- Écrit par Salah Elayoub, 12/8/2013
Télescopage calendaire de deux antinomies
A deux jours près, la fête du trône au Maroc aurait pu coïncider avec la fête nationale suisse, le 1er aout.
Ironie et cruauté du calendrier qui fait se télescoper deux célébrations antinomiques.
Une première, à la gloire d'un seul homme. Puis le surlendemain, la célébration, jusqu'aux plus profondes vallées de la Suisse, du citoyen.
Une première, à la gloire d'un seul homme. Puis le surlendemain, la célébration, jusqu'aux plus profondes vallées de la Suisse, du citoyen.
Et
il en va de la fête nationale de ces deux pays, comme de leur
constitution. Alors que le diable se cache au détour de chacune des
pages de la nôtre, faisant le lit de la dictature, la constitution
helvétique donne le ton, dès son préambule, en plaçant le peuple, au
premier rang de ses décisionnaires et les plus faibles de ses citoyens,
au centre de toutes les préoccupations, bien avant la Nation elle-même.
Extraits :
Extraits :
« Au nom de Dieu Tout-Puissant !
Le peuple et les cantons suisses,
sachant que seul est libre qui use de sa liberté et que la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres. »
Le peuple et les cantons suisses,
sachant que seul est libre qui use de sa liberté et que la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres. »
Une pure leçon de démocratie, dans ce petit pays de moins de sept
millions d'habitants, où près de soixante pour cent de la population
ignore jusqu'au nom du président en exercice.
Humiliation, le maître mot
Du citoyen, la monarchie alaouite n'en a cure et le prouve. A peine
sorti du « Danielgate » dans lequel il s'était lui-même embourbé,
Mohammed VI n'a pas eu la moindre considération pour sa garde royale qui
a perdu, selon un bilan tout provisoire, dix-sept (17) de ses membres,
dans la chute de leur camion, précipité dans le vide, d'une hauteur de
deux cent (200) mètres, samedi 10 août, entre Chefchaouen et Tétouan.
Quarante et un (41) soldats ayant, par ailleurs, été blessés dans le
même accident.
Naturellement, tout comme lorsqu'un avion cargo C130, de l'armée de
l'air marocaine s'était écrasé, le 26 juillet 2011, près de Goulmim,
faisant plus d'une trentaine de victimes, les préparatifs de la fête de
l'allégeance se sont poursuivies, alors que les deux tragédies auraient
du susciter l'annulation de toutes les festivités et une période de
deuil national.
C'est que trop heureux d'humilier ceux de ses compatriotes qui broutent autour du piquet de la monarchie et comme bien des dictateurs qui l'ont précédé, dans l'exercice du pouvoir, le roi a préféré succomber à la tentation de la mégalomanie et au culte de la personnalité plutôt qu'à partager le deuil des familles de sa propre garde.
C'est que trop heureux d'humilier ceux de ses compatriotes qui broutent autour du piquet de la monarchie et comme bien des dictateurs qui l'ont précédé, dans l'exercice du pouvoir, le roi a préféré succomber à la tentation de la mégalomanie et au culte de la personnalité plutôt qu'à partager le deuil des familles de sa propre garde.
Pire, la cérémonie en question qui aura coûté une vingtaine de
millions de dirhams au contribuable marocain, a subi un tel lifting et
ses moindres détails à ce point codifiés, que le spectacle des élites du
pays alignées au cordeau, fait irrémédiablement penser, toutes
proportions gardées aux pires moments de l'humanité, lorsque le fascisme
rêvait de faire revivre les légions de l'empire romain et orchestrait
de gigantesques rassemblements de ses membres en formations carrées.
Un vague air de « Roi soleil » et de poulets en batterie
La comparaison s’arrête là, car sur l’esplanade du Palais, chauffée à
blanc par le soleil de ce mois d’août 2013, c’est le ridicule qui est à
l’ordre du jour.
Point de chemises brunes, ni de vociférations ou de bras tendus, mais
un alignement de burnous blancs qui donnent à la cérémonie, des allures
d’élevage de poulets en batteries, ou de colonie de manchots. Le pire
étant à venir, lorsque les processionnaires doivent se prosterner à
plusieurs reprises, face au roi béat, à cheval, et qui, pour mieux
marquer sa différence, s’est travesti en jaune, couleur du soleil. Bien
piètre imitation de Louis XIV, le « Roi Soleil »,
qui fut autrement plus charismatique et dont la force de caractère
avait fait de lui, l’un des plus grands monarques de son époque.
Une fois prononcée la fameuse formule, « Allah ibarek fi 3oumr sidi ! », (Dieu
prête longue vie à mon seigneur) les représentants du peuple, ceux de
la société civile ainsi que les cadres de l’administration territoriale,
sont poussés, sans aucun ménagement, et au pas de gymnastique, par une
cohorte d’esclaves du Palais, pendant que le roi avance de quelques pas
sur sa monture, en direction du prochain groupe. Au cours de ce sprint
au goût de ridicule, il n’est pas rare de voir l’un des participants
perdre une, voire les deux babouches, dans la confusion générale et se
retrouver en chaussettes. Plus tard, la cérémonie achevée, les
nettoyeurs les récupéreront comme autant de trophées hilarants que
personne, par décence, ne s’abaissera jamais, à venir réclamer.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, bon nombre d’adeptes de la
servitude volontaire, ont déployé des trésors de ruse et de
persuasion, pour que leur nom soit couché sur la liste des
participants. Tout ce petit monde qui compte jusqu’à plusieurs milliers
d’individus, obéit à une convocation, à laquelle nul ne peut plus se
soustraire, dès lors qu’elle est émise, sous peine de crime de
lèse-majesté.
Sur une tribune dressée face à l’esplanade, quelques « privilégiés »,
ponctuent chaque sprint par un tonnerre d’applaudissements hypocrites
et apprécient d’autant ce spectacle d’un autre âge, qu’il leur aura été
épargné, pour un temps, de figurer dans cette arène de la honte, où les
élites de la nation viennent singer une sorte de reddition au goût
d’infamie.
C’est du crieur officiel du régime marocain, Mustapha Alaoui, qu’est
venue la plus pertinente des descriptions de ce spectacle moyenâgeux.
La langue du journaliste de la première chaîne marocaine de télévision,
a fourché, au grand ravissement de tous, lorsqu’il a prononcé « Bala’e » (souffrance), au lieu de « Oualla’e » (allégeance). Tout est dit !
Dans la brèche ouverte, il y a deux ans
Mais toute mécanique, aussi huilée soit-elle, court le risque de se
gripper un jour, l’unanimité de la Bey3a s’est fissurée, cette année,
avec ces deux personnalités qui ont, à tout le moins, exprimé leur plus
grande réserve quant à cette célébration dévolue à la gloriole du roi,
au lieu d’être la fête de toute la Nation.
Le premier, un jeune député Istiqlalien, Adil Chikito a tout simplement refusé de venir s’incliner devant le roi.
- « Je ne peux pas soutenir psychologiquement de voir ça, devant moi ! On ne se prosterne que devant Dieu »
Le second, le Président de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Khémisset, Mohamed Idrissi Khamiss,
a dénoncé à mi-mots, après sa participation à la cérémonie, les
dépenses somptuaires, tout autant qu’inutiles qui accompagnent la
cérémonie et l’indifférence des participants, à l’évocation du coût de
revient de celle-ci :
- « Les convives n'ont pas
réagi à mes propos, préférant se concentrer sur les boissons et les
gâteaux préparés par le meilleur traiteur du Maroc, en attendant les
plats de résistance, méchouis et poulets ! »
L’homme n’hésite même plus à mettre en doute sa propre légitimité à représenter les citoyens:
- « La plupart des participants ont
été invités parce qu'ils sont élus par les citoyens. Mais est ce que
nous représentons vraiment les citoyens ? Franchement, je ne le pense
pas, vue la façon dont est mené le processus électoral. »
Dans leur livre « Le Roi prédateur » paru en Mars 2012, Catherine Graciet et Eric Laurent, avaient eu cette phrase, à propos de la rupture par Ahmed Benseddik , de son allégeance au Roi :
- « En rompant ce lien d’obéissance, au fondement
du pouvoir monarchique, Benseddik vient d’ouvrir une minuscule brèche.
Mais comme toute voie d’eau, elle pourrait bien menacer de s’agrandir
rapidement. »
L’avenir se chargera de nous dire si les propos des deux auteurs étaient prémonitoires ou si tout comme Abdelillah Benkirane
qui avait, à peu de chose près, exprimé le même point de vue, avant de
tourner casaque, nos deux amis Chikito et Khamiss ne vont pas, un jour
ou l’autre, se rallier à la curée et aux libations que la monarchie
offre depuis bien trop longtemps à ses laudateurs, en puisant
généreusement et impunément, dans les caisses du trésor public !
http://fr.lakome.com/index.php/chroniques/1249-la-bey3a-cette-humiliante-survivance-d-un-autre-age
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