporter et si le vent de la révolte devait se propager aux
pétromonarchies du Golf.
La
croyance populaire avance que tout changement touchant l'Egypte impacte les pays
limitrophes, au vu de son poids géostratégique, de sa force démographie, et de
son influence culturelle. Mais il apparaît désormais clair, que tout changement
devrait, en réalité, partir de la Péninsule arabique, non pas parce qu'elle fut
le berceau de l'Islam ou à l'origine de la propagation de l'arabisme, mais en
raison de la nature des régimes qui la gouvernent. Des régimes bâtis sur des
liens familiaux étroits et des fortunes considérables. Normal qu'aucun d'entre
eux ne voudrait d'un changement qui nuirait à ces deux intérêts étroitement
imbriqués.
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