- Par Clair Rivière, envoyé spécial, 21/8/2013
(DR)
Mohammed VI
séjourne régulièrement dans son château de Betz, un petit bourg de la
grande banlieue parisienne. En multipliant les dons et en créant des
emplois, le monarque y a assuré sa popularité. C’est à se demander si
les habitants du village ne sont pas devenus des “sujets” de Sa Majesté.
TelQuel s’est invité au château, un voyage plus que mouvementé…
Vous
en pensez quoi, vous, du roi du Maroc ? “Oh ben, je vais pas en dire du
mal : il me fait bosser !”, répond le garagiste du village. “Après, sa
politique… c’est sa politique”. A 2000 kilomètres de Rabat, le
mécanicien ne semble guère avoir d’opinion sur la question. De toute
façon, conclut-il, “comme on dit : l’argent n’a pas d’odeur !”
Bienvenue à Betz, commune d’un millier d’habitants, située à une soixantaine de kilomètres au nord-est de Paris. Un petit bourg entouré de bois, de champs de betteraves et de céréales, doté d’une pluviométrie à rendre jaloux n’importe quel fellah sahraoui. Un village-dortoir aux rues désertes, avec quelques vieilles maisons de caractère et de nouveaux lotissements de pavillons sans charme.
Bienvenue à Betz, commune d’un millier d’habitants, située à une soixantaine de kilomètres au nord-est de Paris. Un petit bourg entouré de bois, de champs de betteraves et de céréales, doté d’une pluviométrie à rendre jaloux n’importe quel fellah sahraoui. Un village-dortoir aux rues désertes, avec quelques vieilles maisons de caractère et de nouveaux lotissements de pavillons sans charme.
Un
village calme, d’une banalité affligeante, qui n’intéresserait personne
s’il n’accueillait, de temps à autre, un hôte beaucoup moins ordinaire.
Ce visiteur exceptionnel n’est autre que Mohammed VI, qui possède à
Betz un château hérité de son père, Hassan II. En France, le lieu lui
sert de résidence principale. Le roi y séjourne “deux à trois fois par
an”, indique Colette Thellier, maire du village. Pour une durée variable
: “ça peut être un passage-éclair comme une visite de plusieurs
semaines”, assure un gendarme local.
Ainsi,
c’est depuis Betz que le monarque a suivi les élections législatives
marocaines de l’automne dernier, qui ont vu les islamistes du PJD
l’emporter. C’est également là qu’il se trouvait au lendemain de la
présidentielle française du mois de mai. Ce qui lui a permis, au
passage, d’être le premier chef d’Etat reçu à l’Elysée par le nouveau
président, François Hollande.
Luxe, calme et volupté
C’est
en 1972 que Hassan II a acheté sa propriété de Betz, à une Norvégienne
fortunée qui avait fait du château, construit en 1913, un hôtel de luxe.
Bien auparavant, à la fin du XVIIIème siècle, le site avait appartenu à
une princesse de Monaco, qui dût le fuir à cause de la Révolution
française, avant de se réfugier en Angleterre. Comme tous les biens du
clergé et de la noblesse, son château avait alors été saisi et vendu aux
enchères. Aujourd’hui, Mohammed VI est propriétaire de ce vaste domaine
boisé de plus de 71 hectares, traversé par une rivière, avec deux
châteaux (le plus petit, le “pavillon du prince”, a été construit sous
Hassan II) et des écuries qui accueillent les chevaux de race de Sa
Majesté. Le parc, qui abrite des édifices artistiques vieux de plusieurs
siècles, est inscrit au patrimoine historique. Mais les villageois ne
s’y sont jamais promenés, sauf en 1999, quand Hassan II les a conviés à
un méchoui, ou en 2005, lorsqu’une association humanitaire y a organisé
un repas à visée caritative. Le mur de la résidence royale, qui longe
toute la rue principale du bourg, est doublé d’un rideau d’arbres, qui
interdit aux curieux tout regard indiscret. A Betz, certains habitants
n’ont même jamais vu le château qui a rendu leur village célèbre.
