- Écrit par Boubacar Seck, 16/8/2013
Très
loin de moi l'idée de me prendre pour l'auteur de la célèbre adresse.
Seulement, être Noir au Maroc aujourd'hui c'est prendre conscience que
cette acception du terme est devenue comme un destin commun. Nul ne peut
ignorer aujourd'hui la détestable situation des migrants africains
venus du sud du Sahara si l'on suit un tant soit peu l'actualité. Ils
sont devenus, et je pèse mes mots sur une balance pour quintaux, les
Roms du Maghreb et les Dreyfus sacrifiés sous l'autel des bienséances
diplomatiques "sans aucune forme de procès".
Ces femmes et ces hommes ont quitté leur patrie, c'est le déshonneur
de leur nation qui n'a pas pu les retenir et leur offrir la dignité à
laquelle ils aspirent. Ils ont choisi le Maroc, en lorgnant peut-être
plus loin, ce devrait être l'honneur du royaume chérifien. Hélas, les
dérives, bavures et manquements aux droits fondamentaux de la part des
institutions du pays elles-mêmes deviennent légion.
Quatre exemples pour éclairer ces propos.
1) Il y a quelques semaines, les habitants de la ville de Casablanca
découvraient avec effarement que des syndics de copropriété plaquaient
dans les parties communes de leurs immeubles, au vu et au su de tout le
monde donc, des messages interdisant aux propriétaires de louer les
appartements à des "Africains". Passons sur l'ineptie qui consiste à
distinguer les Marocains des autres Africains : le Maroc ce pays du sud
de l'Europe ! Dans tout autre pays de droit, le parquet se serait saisi
l'affaire ne serait-ce que pour ouvrir une information judiciaire ou
intenter un procès pour discrimination raciale. Là, silence radio.
2) Au mois de juillet dernier, des policiers jettent d'une
fourgonnette en marche, un Congolais Alex Toussaint Mianzoukouta. Il
meurt quelques jours plus tard de ses blessures. Personne ne sait ce qui
s'est passé lors de ce fameux contrôle d'identité. Le saura-t-on un
jour ? Silence radio.
3) le 1er août dernier, une jeune Ivoirienne, Tina Melon, rapporte
qu'elle aurait été violée par cinq policiers en plein mois de ramadan.
Sous la pression et au milieu d'un bouillant «DanielGate», le wali de
Tanger propose d'ouvrir une enquête. Mais, avant même la fin de la
procédure des expertises, contre/expertises et des auditions, il parle
dans un communiqué "d'accusations sans fondements visant à ternir l'image des forces de l'ordre." Comme si ces forces de l'ordre avaient attendu Tina Melon pour entamer leur légendaire réputation.
4) Le 14 août (avant-hier), Ismaïla Faye, un Sénégalais, est
poignardé dans un bus à Rabat pour une histoire de place. Banal fait
divers, crime crapuleux ou raciste ? La prudence reste de rigueur.
Ce
qui est sûr cependant, c'est qu'il subsiste un climat favorisant la
libération de la parole raciste et donc incitant au passage à l'acte. Je
me suis reconnu en la personne d'Ismaïla Faye. Car moi aussi, cette
histoire de place, je l'ai vécue plusieurs fois sur les vols de la RAM,
dans les trains de l'ONCF et les bus de la RTM. Le pire, ce sont les
regards remplis de dédain et de mépris que certains vous lancent lorsque
vous daignez faire valoir vos droits.
Je pourrais égrener le long chapelet des crimes sur les migrants
jetés à la mer par les garde-côtes, des brimades et rackets dans la
forêt de Bel Younech, des exactions aux abords de Ceuta et Melilla et
des discriminations dans les grandes villes du royaume. Sans compter la
concussion généralisée de ces forces de l'ordre dûment assermentées.
Pour Alain Toussaint Mianzoukouta, Tina Melon, Ismaïla Faye qui ont
maintenant un nom et un visage, combien d'ombres errantes harcelées par
un système répressif qui n'épargne même pas les Marocains ?
Alors, j'accuse une partie de la société marocaine qui, en ces temps
ombreux où l'avenir est occulté par les incertitudes de l'existence, se
tourne vers les étrangers pour chercher des boucs émissaires.
J'accuse le gouvernement marocain de laisser pourrir la situation par
son silence et son déni. Le Ministre de l'Intérieur a déclaré au
printemps dernier à Dakar : «Il n'y a pas de racisme au Maroc.»
J'accuse les dirigeants des deux pays qui se sont félicités jusque
récemment lors des visites du roi Mohamed VI à Dakar et du Président
Macky Sall à Rabat, à juste titre, de la durable amitié
sénégalo-marocaine. Justement, des amis ne doivent pas se donner que des
bonnes nouvelles mais aussi parler des dossiers brûlants pour le bien
de leurs peuples respectifs.
Qui sommes-nous devenus pour rester silencieux devant ces actes
iniques, pour que nos peurs des lendemains difficiles gouvernent notre
quotidien et notre conscience? Jusqu'où descendrons-nous ?
Ces crimes désolent nos deux nations. Maintenant, personne ne pourra plus dire « mafrasich ».
Nous sommes au moins coupables de rêver innocents !
Maintenant ça suffit, il faut agir !
Boubacar Seck
Architecte
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire