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vendredi 25 octobre 2013

Ces héros, ces martyres … ces chairs à canons

Marocaine version, 20/10/2013 

makhzen-m6

Opinion. Depuis que j’entends des voix dans ma tête et que je les balade de Stuttgart à Genève et de Reims à Bruxelles, je ne vis plus la politique de la même façon.
Depuis que je refais ma maison et que je fais le ménage dans ma vie, je ne vis plus la politique de la même façon.
Depuis que je n’aime plus, dans le propre comme dans le figuré, je ne vis plus la politique de la même façon.
Puis, des architectes, des producteurs de cinéma, des nouveaux projets et des contrôles fiscaux ont fait le reste ..
L’homme aux mots de miel est rentré, s’est installé, a fait sa demande en mariage et j’ai su que plus jamais je ne vivrai la politique de la même façon.

C’est dans cet état d’esprit que j’ai vécu tout ce feuilleton à rebondissement qu’est l’affaire Ali Anouzla, qui est devenue l’affaire Lakome, qui est devenue l’affaire PopCorn (Logiciel permettant au Mekhzen de rendre aux marocains certains sites internet inaccessibles et d’avoir accès à tous leurs échanges, mails, chats, consultations Web, téléphonie IP ..), qui va sûrement devenir pleins d’autres affaires avant que ça ne s’épuise à la faveur d’une fin ou d’une autre, comme le veut la loi de la nature.
Évidemment que je me suis indignée à l’arrestation d’Ali, j’étais encore plus ou moins dans le mood militance et mon indignation était teintée de cette rage et de cette passion qu’on a quand on vit les choses de l’intérieur.
Il y a eu les conférences d’Aboubaker Jamai à Paris et à Washington et j’ai écrit confortablement installée derrière mon Pc et mon anonymat pour ensuite reprendre ma vie. Je me suis baignée dans une plage du paradis au Maroc, j’ai choisi du carrelage en France, et j’ai vu mon psy.
Puis il y a eu ses différentes interventions à Bruxelles. Je les ai toutes regardées attentivement, elles m’ont rappelé le temps où je participais à l’organisation de ce genre de manifestations, elles m’ont rappelé le temps où j’étais prête à donner sans compter pour la cause, elles m’ont rappelé un autre temps.
Je regardais le visage de Jamai pendant qu’il expliquait inlassablement, à la radio ou à la télé, au parlement européen ou dans un café, avec la même force et la même conviction la nature de cette affaire, la nature du régime, les manipulations du Mekhzen, les véritables buts de cette mascarade, les responsabilités du pouvoir européen mamounisé, l’importance capitale de la médiatisation de cette affaire et des pressions internationales pour la libération immédiate et sans conditions d’Ali, ces pressions étant le seul langage que cet autiste de Mekhzen peut comprendre.
Je regardais ses traits tirés de fatigue, les cernes sous ses yeux et ce visage de Dieu grec marqué par la pression des derniers jours et le souvenir d’une affaire semblable vécue une dizaine d’années auparavant.
J’écoutais plus le son et le ton de sa voix que ses paroles, je suivais plus sa gestuelle et ses expressions que celles de ses interlocuteurs et j’ai eu un énorme pincement au cœur.
Il m’a paru comme un martyre, un kamikaze, risquant littéralement sa vie en s’attaquant à un monstre, à une chose aux contours flous ou même sans contours, puisant dans son énergie, sa jeunesse, son temps et ses priorités, pour … la cause.
J’avais l’impression d’assister à un suicide et j’ai eu un énorme pincement au cœur.
Le Mekhzen est soutenu par les européens et les américains, il est d’abord le serviteur de leurs intérêts avant d’être celui des pantins qui lui servent de dirigeants.
Le Mekhzen est plus arrogant que jamais, il emprisonne, il joue, il interdit et il tabasse comme bon lui semble.
Il a le dos assez solide pour supporter le tapage médiatique de cette affaire, aussi international qu’il soit, il fera des concessions ou pas selon la pression de ses patrons, qui feront pression ou pas selon la pression de leurs sociétés civiles. Le reste, c’est de la littérature.