Bakchich royal
Mais
les Bessins n’en tiennent pas rigueur au roi. Au contraire, ils
rivalisent d’adjectifs élogieux pour décrire le souverain : “Simple”,
“agréable”, “avenant”, “humble”, “discret”, “honnête”, “très plaisant”,
etc. Sa présence “est un honneur pour la commune”, renchérit Madame le
maire. Il faut dire que les Alaouites, père et fils, ont su se montrer
très généreux avec la municipalité. “Chaque fois que Hassan II venait,
il adressait un chèque à la commune”, certifie Philippe Boulland,
l’ancien maire. La salle polyvalente du village ? Hassan II a donné au
moins 300 000 francs pour sa construction. La cloche de l’église ?
Hassan II a participé à son achat. La construction du centre social ?
C’est Mohammed VI qui y est allé de son obole. Sans compter que “tous
les ans, il donne un chèque directement au centre social”, ajoute
Philippe Boulland.
Et la liste des
bienfaits royaux ne s’arrête pas là. Comme Hassan II l’avait fait en son
temps, Mohammed VI offre chaque été un séjour au Maroc, tous frais
payés, à une quinzaine d’adolescents de la région. “Ils reviennent
émerveillés de leur voyage”, assure le principal du collège. On veut
bien le croire… Au programme l’été dernier : un départ par “vol spécial”
de Paris à Malaga. Sur leurs photos de vacances, les enfants semblent
être les seuls occupants de l’avion. Accueillis par le consul du Maroc à
Algésiras, les jeunes ont ensuite rejoint le Maroc en ferry, où ils ont
été hébergés pendant trois semaines dans les meilleurs hôtels. A
Tanger, ils séjournent à El Minzah, à Rabat et Agadir, au Sofitel, à
Casablanca, au Hyatt Regency…
Employeur n°1
Autre
bénéficiaire de la magnanimité royale : le personnel de la propriété,
recruté parmi les habitants de Betz et des villages alentour. Selon
Madame le maire, le souverain alaouite est le “plus gros employeur” du
village, avec “une vingtaine d’employés à l’année” : jardiniers, femmes
de ménage, palefreniers… qui s’occupent au quotidien de l’entretien des
bâtiments, du parc et des chevaux royaux. Quand le roi est là, le nombre
d’employés augmente, avec les extras embauchés pour la plonge ou la
cuisine.
Pour les commerçants du
village, les visites royales sont également de véritables aubaines. La
boulangerie livre au château jusqu’à “300 baguettes par jour”, puisque
le roi ne vient pas seul, mais avec une foule de serviteurs. “200
personnes”, comme l’affirme la presse régionale. “Parfois plus, précise
l’ancien maire, Philippe Boulland. Mais c’est beaucoup moins que du
temps de son père. Hassan II, c’était quatre ou cinq fois plus”. Logé en
partie dans des maisons du village acquises par le roi, ce personnel
prend son café au bar, achète des médicaments à la pharmacie et de la
nourriture à la supérette. Question chiffre d’affaires, c’est “un petit
plus non négligeable”, témoigne la gérante Angélique Vétu, qui se
rappelle, avec un grand sourire, encore émoustillée, la fois où le roi
est venu en personne, “très discrètement”, faire ses courses dans son
CocciMarket.
Pour les artisans du
coin également, la présence du roi représente une belle occasion de
travailler. “Après avoir fait beaucoup de travaux dans le parc”, il a
décidé de rénover le château. D’après Philippe Boulland, ces importants
travaux, étalés “sur deux ans” sont destinés à “aménager le bâtiment” de
manière à ce qu’il soit “à son goût tant en décoration qu’en
fonctionnalité”.
Petits arrangements entre amis
Mohammed
VI n’est par contre jamais entré dans le bistrot du village, “Le 24”.
