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samedi 28 septembre 2013

Blog CAPDEMA. Entre la lutte anti-terroriste et le règne de la terreur






Safya Akkori, juriste et membre de Cap Démocratie Maroc, 23/9/2013

Entre la lutte anti-terroriste et le règne de la terreur :
Comment l’Etat marocain confond les degrés de répression

« Toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix. »
L’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques consacre en ces termes la liberté d’expression. L’article 25 de la Constitution marocaine précise que « sont garanties les libertés de pensée, d’opinion et d’expression sous toutes leurs formes. »
Parmi les droits fondamentaux internationalement reconnus et au respect desquels le Royaume Marocain est tenu, certains peuvent faire l’objet de restrictions. Si le droit à un procès équitable ne peut en aucun cas souffrir de dérogation, la liberté d’expression peut être soumise à des conditions d’exercice restrictives. Envisagées par le Pacte, ces restrictions à la liberté d’expression ne sont admissibles qu’à condition qu’elles soient expressément fixées par loi et qu’elles soient nécessaires à « la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publique. »

L’incrimination de l’incitation : un degré sensible de la répression pénale
Les législations réprimant « l’incitation » sont l’apanage de cette restriction à la liberté d’expression. Qu’il s’agisse de l’incitation au crime, l’incitation à la discrimination, l’incitation au terrorisme, l’apologie du génocide, de nombreux pays disposent aujourd’hui d’une législation spécifique par laquelle le simple fait de prononcer un discours peut être constitutif d’une infraction.
L’enjeu de ces législations est de dépasser la simple appréhension de la complicité par instigation qui nécessite que l’infraction principale soit consommée et que l’auteur principal fasse également l’objet de poursuites. A travers la répression de l’incitation le discours peut ainsi faire l’objet de poursuites bien qu’il n’ait pas eu de suite concrète et alors même que la violence n’a pas été commise.
En effet, il est des problématiques pour lesquelles certaines sociétés, aussi avancées soient-elles dans l’accomplissement démocratique, conviennent d’engager une répression dans son plus haut degré d’acceptation. S’il s’agit d’un pacte, dont acte.
Dans cet esprit, à l’heure où les mouvances terroristes engagent des actions de plus en plus protéiformes, à l’heure où internet constitue une tribune mondiale pour les discours idéologiques les plus radicaux, les législations anti-terroristes cherchent toutes à s’adapter en adoptant une approche préventive et en incluant un volet relatif à la répression de l’incitation au terrorisme.
Nécessaire à la sauvegarde de la sécurité nationale, l’idée sous-jacente de cette approche est comprise. En touchant à un équilibre sensible entre restriction à un droit fondamental et proportionnalité de la restriction, cette approche préventive nécessite cependant une précaution toute particulière. Tout Etat de droit qui se respecte reconnaîtra que le pouvoir répressif dont il use doit être encadré et délimité. Pour exemple, dès 2008, les débats au Parlement Européen rappelaient les risques liés à la répression de l’incitation au terrorisme : « où s’arrête la liberté d’expression ? Il faut une formulation claire, prévoir une clause de sauvegarde, et des dispositions garantissant le respect des droits fondamentaux. »

