Convention de Genève, 28 juillet 1951
Doudoune noire, jean et cheveux gominés, Karim Bahri est un jeune homme timide. Mais quand il prend la parole pour raconter son histoire, son regard en dit long sur les épreuves qu’il a traversées. En Tunisie, où il est né, en France, qui refuse depuis toujours de l’accueillir, et lors de ses nombreux voyages en mer pour aller de l’une à l’autre.
Lorsqu’il s’est fait arrêter pour la première fois en Italie, Karim Bahri n’a pas donné son vrai nom aux autorités. Il a eu peur d’êtreaccusé du vol du bateau de pêche qui lui a permis de fuir la Tunisie avec deux amis. Il a 12 ans. C’est son premier voyage.
Mercredi, 29 Mai 2013 09:21
Karim Bahri |
Doudoune noire, jean et cheveux gominés, Karim Bahri est un jeune homme timide. Mais quand il prend la parole pour raconter son histoire, son regard en dit long sur les épreuves qu’il a traversées. En Tunisie, où il est né, en France, qui refuse depuis toujours de l’accueillir, et lors de ses nombreux voyages en mer pour aller de l’une à l’autre.
Lorsqu’il s’est fait arrêter pour la première fois en Italie, Karim Bahri n’a pas donné son vrai nom aux autorités. Il a eu peur d’êtreaccusé du vol du bateau de pêche qui lui a permis de fuir la Tunisie avec deux amis. Il a 12 ans. C’est son premier voyage.
« Avertir les jeunes qui rêvent d’Europe »
Aujourd’hui, à 35 ans, il est toujours
menacé d’expulsion. Mais il n’a plus peur de dévoiler son identité car
il veut servir d’exemple. Désormais, il veut se battre pour « avertir les jeunes qui rêvent d’Europe » et leur éviter de devenir des « harragas » (ce mot originaire de l’arabe désigne ceux « qui brûlent
» les papiers d’identité), ces migrants clandestins qui prennent la mer
depuis l’Afrique du Nord sur des bateaux de pêche pour venir
s’installer en Europe, en passant le plus souvent par l’Espagne ou l’île
de Lampedusa.
Originaire d’un village de pêcheurs de
Bizerte, à la pointe nord de la Tunisie, Karim a toujours su que sa vie
était ailleurs, qu’il ne la passerait pas « à jouer au rami et à boire de la bière dans les cafés ». Enfant, lorsqu’il sortait sa barque pour ramener du poisson, il rêvait déjà de voyages et d’aventures.
Comme d’autres, il s’est laissé influencer par « les frimeurs, ces jeunes qui reviennent au bled, roulent dans leurs belles voitures avec la musique à fond », et qui, en réalité, vivent dans une misère noire en France. « Ils doivent revendre leurs vêtements pour se payer le retour » décrit-t-il, amer.
« Si on est mort, tant pis »
Mais lorsqu’il prend la décision de partir en 1990, alors qu’il est encore un petit garçon, la peur de mourir ne suffit pas à l’arrêter. D’ailleurs, avant chaque traversée, il se répète toujours la même phrase : « Si on est mort, tant pis. Si on arrive, tant mieux.
» Aujourd’hui, il s’estime chanceux de ne pas avoir fait partie de la
centaine d’enfants de son village qui ont péri en tentant, comme lui, de
traverser la mer.
Sur ses sept tentatives pour rejoindre l’Europe, quatre ont réussi.
Lors de la première, il met le cap sur Mazzara, en Sicile, dans un
bateau volé. Mais la boussole se casse et il accoste à Tripani, où il se
fait directement arrêter par les carabiniers siciliens, juger puis
expulser.
Lors de la deuxième, son bateau tombe en panne et il passe huit jours à dériver en pleine mer avec 27 autres harragas. Il survit en buvant l’eau du circuit de refroidissement du moteur
hors-bord en cachette. Puis il décide de partager sa source avec les
autres membres de l’équipage, ne supportant pas de les voir agoniser.
Il parvient à joindre les autorités tunisiennes avec son portable. Les policiers lui expliquent qu’ils ont trop de problèmes à terre pour s’occuper d’eux.
Il appelle alors l’armée, qui refuse également d’entamer des
recherches. Malgré les problèmes de réseau, il arrive à joindre Virginie
Lydie, écrivaine rencontrée dans un centre de rétention et qui l’a aidé
à mettre en forme son histoire, publiée un peu plus tard.
Croyant qu’ils se trouvent près du cap
Bon, elle alerte la Marine nationale qui prévient les autorités
italiennes. Elle reste en contact avec le bateau et continue de fournir
des informations à l’armée. « Grâce aux descriptions de Karim, on a pu savoir qu’ils étaient encore en Tunisie
», explique-t-elle. Les Italiens demandent alors une autorisation de
survol à l’armée tunisienne, avant de leur envoyer les coordonnées du
bateau. Sauvés.
Des centaines d’heures de garde à vue
Une autre fois, juste avant le départ,
il tombe à l’eau en chargeant un bidon d’essence. Il passe chez lui pour
se changer et rate finalement le départ. Une chance : il voit revenir
quelques jours plus tard les quinze cercueils des membres de l’équipage.
En France, où il a passé la majeure
partie de sa vie, Karim a fait des centaines d’heures de garde à vue,
connu les expulsions, la vie dans la rue. Perplexe, il raconte :
« Un jour, je dormais
dans une carcasse de voiture brûlée. La police m’a arrêté pour tentative
de vol. J’ai fait trois mois de prison. »
En prison, où il a été une autre fois condamné à dix-huit mois
pour avoir refusé de respecter une obligation de quitter le territoire
(OQTF), il découvre la solitude, la maltraitance et le harcèlement. A la
maison d’arrêt de Gradignan, il partage sa première cellule avec un détenu qui essaye de le toucher quand il dort :
« Lorsqu’ils m’ont installé dans ma cellule, je me suis demandé pourquoi les surveillants rigolaient. J’ai vite compris. »
Une nuit, désespéré, il tente de se pendre dans les toilettes de la prison. Il doit son salut à un gardien qui passait par hasard. « J’ai perdu le moral et tout espoir ici à cause de la prison. Mais je n’ai pas laissé tomber », raconte-t-il.
« On se moque de tous les expulsés »
Pendant sa détention, il a écrit un
livre, publié sous le pseudonyme de Mehdi Sayed, nom qu’un interprète
lui avait prêté lors de sa première arrestation en Italie. Il l’a rédigé
avec le peu de français qu’il connaissait pour « sensibiliser les Français sur les clandestins ».
Malgré l’errance, malgré la France d’en dessous où il survit, il n’a jamais été question de retour au pays :
« Lors de ma dernière expulsion
en août 2009, 50 personnes m’ont entouré quand je suis revenu au
village. C’était tous mes cousins mais je ne les connaissais pas. Ils se sont moqués de moi comme on se moque de tous les expulsés. »
En France, il a donné la vie deux fois
et a fait reconnaître son droit de visite sur le plus jeune de ses
enfants. Il est en train d’essayer de renouer le contact avec le premier
qu’il a perdu de vue après sa dernière expulsion et qui vit aujourd’hui
à Cannes avec sa mère.
Le zèle des préfectures
Aujourd’hui, Karim est toujours sous la menace d’une expulsion.
Son avocate, maître Maktouf, qui défend de nombreux Tunisiens de
Lampedusa, tente de régulariser sa situation. Elle considère que « le cas de Karim entre parfaitement dans le cadre de la circulaire Valls, qui prévoit les régularisations au cas par cas ». Mais elle déplore « le zèle des préfectures qui demandent de nombreux documents qui ne sont pas réclamés par le texte ».
En attendant, Karim continue la mission qu’il s’est fixée :
« Je veux montrer qu’il ne faut pas risquer sa vie pour faire des allers-retours. Les jeunes doivent faire des études. »
Il va jusqu’à filmer des gens qui dorment par terre pour les montrer en Tunisie. Une preuve nécessaire, car là-bas, « personne ne peut croire que des Français dorment dehors ou mangent dans les poubelles ».
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