Mais il est intervenu personnellement en faveur du gérant, afin de
l’aider à obtenir la licence tabac nécessaire pour vendre des
cigarettes. Ainsi, le personnel royal pourrait s’approvisionner sur
place, au lieu de faire plusieurs kilomètres en voiture. “C’est moi qui
ai écrit au roi”, confie Philippe Boulland, l’ancien maire, qui est
aussi actuel député européen (UMP), membre du groupe d’amitié
Maroc-Union Européenne au parlement européen et farouche partisan de
l’accord de pêche Maroc-UE. “Mohammed VI m’a promis qu’il allait écrire à
Nicolas Sarkozy. Ce qu’il a fait”. Mais sans succès : aujourd’hui, le
bar n’a toujours pas décroché la licence tabac, et Nicolas Sarkozy n’est
plus président. Et si le monarque ne peut pas tout, il fait beaucoup.
On
comprendra donc sans mal que les habitants de Betz apprécient la
présence de cet hôte très généreux. En parcourant le village, en
interrogeant des dizaines d’habitants, nous n’avons rencontré qu’une
seule personne à avoir une dent contre le roi. Il s’agit… d’un Algérien,
livreur de colis, qui en veut surtout aux employés de Mohammed VI.
“Quand ils sont là, rien ne va. Le mec à l’entrée, il te prend ton
colis, il rentre à l’intérieur, et il ne revient pas te signer le bon !”
Quant au roi en personne, qu’il n’a fait qu’apercevoir, c’est surtout
son opulence qui lui pose problème : “T’imagines les gens là-bas (au
Maroc), ils n’arrivent même pas à se soigner, et lui, il a un château
là. Et il n’a pas que celui-là !”
A Betz, le Front national a obtenu 24% de voix au premier tour de la
dernière élection présidentielle, soit 7 points de plus que la moyenne
nationale. Au café, il se dit que certains habitants sont gênés par les
visites royales, synonymes de l’arrivée des “bougnoules”. Mais,
globalement, à Betz, Mohammed VI ne semble déranger personne, à part
quelques contribuables agacés par le fait que les gendarmes affectés à
la sécurité du monarque soient payés avec leurs impôts. “En tant
qu’amatrice d’histoire locale, je regrette beaucoup que le parc ne soit
pas ouvert au public, ajoute Dominique Vasseur, auteure d’une brochure
fleuve sur l’histoire du château. Pour le reste, que ce soit le roi du
Maroc ou n’importe qui d’autre, ça ne nous change pas la vie. Du moins,
depuis l’avènement de Mohammed VI”.
Circulez, y a rien à voir !
Car
à l’époque de Hassan II, les choses se passaient bien différemment, et
les villageois n’en gardent pas que de bons souvenirs. Pour cause de
sécurité, le village passait alors en mode “couvre-feu”. “Il y avait un
gendarme tous les trois mètres. Quand vous rentriez ou que vous sortiez
de Betz, il fallait montrer sa carte d’identité”, se souvient la gérante
de la supérette. “Une fois, un médecin est arrivé pour une urgence. Ils
ne l’ont pas laissé passer”, relate un retraité. “C’était oppressant”,
résume un jeune du village. à en croire l’ancien maire, Philippe
Boulland, “la mairie était envahie” par les services de sécurité. “Moi,
je n’avais plus de bureau. On ne pouvait plus faire de réunions dans la
salle du conseil. Le garde du corps de Hassan II, Raymond Sassia, venait
et me disait : ‘Monsieur le Maire, quittez votre bureau que je le
prenne’”.
Aujourd’hui, le dispositif
de sécurité est bien plus modeste. “Devant la mairie, il y a une voiture
de gendarmes en permanence, et c’est presque tout”, poursuit l’ancien
maire, qui rappelle qu’à l’époque de Hassan II, “il y avait plus de
risques d’attentats”. ça, le village en sait quelque chose. Lors du coup
d’Etat manqué du 16 août 1972, lorsque le Boeing de Hassan II fut
attaqué en plein vol, le roi revenait précisément de Betz. La veille, à
18h30, il avait été fait citoyen d’honneur de la commune par le maire de
l’époque, Marcel Grosbois.
