Chers amis lecteurs de solidmar,

Solidmar est fatigué ! Trop nourri ! En 8 ans d’existence il s’est goinfré de près de 14 000 articles et n’arrive plus à publier correctement les actualités. RDV sur son jumeau solidmar !

Pages

samedi 29 mars 2014

Les sidérants déboires d'Ignacio Cembrero, meilleur spécialiste du Maroc



Un journaliste espagnol compétent qui se voit retirer la couverture du dossier, le Maroc, dont il est sans doute le plus grand spécialiste au monde: une affaire atypique où se cachent sous couvert de «terrorisme» de sournoises influences politiques…
Une information sidérante. Voilà comment on a envie de commenter la mésaventure subie par notre confrère espagnol Ignacio Cembrero au sein de la rédaction du quotidien El Pais. 
 Cet éminent spécialiste du Maroc s’est vu retirer brutalement en février la couverture de ce dossier qu’il couvrait depuis une vingtaine d’années. Il est dorénavant rattaché à l’équipe du dimanche au journal. Mais pourquoi ? La direction du journal répond de manière laconique qu’il s’agit d’«une décision interne» qu’elle n’a pas à commenter, «un changement normal, pas étrange».
Vraiment? C’est se moquer du monde. Le contexte de l’affaire suggère en effet plutôt des explications d’ordre politique: El Pais aurait en l’occurrence retiré la couverture marocaine à Cembrero à la suite de la plainte, bien établie celle-là, du gouvernement du Maroc contre le directeur d’El Pais et contre ce journaliste. La plainte a été déposée le 20 décembre dernier à Madrid pour la diffusion sur le site internet du quotidien – en fait sur le blog de Cembrero, «Orilla Sur» – d’une vidéo intitulée «Maroc, Royaume de corruption et de despotisme». Le parquet espagnol précise que la plainte se réfère au titre du deuxième paragraphe de l’article 579.1 du code pénal espagnol relatif au délit «d’apologie du terrorisme». Diantre!
Cette vidéo a en réalité déjà fait couler beaucoup d’encre. Elle a été en effet postée le 12 septembre 2013 sur internet par Al-Andalous, un site proche d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Comme l’explique le remuant site marocain, Demainonline, dans cette vidéo d’une quarantaine de minutes, «Aqmi reprend une série d’informations publiées par des médias relatives à la corruption du régime marocain, de la monarchie et de son entourage en particulier, avant d’appeler les jeunes musulmans marocains au djihad contre le régime».
A l’époque, Ali Anouzla, le directeur de la partie arabe d’un journal en ligne marocain, Lakome, également connu pour son indépendance et son esprit critique, avait parlé de cette vidéo dans un article qui donnait en hyperlien un article du blog d’Ignacio Cembrero, sur le site d’El Pais, lequel article donnait en hyperlien la fameuse vidéo des terroristes d’Aqmi.
Anouzla et Lakome ont payé cher ce papier. Le site a été fermé d’autorité et le journaliste a été emprisonné pendant cinq semaines puis libéré, son procès pour «assistance matérielle au terrorisme», «apologie du terrorisme» et «incitation à l’exécution d’actes terroriste» aura en principe lieu le 20 mai. Il risque gros et se tait dans toutes les langues depuis lors.
Curieusement, alors qu’Anouzla n’avait fait que renvoyer au blog de Cembrero, son confrère Aboubakr Jamaï, directeur de la partie francophone de Lakome, n’a jamais été poursuivi par la justice de son pays alors qu’il a fait pire, de son côté, puisqu’il a mis directement la vidéo controversée en hyperlien internet dans un article consacré au sujet.
Ajoutons que Cembrero, Anouzla et Jamaï, quand ils ont parlé de la vidéo d’Aqmi, ont tous trois bien précisé qu’il s’agissait d’une vidéo de propagande.
Alors pourquoi le gouvernement marocain attaque-t-il El Pais et à Cembrero (et pas à d’autres sites dans le monde spécialisés dans les affaires de terrorisme et qui reprennent la vidéo litigieuse)? Seule explication plausible: parce que Cembrero n’est pas un journaliste comme les autres. «C’est le meilleur spécialiste du Maroc dans le monde !, s’exclame Ali Lmrabet, notre confrère marocain qui a lancé Demainonline, contacté à Tétouan. C’est un véritable puits d’informations sur mon pays, il ne rate jamais une info et il en sait bien plus que nous les Marocains car lui jouit – faut-il dire «jouissait?» – de la liberté de la presse dans son pays. Il n’empêche, je n’en reviens pas qu’El Pais ait cédé aux pressions et lui ait retiré la couverture du Maroc. »
On peut comprendre l’hostilité qu’Ignacio Cembrero suscite en haut lieu à Rabat. C’est lui, par exemple, qui a éventé l’information l’été dernier, de la libération et du transfert vers l’Espagne du pédophile espagnol Daniel Galvan, condamné au Maroc à 30 ans de prison pour le viol de onze enfants. Il avait bénéficié d’une grâce royale, une bourde monumentale qui avait indigné tous les Marocains et obligé le palais à faire – trop tard – machine arrière. Cette affaire porte désormais le nom de «Danielgate».
Expliquer l’inimitié du régime marocain pour un journaliste de cette trempe est donc chose aisée. Ce qui l’est bien moins, c’est de trouver une explication au sort funeste subi par ledit journaliste au sein même de sa rédaction. Contacté par Le Monde cette semaine, Ignacio Cembrero n’a pas souhaité réagir. Mais, dès le 22 février, Demainonline, qui avait révélé ses ennuis à El Pais, lançait des pistes: «Apparemment, le Makhzen – le pouvoir marocain, NDLR – a réussi à convaincre les principaux dirigeants du journal, surtout Juan Luis Cebrian, le président de Prisa, la maison mère du journal, qui se trouve être un ami personnel de Felipe Gonzalez, l’ancien président du gouvernement espagnol devenu cette dernière décennie le plus efficace lobbyiste du Maroc en Espagne.» Filipe Gonzalez est un membre éminent du parti socialiste espagnol bien en cour à Rabat et El Pais un journal de gauche.
Le Monde a diffusé ce 18 mars un extrait d’une lettre qu’Ignacio Cembrero a adressée à ses amis marocains, dans laquelle il les remercie pour «toutes les infos, les impressions et les réflexions, émaillées de thé ou de couscous, que vous m’avez transmises tout au long de ces années et qui m’ont tant aidé à faire mon boulot de journaliste».
Le journaliste a été sanctionné par sa direction mais il n’est pas encore condamné en justice. «L’Audience nationale (parquet général) étudie la plainte marocaine, constate Ali Lmrabet, mais elle n’a pas encore décidé si elle poursuivra le journal et le journaliste. Et même si c’était le cas, rien ne dit que la justice espagnole les condamnera.»
BAUDOUIN LOOS

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire