Marocaine version, 20/10/2013
Opinion. Depuis que j’entends des voix dans ma tête
et que je les balade de Stuttgart à Genève et de Reims à Bruxelles, je
ne vis plus la politique de la même façon.
Depuis que je refais ma maison et que je fais le ménage dans ma vie, je ne vis plus la politique de la même façon.
Depuis que je n’aime plus, dans le propre comme dans le figuré, je ne vis plus la politique de la même façon.
Puis, des architectes, des producteurs de cinéma, des nouveaux projets et des contrôles fiscaux ont fait le reste ..
L’homme aux mots de miel est rentré, s’est installé, a fait sa
demande en mariage et j’ai su que plus jamais je ne vivrai la politique
de la même façon.
C’est dans cet état d’esprit que j’ai vécu tout ce feuilleton à
rebondissement qu’est l’affaire Ali Anouzla, qui est devenue l’affaire
Lakome, qui est devenue l’affaire PopCorn (Logiciel permettant au
Mekhzen de rendre aux marocains certains sites internet inaccessibles et
d’avoir accès à tous leurs échanges, mails, chats, consultations Web,
téléphonie IP ..), qui va sûrement devenir pleins d’autres affaires
avant que ça ne s’épuise à la faveur d’une fin ou d’une autre, comme le
veut la loi de la nature.
Évidemment que je me suis indignée à l’arrestation d’Ali, j’étais
encore plus ou moins dans le mood militance et mon indignation était
teintée de cette rage et de cette passion qu’on a quand on vit les
choses de l’intérieur.
Il y a eu les conférences d’Aboubaker Jamai à Paris et à Washington
et j’ai écrit confortablement installée derrière mon Pc et mon anonymat
pour ensuite reprendre ma vie. Je me suis baignée dans une plage du
paradis au Maroc, j’ai choisi du carrelage en France, et j’ai vu mon
psy.
Puis il y a eu ses différentes interventions à Bruxelles. Je les ai
toutes regardées attentivement, elles m’ont rappelé le temps où je
participais à l’organisation de ce genre de manifestations, elles m’ont
rappelé le temps où j’étais prête à donner sans compter pour la cause,
elles m’ont rappelé un autre temps.
Je regardais le visage de Jamai pendant qu’il expliquait
inlassablement, à la radio ou à la télé, au parlement européen ou dans
un café, avec la même force et la même conviction la nature de cette
affaire, la nature du régime, les manipulations du Mekhzen, les
véritables buts de cette mascarade, les responsabilités du pouvoir
européen mamounisé, l’importance capitale de la médiatisation de cette
affaire et des pressions internationales pour la libération immédiate et
sans conditions d’Ali, ces pressions étant le seul langage que cet
autiste de Mekhzen peut comprendre.
Je regardais ses traits tirés de fatigue, les cernes sous ses yeux et
ce visage de Dieu grec marqué par la pression des derniers jours et le
souvenir d’une affaire semblable vécue une dizaine d’années auparavant.
J’écoutais plus le son et le ton de sa voix que ses paroles, je
suivais plus sa gestuelle et ses expressions que celles de ses
interlocuteurs et j’ai eu un énorme pincement au cœur.
Il m’a paru comme un martyre, un kamikaze, risquant littéralement sa
vie en s’attaquant à un monstre, à une chose aux contours flous ou même
sans contours, puisant dans son énergie, sa jeunesse, son temps et ses
priorités, pour … la cause.
J’avais l’impression d’assister à un suicide et j’ai eu un énorme pincement au cœur.
Le Mekhzen est soutenu par les européens et les américains, il est
d’abord le serviteur de leurs intérêts avant d’être celui des pantins
qui lui servent de dirigeants.
Le Mekhzen est plus arrogant que jamais, il emprisonne, il joue, il interdit et il tabasse comme bon lui semble.
Il a le dos assez solide pour supporter le tapage médiatique de cette
affaire, aussi international qu’il soit, il fera des concessions ou pas
selon la pression de ses patrons, qui feront pression ou pas selon la
pression de leurs sociétés civiles. Le reste, c’est de la littérature.