Le discret
Est-ce
pour conjurer le mauvais sort que Hassan II a encouragé le jumelage des
localités de Betz et de Skhirat ? Difficile à dire. Ce qui est certain,
c’est qu’à l’instar de son père, Mohammed VI “est très attaché à la
commune”, comme l’assurait l’an passé Philippe Boulland au Courrier
Picard. “Il m’a même dit un jour qu’il ne s’était jamais aussi bien
reposé qu’ici”. En tout cas, le roi se fait discret. Les Bessins ne
remarquent ses visites que par le biais du drapeau marocain, accroché au
mât à l’entrée de la propriété, et par la présence des “chauffeurs en
costard dans des voitures noires” qui attendent dans la rue à longueur
de journée. Mohammed VI ne se serait promené qu’une seule fois dans le
village, visitant notamment la supérette et la pharmacie. “Il faut dire
qu’il n’y a rien à voir ici”, plaisante “Monsieur Hassan”, le pizzaïolo
du village, originaire de Ain Sebaâ. Finalement, les villageois ne
savent pas grand-chose des activités de Mohammed VI lors de ses séjours à
Betz. Le Parisien et l’AFP ont seulement révélé que le roi y monte ses
chevaux (il en aurait huit), notamment Quintus et Rivulus, deux
percherons (chevaux de trait) qu’il a exhibés au Salon de l’agriculture
de Paris. Canasson hors pair, désigné “champion international de sa
race”, Rivulus aurait été acheté 15 000 euros.
La loi du silence
Pour
le reste, il est extrêmement difficile de savoir ce qui se trame
derrière les murs d’enceinte, ni même à quoi ressemble l’aménagement
intérieur du château. Plusieurs ouvriers qui y ont travaillé nous
assurent que “ce n’est pas très luxueux”. Un artisan juge même que
“c’est un peu vieillot” et que “ça aurait besoin d’être sérieusement
rénové”.
Impossible d’en savoir plus :
dès qu’on évoque le roi du Maroc, un climat de peur et de méfiance
s’installe. L’immense majorité des employés refusent de parler à la
presse. Un autre ouvrier, à qui nous demandions simplement combien de
pièces comporte le château, a répondu qu’il ne pouvait “rien divulguer”,
avant d’avaler son café d’un trait et de s’éclipser à toute vitesse.
Dominique Vasseur, qui s’est intéressée de près à l’histoire du château,
confirme qu’il est “très dur de recueillir des témoignages”, les
employés trop bavards craignant “d’être licenciés”.
Une
employée occasionnelle du château, qui nous avait pourtant fait une
description des plus flatteuses de Sa Majesté (“Un monsieur très très
très bien !”), nous a demandé, les larmes aux yeux, de ne pas rendre
public son témoignage. Plus étonnant, même des gens n’ayant rien à
gagner ou à perdre de la présence du roi, et qui ne nous avaient confié
que des anecdotes anodines, nous ont demandé de rendre leurs citations
les plus anonymes possibles – “parce que si la mairesse sait que c’est
moi qui vous ai raconté tout ça, elle va me tuer” !
Les républicains de Sa Majesté
Dans
ce climat étrange, le groupe d’opposants marocains, qui désiraient
manifester devant le château pour dénoncer “la dictature et la prédation
économique royale”, n’ont guère trouvé de supporters locaux (voir
encadré). “C’est n’importe quoi, s’emporte un client du café. Venir
manifester à Betz, alors que le roi amène du monde dans le village et
qu’il fait travailler les commerçants… Laissez-le tranquille ! Il est
bien moins pire que son père”. “Ils n’ont rien à faire ici”, s’écrie une
employée du château, promettant d’aller “engueuler” les manifestants.
“Tout ce barouf, ça ne nous amuse pas du tout”, renchérit la fille d’un
ancien maire (du temps de Hassan II), craignant que Mohammed VI ne
décide de déserter le village, “comme Hassan II quand Mme Mitterrand
s’était immiscée dans les affaires du royaume”.
