Publié le 04/04/2010
Raymond
Gurême, 85 ans, dernier témoin survivant après avoir été arrêté et
interné avec sa famille dans les camps pour "nomades" de Darnétal
(Seine-Maritime) et Linas-Montléry (Essonne) lorsqu'il avait 15 ans,
pose à Paris Bertrand Guay AFP/Archives
"Pendant 70 ans, nous avons gardé le silence sur ce que nous
avions vécu dans les camps français pour +nomades+, par pudeur, pour ne
pas étaler nos souffrances", raconte le Tsigane français Raymond Gurême,
l'un des rares survivants d'une page occultée de l'histoire de France
entre 1940 et 1946.
A 85 ans, M. Gurême a gardé la gouaille et l’œil malicieux de l'enfant "voyageur" qu'il était avant la Seconde
guerre mondiale. Ses parents, ses huit frères et sœurs et lui amenaient
alors "la civilisation dans les villages" grâce à leurs cirque et
cinéma ambulants.
Mais cette enfance joyeuse s'achève brutalement à
l'âge de 15 ans, le 4 octobre 1940 près de Rouen: "à 06H00, des
gendarmes français sont venus nous réveiller et nous nous sommes
retrouvés enfermés au camp de Darnétal, en Seine-Maritime: jamais nous
ne pensions que d'autres Français nous traiteraient comme des moins que
rien alors que mon père avait fait la guerre de 1914 -1918". Le père de
Raymond Gurême écrit en vain au préfet pour demander une libération.
Le
27 novembre, la famille est dépouillée de tous ses effets personnels,
caravanes et machines de cinéma compris et transférée par le train
menottes aux poignets et chaînes aux pieds vers le camp de
Linas-Montlhéry (Essonne).
"A Linas, ça a été terrible. Nous
n'avions plus rien, ni pour manger, ni pour nous chauffer dans les
baraques, les gosses tombaient malades, des bébés mouraient, les gens
dépérissaient", témoigne-t-il, la voix nouée. Raymond Gurême perdra 20
kg en un an et demi dans ce camp dont les traces ont été effacées par
l'actuel circuit automobile de Montlhéry.
"L'attitude des Français
qui nous gardaient prisonniers nous mettaient très en colère, c'était
des crapules", raconte-t-il. "Nous n'avons jamais vu un Allemand dans le
camp, c'était les gardiens français qui nous tapaient dessus, nous
insultaient".
Désespéré, l'adolescent s'évadera une première fois
début 1942 avant d'être repris sur dénonciation du maire de sa commune
de naissance, Meigneux (Seine-et-Marne). La seconde fois, alors qu'il
est au mitard, M. Gurême parvient à ôter ses menottes et s'échappe après
avoir passé une nuit caché dans un arbre du camp.
A 16 ans, il
"navigue" seul dans une France en guerre, survivant en travaillant dans
des fermes en Bretagne. Il ne retrouvera la trace des siens, qui le
croyaient mort, qu'en 1952, en Belgique. "Ma famille avait tout perdu,
personne n'a été indemnisé et mon père survivait avec un petit jeu de
quille".
Dans la famille, le silence s'installe sur la période
d'internement. "Mon père n'en parlait jamais et ma femme et moi on en a
jamais parlé aux gosses non plus mais aujourd'hui, 70 ans après, je
pense que c'est important de témoigner pour les jeunes générations et
d'obtenir une reconnaissance officielle", dit ce patriarche, qui a 15
enfants et "une centaine" de petits-enfants et arrière-petits enfants.
Car
regrette-t-il, "il y a des attitudes qui n'ont pas changé depuis la
guerre: par exemple nos gosses ne sont pas bien accueillis dans les
écoles et ça leur crée des difficultés pour toute la vie".
M.
Gurême s'étonne aussi de n'avoir obtenu une carte d'"interné politique"
qu'en 2009. "J'attends toujours la pension qui va avec", sourit-il, un
rien désabusé.
Nomade dans l'âme, l'octogénaire garde sa caravane
"prête à partir" à l'arrière de sa maison située... à 5 km de Montlhéry.
"Je suis revenu où j'ai souffert", souligne-t-il. "Sans doute parce que
la France n'a jamais reconnu ce qu'on a fait subir à des milliers de
Français comme moi dans ces camps".
| http://www.ladepeche.fr/article/2010/04/04/810550-blessures-enfouies-tsigane-francais-interne-1940-france.html
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