En attendant, le Mekhzen broie, d’une façon ou d’une autre, de la
chair à canons, des Jamai et des Anouzla, des Lmrabet et des Amar, plus
et surtout tous les jeunes des quartiers, qui continuent à disparaître
sans autre publicité que ce que la société civile et les réseaux sociaux
arrivent à en faire.
Je n’aurais sûrement pas eu les mêmes sentiments si j’avais assisté à
toutes ces manifestations, mais aujourd’hui, c’est un autre temps.
Cet immense pincement au cœur se transforme en rage et en colère
devant certaines réactions de débiles mentaux profonds qui veulent
savoir qui finance les déplacements de Jamai ou pourquoi il ne respecte
pas “la volonté” présumé d’Ali de fermer le site, ou pourquoi il ne se
prononce pas sur tel ou tel point tout aussi débiles que les connards
qui les débitent.
Une même rage et une même colère devant certaines réactions de
personnes toutes aussi connes qui croient avoir la légitimité de juger
une éventuelle ‘’volonté” d’Ali de négocier sa liberté, sous prétexte
que ces personnes, ELLES, n’ont jamais négocié et qu’elles auraient
l’exclusivité du courage et du nationalisme. Un peu de modestie les mecs
! je suis tentée de dire. Vous serez les premiers à tourner votre veste
si le Mekhzen faisait le pas dont l’absence vous rend si aigris.
Puis il y a une autre catégorie qui se croit le baromètre des degrés
d’engagement et du militantisme de tel ou tel personne et qui est
persuadée de détenir les unités de mesure exactes de cet engagement.
Cette catégorie là sait exactement ce que chaque personne devrait faire
pour mériter le titre suprême du vrai militant anti-mekhzen et passe aux
insultes si jamais on commet le crime ultime de ne pas adhérer à ses
délires.
Sérieux les mecs, Vos gueules ! Définitivement ! Allez plutôt soigner
vos névroses et faites quelque chose de vos vies, vous êtes entrain de
tourner en rond comme les cons que vous êtes.
Ne voulant pas rester sur ces images et ces impressions négatives,
j’ai fait appel à mon fournisseur particulier et officiel d’optimisme et
de rationalisme.
Il m’a dit : “Tout est question de perspective. Si tu prends les cas
individuels, ces personnes auraient pu avoir des situations plus rangées
et encourir moins de risques, mais une part significative du choix a
été et demeure entre leurs mains. Il faut croire que ça les fait plus
bander de sentir qu’ils ont une incidence sur le changement de tout un
pays que de bénéficier d’un confort pépère… La perspective décide aussi
de l’appréciation de qui mène le combat ; à brève échéance, tu peux
avoir raison lorsque tu dis que le régime parvient à broyer des
individus, mais quand tu regardes l’évolution au long cours, tu ne peux
nier que nous avançons notablement dans le sens de la démocratie et des
droits humains. Perso, je ne vois pas que le régime pourrait avoir une
politique de liquidation systématique de ses détracteurs, mais certaines
têtes d’affiche (et non la chair à canons, qui, elle, se recrute chez
les jeunots sans aura internationale) paient un prix certain, et on ne
peut jamais savoir au préalable qui va payer quoi, mais on choisit
d’être ou pas dans la mêlée. Et gueule autant que tu veux que c’est un
excès d’optimisme, je m’y complets !!! “
Je lui réponds : “J’ai bcp d’admiration pour toutes ces têtes
d’affiche. Je leur trouve un courage surhumain et sans leur excès
d’optimisme à la limite de l’inconscience, tous les autres auraient
encore été des esclaves ou des burkisées sans maillot de bain qui
brille, ni vin blanc ..”
Et je rajoute ici toute ma reconnaissance, mon indéfectible, mon
incommensurable reconnaissance à ces héros et à ces martyres, à toute
cette chair à canons; derrière lesquels, nous tous, lâches que nous
sommes, nous nous cachons, pour profiter des libertés payées de leurs
vies, des avancées arrachées par leur sang. Leur courage n’a d’égal que
notre lâcheté et leur altruisme et leur sens du sacrifice et de la
justice n’ont d’égal que notre égoïsme et notre mutisme.
Donc à tous ceux qui ouvrent leurs gueules pour dire des conneries, un peu de décence, fermez-là, à l Guenss l7efiane.
Marocaine version : ‘’Reconnaissante jusqu’à la nuit des temps”
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