Plus
prosaïquement, de nombreux habitants s’accordent à penser que les
problèmes du Maroc doivent rester au Maroc et qu’ils n’ont rien à faire à
Betz, où la politique marocaine n’intéresse pas grand monde. Selon
Dominique Vasseur, l’auteure de la brochure sur l’histoire du château,
“il y a plein de gens qui ne s’intéressent pas à ce qui se passe en
France. Alors, ce qui se passe au Maroc…” Le cafetier confirme : “Ma
politique à moi, c’est mon pain, mes enfants, ma famille”. Sans oublier
que les rares échos qu’il a eus de l’action royale au Maroc étaient
positifs : “La plupart des Marocains que j’ai rencontrés m’ont dit que
c’était le roi des pauvres, quelqu’un qui aide les plus démunis”.
Opposants offshore
Non
autorisé, le sit-in n’a finalement pas lieu. À Betz, au cœur du “pays
des droits de l’homme”, seuls quelques autochtones ont été choqués par
cette interdiction, et parmi eux, seule une personne était franchement
d’accord avec les contestataires. Au motif, a-t-elle justifié, que “le
roi est riche à gogo, et qu’il taxe les pauvres”. Mais ce n’est pas
Colette Thellier, la maire du village, qui tiendrait ce discours. Quand
elle a pris connaissance du projet de sit-in, qui devait prendre la
forme d’un bivouac installé jour et nuit, pendant une semaine, devant
l’entrée du château, elle s’est empressée de publier un arrêté municipal
interdisant le camping sauvage sur tout le territoire communal. Pour ne
pas indisposer son royal administré ? “Non, c’est pour la tranquillité
de son voyage, nous répond-elle. Le roi vient pour se reposer et il ne
crée pas de problèmes. On tient à ce que le village reste calme”. Avant
d’ajouter ces paroles énigmatiques : “C’est vrai que la France est le
pays des droits de l’homme, mais je trouve qu’on en abuse”.
Lorsqu’il
l’a rencontrée pour lui exposer son projet de manifestation, le
principal organisateur du sit-in, Mustapha Adib, a offert à Mme la maire
deux brûlots anti-Mohammed VI : Le Roi prédateur (d’Eric Laurent et
Catherine Graciet, Ed. Seuil) et Le Grand malentendu (de Ali Amar, Ed.
Calmann Lévy). L’édile a promis de les lire et de les déposer ensuite à
la bibliothèque municipale. Lors de notre séjour à Betz, elle ne l’avait
toujours pas fait…
Témoignages. Ils ont parlé au roi
La
plupart des habitants de Betz n’ont jamais vu le roi. Mais certains ont
pu lui parler, comme l’ancien maire Philippe Boulland : “C’est
quelqu’un qui sait mettre à l’aise son interlocuteur et qui vous parle
comme on est en train de parler là. (…) Finalement, au bout d’un moment,
on oublierait presque que c’est le roi du Maroc. Il y a un protocole,
mais l’ensemble de l’entretien n’est pas entaché de trop de cérémonial”.
Du côté de Fabrice Fagot, plombier qui travaille régulièrement au
château, le son de cloche est à peu près le même : “Il est comme nous.
C’est quelqu’un qui discute tranquillement. C’est le gars qui reste
simple, qui ne se prend pas la tête, qui ne nous prend pas la tête. Il
vient, nous salue, nous demande ce qu’on fait…” Et au fait, il parle
comment le français, le roi du Maroc ? “Peut-être mieux que moi”, sourit
l’artisan.
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Anecdotes. Contes et légendes du palais
Le
culte du secret qui règne au-delà des murs de la propriété royale
génère naturellement un torrent d’histoires et de rumeurs peu
vérifiables. En vrac : “Quand le roi est là, il donne 2500 euros de
prime à ses employés” ; “à l’intérieur, il y a des robinets en or” ; “à
l’époque de Hassan II, un ouvrier s’est permis d’utiliser les toilettes
du roi , il a été licencié” ; “Quand Hassan II a offert le méchoui aux
villageois, certains lui ont volé de la vaisselle”… L’ancien maire,
Philippe Boulland, se souvient que des légendes complètement farfelues
ont tourné autour du village : “J’étais obligé de dire qu’on ne votait
pas notre budget en dirhams, mais en francs puis en euros”. Ou encore :
“Des gens venaient nous voir à la mairie pour nous dire ‘J’aimerais bien
habiter Betz parce qu’il paraît que grâce au roi du Maroc, vous ne
payez pas d’impôts’”. Ce qui est faux, bien entendu. D’ailleurs, à Betz,
assure l’ancien maire, “même le roi du Maroc paye des impôts
(fonciers)”, puisqu’aujourd’hui, la propriété est une résidence privée.
Elle n’a plus le statut d’ambassade qu’elle a eu par le passé. À ce
titre, elle ne bénéficie donc plus de l’extraterritorialité.
|
Zoom. Chronique d’une manif’ avortée
Une
manifestation d’opposants devant le château du roi du Maroc ? À Betz,
on n’avait jamais vu ça. Et on ne risque pas de le voir de sitôt : le
sit-in prévu du 27 octobre au 2 novembre a été interdit par les
autorités françaises. Motif ? “Risques de troubles à l’ordre public”. La
préfecture de l’Oise a expliqué qu’elle craignait des affrontements
entre les manifestants et d’éventuels contre-manifestants. Le préfet a
aussi déclaré, en substance, que sécuriser les abords des 71 hectares du
parc, afin d’empêcher toute intrusion, nécessiterait des moyens
policiers trop importants.
L’appel à
manifester avait été lancé par le Collectif pour la dénonciation de la
dictature au Maroc, qui regroupe “une cinquantaine de Marocains et de
binationaux”. Mené notamment par Mustapha Adib (ex-capitaine des FAR qui
fut emprisonné pendant deux ans pour avoir dénoncé des faits de
corruption), le collectif rassemble aussi Hicham Dlimi (neveu du célèbre
général) et Mahjoub Tobji (ancien aide de camp du même général). Pour
Mustapha Adib, l’interdiction du sit-in, “liberticide”, “a l’air d’être
politique. Nous le constatons avec beaucoup de regret et d’amertume,
surtout de la part d’un gouvernement de gauche”. Car si les membres du
collectif souhaitaient manifester devant le château de Betz, qui est
selon eux “un bien mal acquis”, c’était pour attirer l’attention sur “la
prédation économique du roi”.
Mais
ils n’ont pas pu exprimer leur point de vue : le 27 octobre, premier
jour du sit-in, le village de Betz était rempli de fourgonnettes de
gendarmerie. Les manifestants, eux, sont restés introuvables. Ce
jour-là, seuls quatre représentants du collectif ont fait le déplacement
à Betz, en espérant que le juge des référés, saisi en urgence,
annulerait l’interdiction à la dernière minute. Peine perdue : en
arrivant au village, les organisateurs ont appris que leur recours avait
été rejeté. Longuement interrogés par les forces de l’ordre, ils ont
vite repris la route vers Paris, en promettant d’organiser des
manifestations devant d’autres propriétés de la famille royale en
France.
Les gendarmes, eux, sont
restés dans le village, y instaurant un climat des plus pesants. Dans
les rues du bourg, des passants ont eu droit à des contrôles d’identité à
répétition. En trois jours, l’auteur de ces lignes a dû se soumettre à
quatre de ces contrôles. Quand il a voulu rencontrer le préposé à
l’entretien du château, les forces de l’ordre l’ont empêché de sonner à
la porte de la résidence royale, qui se trouve pourtant dans le domaine
public. Enfin, par deux fois, les gendarmes, arguant d’un arrêté
préfectoral vraisemblablement fictif, l’ont obligé à effacer des photos
qu’il avait pu prendre du dispositif policier. En France, dès lors qu’il
est question du roi du Maroc, la liberté de manifestation et la liberté
de la presse semblent ne s’appliquer qu’avec parcimonie. Le Wissam
alaouite décerné l’an passé à Manuel Valls, actuel ministre de
l’Intérieur français, y serait-il pour quelque chose ?
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