En attendant, le Mekhzen broie, d’une façon ou d’une autre, de la chair à canons, des Jamai et des Anouzla, des Lmrabet et des Amar, plus et surtout tous les jeunes des quartiers, qui continuent à disparaître sans autre publicité que ce que la société civile et les réseaux sociaux arrivent à en faire.
Je n’aurais sûrement pas eu les mêmes sentiments si j’avais assisté à toutes ces manifestations, mais aujourd’hui, c’est un autre temps.
Cet immense pincement au cœur se transforme en rage et en colère devant certaines réactions de débiles mentaux profonds qui veulent savoir qui finance les déplacements de Jamai ou pourquoi il ne respecte pas “la volonté” présumé d’Ali de fermer le site, ou pourquoi il ne se prononce pas sur tel ou tel point tout aussi débiles que les connards qui les débitent.
Une même rage et une même colère devant certaines réactions de personnes toutes aussi connes qui croient avoir la légitimité de juger une éventuelle ‘’volonté” d’Ali de négocier sa liberté, sous prétexte que ces personnes, ELLES, n’ont jamais négocié et qu’elles auraient l’exclusivité du courage et du nationalisme. Un peu de modestie les mecs ! je suis tentée de dire. Vous serez les premiers à tourner votre veste si le Mekhzen faisait le pas dont l’absence vous rend si aigris.
Puis il y a une autre catégorie qui se croit le baromètre des degrés d’engagement et du militantisme de tel ou tel personne et qui est persuadée de détenir les unités de mesure exactes de cet engagement. Cette catégorie là sait exactement ce que chaque personne devrait faire pour mériter le titre suprême du vrai militant anti-mekhzen et passe aux insultes si jamais on commet le crime ultime de ne pas adhérer à ses délires.
Sérieux les mecs, Vos gueules ! Définitivement ! Allez plutôt soigner vos névroses et faites quelque chose de vos vies, vous êtes entrain de tourner en rond comme les cons que vous êtes.
Ne voulant pas rester sur ces images et ces impressions négatives, j’ai fait appel à mon fournisseur particulier et officiel d’optimisme et de rationalisme.
Il m’a dit : “Tout est question de perspective. Si tu prends les cas individuels, ces personnes auraient pu avoir des situations plus rangées et encourir moins de risques, mais une part significative du choix a été et demeure entre leurs mains. Il faut croire que ça les fait plus bander de sentir qu’ils ont une incidence sur le changement de tout un pays que de bénéficier d’un confort pépère… La perspective décide aussi de l’appréciation de qui mène le combat ; à brève échéance, tu peux avoir raison lorsque tu dis que le régime parvient à broyer des individus, mais quand tu regardes l’évolution au long cours, tu ne peux nier que nous avançons notablement dans le sens de la démocratie et des droits humains. Perso, je ne vois pas que le régime pourrait avoir une politique de liquidation systématique de ses détracteurs, mais certaines têtes d’affiche (et non la chair à canons, qui, elle, se recrute chez les jeunots sans aura internationale) paient un prix certain, et on ne peut jamais savoir au préalable qui va payer quoi, mais on choisit d’être ou pas dans la mêlée. Et gueule autant que tu veux que c’est un excès d’optimisme, je m’y complets !!! “
Je lui réponds : “J’ai bcp d’admiration pour toutes ces têtes d’affiche. Je leur trouve un courage surhumain et sans leur excès d’optimisme à la limite de l’inconscience, tous les autres auraient encore été des esclaves ou des burkisées sans maillot de bain qui brille, ni vin blanc ..”
Et je rajoute ici toute ma reconnaissance, mon indéfectible, mon incommensurable reconnaissance à ces héros et à ces martyres, à toute cette chair à canons; derrière lesquels, nous tous, lâches que nous sommes, nous nous cachons, pour profiter des libertés payées de leurs vies, des avancées arrachées par leur sang. Leur courage n’a d’égal que notre lâcheté et leur altruisme et leur sens du sacrifice et de la justice n’ont d’égal que notre égoïsme et notre mutisme.
Donc à tous ceux qui ouvrent leurs gueules pour dire des conneries, un peu de décence, fermez-là, à l Guenss l7efiane.

Marocaine version : ‘’Reconnaissante jusqu’à la nuit des temps”

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