La législation anti-terroriste marocaine au sommet de la pyramide répressive
Aujourd’hui, la législation marocaine, issue d’une réforme pénale qui avait été engagée en 2003, fait partie des législations les plus répressives qui soient en matière de lutte contre le terrorisme.
Pour ce qui est du contexte d’adoption de cette loi, il convient de rappeler que le projet qui avait initialement été adopté par le Conseil des ministres et déposé au Parlement le 23 janvier 2003 avait donné lieu à de vives critiques de la part de la société civile. Au-delà de l’incrimination spécifique de l’apologie du terrorisme, les associations de défense des droits de l’homme et les syndicats soulignaient les dangereuses lacunes du projet, notamment la définition imprécise du terrorisme et le nombre excessif de dispositions exorbitantes de droit commun.
Si le vote a été repoussé par le Parlement à ce moment là, les attentats perpétrés à Casablanca le 16 mai 2003 ont remis le projet de loi à l’ordre des débats et en l’espace de quelques jours le code pénal marocain a intégré les dispositions aveuglément répressives que les citoyens avaient dénoncées quatre mois auparavant (dahir n° 1-03-140 du 26 rebia I 1424 (28 mai 2003) portant promulgation de la loi n° 03-03 relative à la lutte contre le terrorisme).
En juillet 2003, le Roi du Maroc avait donné au Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH) la possibilité de renverser la vapeur. Dans son discours du trône, il avait chargé l’instance de « préparer les propositions nécessaires pour combler les lacunes juridiques dans le domaine de la lutte contre toutes les formes de discrimination, de haine et de violence. »
En juillet 2004, alors que l’ensemble des réformes avaient déjà été engagées et promulguées, l’avis consultatif[1] produit par l’instance indépendante passait sous un silence assourdissant les dangers qu’impliquent une législation susceptible de restreindre la liberté d’expression et d’information.
Le CNDH se contentait alors de noter « que le code pénal marocain a été récemment modifié et complété dans le sens de l’incrimination des diverses formes de violence, de discrimination et de la haine qui y conduit, ainsi que l’incitation à la violence et l’apologie des crimes de terrorisme. » L’avis citait ensuite deux lois nouvelles (celle relative à la lutte contre le terrorisme et celle modifiant la loi sur la presse) sans alerter ni le Roi, ni les citoyens, sur les lacunes que comportaient ces réformes : aucune garantie procédurale n’étaient envisagée pour délimiter le champ des pouvoirs d’enquête de la police à l’encontre des journalistes, aucune définition concrète de l’« incitation » n’était proposée (art. 218-2 et 218-5 du code pénal). Des infractions nouvelles étaient créées, mais la procédure pénale qui encadre la poursuite de ces infractions restait figée dans un autre temps.
C’est ainsi que depuis dix ans, la législation anti-terroriste marocaine, votée à la va vite, a entériné un système flou, incohérent et attentatoire aux droits fondamentaux en général, aux droits des journalistes en particulier. En outre, la loi marocaine sur la presse permet aux forces de police d’enquêter et au ministère public de poursuivre la complicité de crime ou délit par voie de presse (art. 38 de la loi sur la presse) ; la provocation par voie de presse aux crimes et délits contre la sûreté extérieure de l’Etat (art.39 de la loi sur la presse) ; l’incitation par voie de presse à la discrimination et aux crimes de guerre (art.39 bis de la loi sur la presse). Face à cette avalanche de dispositions, aucune garantie procédurale ne permet de protéger les journalistes des abus potentiels.

Les politiques pénales répressives : un degré sensible de la démocratie
Depuis toujours, le droit pénal marocain est en souffrance et l’avancée démocratique qu’a constitué la réforme constitutionnelle de 2011 n’a toujours pas réussi à l’atteindre : le droit pénal marocain manque des garanties les plus élémentaires à l’attention des droits de la défense. Or, les droits de la défense constituent un droit fondamental que le CNDH n’a pas su appeler de ses vœux et qu’il doit pourtant promouvoir avec autant de dévotion que celle qu’il met en œuvre pour les droits des minorités que sont les femmes, les handicapés ou les migrants.
Une politique pénale ultra répressive, lorsqu’elle est entérinée par la loi et inscrite dans un code pénal, prend le risque d’entretenir un déséquilibre insurmontable entre les droits de la défense et ceux du ministère public. D’où l’importance d’une procédure pénale rigoureuse.
Assez simplement, si la répression s’élargit pour définir toujours plus d’infractions et appréhender toujours plus de phénomènes, l’action publique voit de plus en plus de moyens offerts à elle pour engager les poursuites alors même qu’elle ne bénéficie pas des garde-fous nécessaires.
Le 13 septembre 2013, la presse espagnole a diffusé une information relative à l’existence d’une menace concrète et physique, proférée à l’encontre du Royaume marocain, par un groupe terroriste actif (information qui a été reprise depuis par d’autres journaux étrangers, comme Le Monde par exemple).
Le 14 septembre, Ali Anouzla, dans le cadre de sa mission de journaliste, a relayé cette information, il a permis aux citoyens marocains de prendre connaissance d’une propagande islamiste véhiculée par l’organisation terroriste armée AQMI.
Le 17 Septembre, les locaux du site d’information Lakome étaient perquisitionnés, Ali Anouzla était placé en garde à vue et le Ministère de la Justice annonçait vouloir poursuivre également le quotidien espagnol pour incitation à perpétrer des actes terroristes sur le territoire marocain. La confusion des genres étaient alors consommée : liberté d’information, liberté d’expression, discours apologisant, aucune distinction raisonnable n’était envisagée.
Le 21 septembre 2013, après 96 heures de garde à vue, la mesure restrictive de liberté qui a été prise à l’encontre d’Ali Anouzla a été renouvelée une première fois pour 96 heures.
Une garde à vue constitue une zone de non droit au sein de laquelle le mis en cause est placé à la disposition des autorités enquêtrices en ne disposant que d’un accès parcellaire à ses avocats. Durant la garde à vue, la défense n’existe pas. Or, si la garde à vue de droit commun ne peut excéder 48heures (renouvelable une fois), la loi du 28 mai 2003 autorise une durée dérogatoire pour la garde à vue « terroriste » pouvant atteindre un maximum de trois fois 96heures, soit  12 jours : voilà le sommet de la répression, sans distinction graduée.
L’esprit des lois est ici dévoyé, et l’usage d’une législation anti-terroriste à l’encontre d’un journaliste relève de l’abus de droit. L’engrenage répressif dans lequel se sont enfermés les forces de police, le ministère public et le Ministère de la Justice est effrayant pour les citoyens qui suivent cette affaire et révoltant pour les avocats soucieux des droits de la défense. Le pire étant que cet usage exorbitant était pourtant prévisible et évitable.

Le respect des droits de la défense et la liberté de la presse : des indicateurs inévitables de l’avancée démocratique
L’Etat marocain, à travers une législation pénale ultra répressive et un manque de garanties procédurales, a choisi de laisser un trou béant dans lequel s’infiltre le règne de la peur collective concrétisé par l’action du ministère public.
L’état actuel des droits de la défense au Maroc est l’indicateur législatif de trop qui révèle à quel point l’avancée démocratique nécessite encore de nombreux accomplissements institutionnels.
Oui, depuis que le Maroc entame son long et lent cheminement vers la démocratisation, il a découvert le revers de la médaille (même s’il le connaissait déjà depuis déjà bien longtemps) : avec l’ouverture politique, un phénomène intégriste et conservateur peut sortir de l’ombre.
Oui, les idéologies politiques et/ou religieuses sont multiples et s’affrontent au sein de la société marocaine. Comme partout ailleurs. Les occidentaux apprennent à gérer avec les ultranationalistes, les pays arabes avec les mouvances salafistes : toute société est confrontée aux idéologies extrémistes et aux dangers qu’elles impliquent.
Dans ces conditions, le choix de l’information, de l’éclairage, de la transparence n’est pas infaillible, mais il a l’avantage de laisser aux citoyens la possibilité de choisir leur camp et il a surtout le mérite d’avoir fait ses preuves. « A toute diminution de la liberté de la presse correspond une diminution de civilisation » disait Victor Hugo. La liberté de la presse est depuis toujours un enjeu fondamental d’une société démocratique.
Si le gouvernement marocain actuel ne fait pas le choix sincère de la modernité et de la démocratie, si l’Etat marocain ne protège pas ses journalistes, ses penseurs, ses insolents, le danger le plus grand et le plus effrayant qui guette le pays est celui de l’obscurantisme. La protection dont les citoyens marocains ont besoin c’est, entre autres, celle du droit à se défendre équitablement lorsque le Procureur engage des poursuites infondées.
Abdelatif Laâbi appelle les marocains a cultiver une « pensée vivante, libre, plurielle, critique, insoumise ». Lakome appelle les citoyens à s’informer, à comprendre les tenants et les aboutissants de l’action du gouvernement actuel.
Les justiciables appellent le Ministre de la justice à respecter le projet démocratique qui a été défini par la Constitution de 2011 en procédant à une réforme du code de procédure pénale afin de figer dans le marbre les garanties d’un procès équitable, afin de limiter les pouvoirs exorbitant dont bénéficie systématiquement le ministère publique.
Et s’il est besoin de répéter une fois de plus les prises de position qui pleuvent depuis le 17 septembre, le bon sens appelle le Procureur à prononcer la fin de la garde à vue d’Ali Anouzla et à classer sans suite l’enquête préliminaire menée par la police judiciaire à son encontre.



[1] Disponible at http://www.ccdh.org.ma/spip.php?article5835

Safya Akkori, juriste et membre de Cap Démocratie Maroc.

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